Ils murmurent, dans les tunnels — 2 (V2)

6 minutes de lecture

 Le regard du garçon se perdit dans le vague. Ce gamin n’était finalement pas une lumière, il lui fallait de l’aide.

— Tes potes ! Ils s’en rappellent, de son nom ? glapit Raul avant d'héler les trois énergumènes qui végétaient toujours entre leurs colonnes. Écoutez-moi bien ! Parce que je vais pas me répéter : il me faut absolument le premier ou le deuxième nom du prêtre qui vous a parlé ! Le troisième m’importe peu. Est-ce que l’un de vous s’en rappelle ?

 Raul surveilla du même coup la foutue clepsydre qui s'écoulait lentement, minant encore plus cet interrogatoire déjà insupportable. Les quatre jeunes avaient l’air aussi perdus les uns que les autres, le Venteux avait dû creuser quelques galeries dans leurs foutues caboches. Ils ne percutaient pas, désespéra Raul, rien à tirer de ces quatre paumés !

 L'élucide eut un mouvement de colère, balayant l’air de ses bras, comme face à des mouches envahissantes :

— Allez, déguerpissez !

 Les quatre jeunes s’enfuirent sans demander leur reste.

— Sauf toi ! cracha-t-il en rattrapant le témoin principal par le bras. Toi, tu restes là ! On n'en a pas encore fini !

— Mais casté ! pleura le garçon.

— Il y a pas de mais casté ! Ton histoire n’est pas terminée. Qu’est-ce que le prêtre vous a raconté pendant tout ce temps ? Il ne vous enseignait pas les récits mythiques, par hasard ? Comme tous les Ter en mission !

— Non ! Casté, on est éduqué nous ! On les connaît les histoires des dieux. Nous, on n’est pas comme les types des ensols, les bouffeurs, qu’on les appelle, nous on apprend des trucs chez les Ter !

— Et ? insista-Raul, grimaçant – cet interrogatoire n’avançait pas...

— Quoi ? Ce qu’il nous a dit ? – le prêtre ? – L’a parlé des dieux, j’vous ai dit !

— Ça, je l’ai bien compris, mon petit...

L’impatience grandissait et le temps se déversait. Ca allait mal tourner, il le sentait.

— Ce que je te demande, c’est de me dire, dans le détail, ce qu’il a raconté, tu comprends ?

 Le garçon soupira, il n’allait pas échapper à cet interrogatoire et il le savait.

— Bon… d’accord ! D’abord il a soigné Kahl. Alors, nous on a baissé la garde, il avait pas l’air méchant ce bonhomme. C’est là qu’il a dit son nom. (Raul se redressa soudain) Mais comme je vous disais, j’m’en souviens plus. Il parlait bien ce prêtre, il donnait envie de l’écouter. Alors c’est ce qu’on a fait.

— Et ? compléta-Raul, impatient, en se demandant si ça n’allait jamais finir.

— Il a parlé des tunnels et des enterrains de notre monde. J’pense que si ses amis prêtres l’avaient entendu ils auraient pas trop aimé. Il disait par exemple des trucs inhabituels : que les humains devaient chercher dans les ensols, que les mythes étaient plein de mensonges, je sais plus trop.

— Concentre-toi, petit. Précise ce que tu dis.

— J’essaie, casté. Il a dit… ah oui… Il a dit, j’me rappelle, que Vide – vous savez, l’histoire de Vide, le fils de la Terre et du Ciel, là – qu’il ne résidait pas vraiment dans la maison de son père comme tout le monde pensait mais qu’il était toujours chez sa mère, au cœur de Terre, bien caché dans ses profondeurs. Bizarre, hein ?

— Tu es occupé à me dire, ou plutôt tu essaies de me faire croire, qu’un prêtre aurait tenu des propos ouvertement opposés aux récits mythiques ? Ici, dans ces tunnels ?

— J’en sais rien moi, casté ! En tout cas, il expliquait ça bien, mais j’pourrais pas vous le refaire – trop compliqué – mais c’est ce que j’ai compris dans les grandes lignes.

— Après tout ce temps, tu parles ! Il y avait sûrement beaucoup plus à dire que le résumé minable que tu viens de faire.

— Désolé, je suis pas aussi bien éduqué que vous, les castés. Ah oui ! lança-t-il, comme si soudainement tout lui revenait.

— Ah oui ? fit Raul – ce gamin allait-il enfin devenir précis ?

— Non… Enfin, si… Il a parlé d’un temple, chez vous à la Cité…

— C’est-à-dire ? le pressa Raul.

— Le temple de Terre… je crois. Il a dit "un grand trou", genre les tunnels d’ici, mais dans la Cité !

— Oui, le temple de Terre ! Et quoi, le temple de Terre ?

— L’a dit qu’il y avait des gens là-bas qui savaient et qui voulaient sa peau.

— Qui savaient quoi ? dit Raul, tout en essayant de rester calme. L'histoire du Vide dans la Terre ? Ce blasphème ?

— Ce quoi ? répondit-il sans expression, puis comme s’il avait compris suivant le contexte : Oui, je crois ! en tout cas qu’il les avait fui pour venir ici. Mais qu’ils avaient pas apprécié.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? songea Raul, mais ce gamin ne pouvait pas l’avoir inventée, les sans-castes ne connaissaient rien de la Cité et encore moins des Temples, il devait donc y avoir des éléments de vérité dans ce qu’il disait. Un Ter aurait donc fui un temple pour venir ici ? Ou alors était-ce un éclairant, lancé en mission pour éviter l’un ou l’autre scandale ? Mais alors pourquoi serait-il venu dans les tunnels ?

— Ils voulaient la peau de qui ? Il l'a dit ?

— Euh… Tous… Nous ? Je crois…

— Oui ? Et il a précisé ? Pourquoi il pensait ça ? D’où lui venaient ces idées ? Il a dit des noms ? Allez, cherche petit !

 Le garçon resta en suspens devant les nombreuses questions posées. Soit il ne savait pas par où commencer, soit il était débordé – ou les deux…

— Je sais plus… J’ai pas tout suivi non plus, ils étaient nombreux autour, ils rigolaient à côté, près du feu. À un moment j’écoutais plus…

 Déjà qu’il s'avérait souvent ardu d’interroger un citoyen, mais alors un sans-caste... cela confinait à l’absurde d’essayer d’obtenir d’eux des détails sensés. Aussi, se dit-il que le peu qu’il venait de récolter n'était déjà pas mal, et qu’il ne fallait pas trop en demander à ce garçon. Raul savait que ce n’était pas de leur faute : ces gens n’étaient pas éduqués, pas abrutis (même si la plupart des Aers étaient persuadés du contraire), juste pas suffisamment éclairés pour parvenir à éclairer les autres…

— Et après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? fit Raul, fatigué ; mais tant que le garçon répondait, il fallait en profiter.

— Ben on est reparti, on n’allait pas rester avec ces vagabonds, on a quand même un peu d’honneur.

Ah, encore le fameux honneur des sans-castes ! On aura tout vu ! songea-Raul, avant de reprendre :

— Et je peux savoir comment ça se fait que c’est toi, tout seul, qui as découvert son carnat ?

— En fait j’avais oublié un truc ! Vous savez, j’avais dit qu’on avait notre méthode pour coincer (il s’interrompit, hésitant à nouveau) … les rats.

 Raul soupira. La clepsydre s'écoulait.

— Oui ? Et donc ?

— J’ai un bâton, bien pointu, métallique, il est vachement pratique pour les embrocher…

— Viens-en aux faits ! le pressa-Raul.

— Ben je l’avais laissé, là-bas, près du vieux prêtre et j’voulais pas le laisser se curer le nez avec. Alors, le temps que j’m’en rende compte…

— Combien de temps ? s'exclama Raul en se tournant vers les Ter. Il eut l'impression de poser cette question autant aux templiers qu'au garçon.

— Quelque chose comme – bah – je sais pas vous répondre… Pas beaucoup ? rétorqua le sans-caste. Le temps de revenir près de… Vous connaissez le pont des dérapés ? – Non ? – d’y aller et puis revenir. Plus ou moins.

— Et donc ?

Moi et mes question. Reprenons.

— J’y suis retourné et c’est là que…

Le garçon s’interrompit, visiblement perturbé.

— J’avais jamais vu un truc comme ça, casté !

 Et il fondit d’un seul coup en larmes. Ce fut tellement soudain que Raul s'en trouva pris de court. Ce jeune semblait prendre tout à la légère jusque là et puis, tout d’un coup, il s’effondrait ?

 Le gamin, noyé dans ses sanglots et son accent nébuleux, continua :

— C’est pas normal ! reprit-il. Voir des gens tomber par-dessus les plateformes, j’en ai vu plein, surtout ici – Ici c’est la loi du plus fort, vous savez ! – mais ce truc-là, c’est pas possible, comment ils ont fait ?

— Essaie de m’expliquer…

 Raul tenta d’adoucir le plus possible sa voix pour ne pas le brusquer. Le bravache avait maintenant l’air d’un petit enfant perdu.

— Je suis revenu, casté, mais il y avait plus personne, le feu brûlait encore et le vieux prêtre était là, étendu sur le sol… Je l’ai reconnu à ses vêtements… il y avait que ça, parce qu’il n’avait plus… de tête !

 À ces mots, il explosa en sanglots.

Annotations

Vous aimez lire L'Olivier Inversé ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0