Lettre désespérante à une auteure

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Cette lettre ne t’est pas destinée personnellement, ne la prend pas mal. Elle est pour une de tes semblables.



J'achève juste de parcourir ton texte. Tu attends de savoir ce que j'en pense, avec inquiétude.

Je perçois ce que tu vis : cette idée qui te mangeait la tête, cette exigence irrépressible de la concrétiser. Le plaisir de lire tes propres mots, le besoin de le partager. Tu viens de le poster sur ce réseau et tu guettes les retours. Jamais on n'a écrit quelque chose d'aussi beau, d'aussi fort. Tu sais que ce n'est pas vrai, mais si quelqu'un te le disait…

Ce n'est pas ton histoire, mais c'est ton âme que tu exposes ainsi aux autres.

Il faut énormément de courage pour le faire, ou de l'insouciance. Je ne veux pas croire à de la suffisance de ta part.

Quelques rares lecteurs te félicitent. Tu es aux anges. Fondamentalement, les gens sont gentils. Moi aussi, j'espère. Mais je te dois la vérité.

Ce n'est pas ça. C'est mauvais. Très mauvais. NON ! Reste ! Écoute-moi. C'est normal ! C’est ton premier jet.

Dans ton impulsivité, tu as ignoré certaines choses, comme nous tous.

Combien de mots différents as-tu utilisés ? Une centaine ? Deux cents ? C'est pauvre ! Tu en connais vingt mille, trente mille ! Tu cherches à exprimer ton idée, elle est riche, originale, précise. Il faut trouver les termes justes pour la respecter. Puisse dans tes ressources ! Mais soit vigilant ! Es-tu sûr du sens de ce mot ? Pour moi, pour d'autres, il veut peut-être dire autre chose. Tu nous as perdus, nous décrochons de ton récit.

Dans ta fougue, tu as également écrit trop vite. As-tu réfléchi, poussé à fond cette idée ? T'es-tu renseignée sur le cadre de ton histoire, sur les comportements de tes personnages dans la vie, leur travail, leurs amours ? Est-ce que la narration est cohérente, dans sa trame, dans ses détails ? C'est imaginaire ? Et alors ! tes héros vivent, comme nous.

Plus difficile, t'es-tu mise dans la peau de chaque créature, avec son caractère (Ah ! tu n'as pas pensé à son caractère ?), pour le faire réagir de façon crédible ?

Tu commences à voir où je veux en venir. Oui, ce n'est qu'un premier jet ! Même ce premier jet doit être travaillé ! Moi, lecteur, je n'aime pas arriver dans le bordel d'un chantier. Tu me dois le respect, car tu me sollicites.

Ne balance jamais une ébauche à notre approbation. Tu as l'habitude d'envoyer des tweets, des sms. Là, tu rédiges, non pour tes amis, pour des inconnus. Fais attention à être précise. Relis ce que tu viens d'écrire. Est-ce vraiment de toi ou un ramassis de lieux communs, de phrases toutes faites, rabâchées, remâchées ?

Tu méprises l’orthographe et tu as bien raison. Cependant, c’est un contrat entre nous tous pour que nous puissions échanger. Tu es trop mauvaise ? Mais regarde : tu saisis sur un logiciel qui a un vérificateur. Corrige au moins ces erreurs de frappe et d’accord ! Si tu es soigneuse, tu sauras aussi que les typographes ont travaillé depuis Gutemberg pour rendre les imprimés plus lisibles. Là encore, respecte-nous dans ce que tu livres.

Tu veux qu’on te lise ? As-tu ouvert récemment un livre ? Il t’a plu ? As-u essayé de comprendre comment l’auteure avait composé son texte. Tu écris maintenant, tu dois pouvoir regarder le métier d’une de tes consœurs.

Au passage, reprends un album de Tintin, ou d’Astérix. Tu en as forcément un ! Regarde le bas de la page. Une seule planche était publiée par semaine et chacune se termine par un suspens. Relis Dumas, Ponson du Terrail, Sue, Gaboriau, Hugo, les feuilletonistes du 19e : tu es addict à la lecture, tu veux savoir ce qui va advenir. Dans ton récit, as-tu pensé au souffle ? Es-tu sûr qu’on ne s’ennuie pas un peu ?

Ce n’est pas la fin du monde ! Comme pour tout, le talent n’existe pas ! Du travail, encore du travail !

Tu viens de faire un premier pas, tout le monde n’ose pas, n’en est pas capable. Ne te décourage pas, même avec une lettre comme celle-là. Continue d’oser ! Rate, recommence, jette, reprends… Regarde tes progrès ! Tu vas y arriver !

Alors, oui, nous avons annoté en abondance ou peu, par lassitude. Oui, nous avons fait des commentaires acerbes et directs. C’est dur à avaler pour ton ego ! Mais au-delà, écoute et profite de ces critiques. Nous avons passé du temps pour t’aider. Crois-tu que nous le fassions par méchanceté ou pour t’aider…

(J’ai écrit au féminin, car je me refuse à cette stupide écriture inclusive tout en en ayant marre de la suprématie du genre masculin !)

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