Chapitre 96 - Partie 1

5 minutes de lecture

LUNIXA


  Valkyria finit par s'endormir au milieu de ses frères. Sans la lâcher, Thor s'était laissé glisser contre un mur de la salle de bain, Kalor l'avait imité, puis ils étaient restés là, en silence, jusqu'à ce qu'elle sombre dans les bras son aîné. Ils y étaient encore lorsque je m'étais assoupie à mon tour, mais à mon réveil, je les retrouvais tous dans la pièce principale. Il avait beau être onze heures passées, personne ne s'était enfermé dans le bureau. Kalor lisait un livre sur la chaise à côté de ma couche, Thor et Mathilda jouaient aux cartes dans le coin salon, la reine était plongée dans un journal, à l'autre bout du canapé, et mon beau-père veillait sur sa fille. Cette dernière dormait auprès de son mari. Quelqu'un avait rapproché leurs deux lits afin qu'elle puisse être à ses côtés sans déranger son étrange torpeur.

  Je n'étais pas encore bien réveillée, mais un élan de compassion me gagna à la vue de ce père au chevet de sa fille. En dehors de la naissance de Baldr, je n'avais jamais vraiment vu cet homme démontré de la tendresse envers sa famille. Il était Roi, il lui fallait entretenir une certaine distance avec ses enfants pour se comporter comme tel avec eux quand il le devait. Puis Valkyria s'était effondrée et j'avais découvert le père caché sous la couronne. Un père qui avait repoussé ses gardes pour s'approcher de sa fille en entendant ses cris. Un père qui avait voulu la réconforter, mais s'était forcé à ne pas intervenir en voyant que ses fils avaient la situation en main et en comprenant que sa présence pourrait être de trop. Un père qui s'était retiré pour lui laisser de l'espace, mais qui était resté juste derrière la porte, au cas où son aide serait finalement nécessaire. Un père qui ne s'était pas éloigné quand sa fille avait cessé de pleurer, ni quand elle s'était endormie.

  –Elle doit toujours être inquiète pour lui. (Je levai les yeux vers Kalor ; son roman posé sur les genoux, il observait aussi sa sœur et son père.) Mais maintenant qu'elle a laissé sortir ce qu'elle refoulait, elle devrait aller mieux.

  Valkyria lui donna raison une bonne heure plus tard, lorsqu'elle émergea. Les yeux encore ensommeillé et rougis de ses pleurs, elle s'assit au bord du lit et recommença à observer son mari sans un mot. Personne n'osa l'interpeller tout de suite et au bout d'un quart d'heure, je crus que Kalor s'était fourvoyé, mais d'un coup, elle descendit du lit, récupéra des vêtements dans l'armoire contenant les vêtements féminins, puis disparut dans la salle de bain. Tout le monde se tint aussitôt sur le qui-vive, mais aucun éclat ne nous parvint. Au bout d'un tour de cadran, Valkyria ressortit lavée, changée, coiffée et son regard, bien qu'encore blessée, était droit. Comme attiré par un aimant, ce dernier se posa sur Nicholas. Valkyria se força à s’en détourner et demanda si nous pouvions lui résumer ces derniers jours.

  Le Roi lui proposa de s'installer sur le canapé pour le lui expliquer pendant qu'elle mangeait. Même si l'idée de déjeuner ne semblait pas lui plaire, elle accepta et se tourna vers la partie salon. Elle tomba aussitôt sur sa mère et se figea, tandis que la reine se raidissait imperceptiblement. Kalor abandonna immédiatement sa chaise pour rejoindre sa sœur alors que le Roi fronçait les sourcils. Je n'entendis pas ce que mon mari lui dit, mais Valkyria le laissa la mener jusqu'au canapé. Leur mère le quitta pour leur libérer la place, les yeux baissés et luisant de culpabilité. Celle qui était né la veille, lors de l'éclat de sa fille.

  Alors qu'elle s'était aussi approchée de la salle de bain en entendant les cris de Valkyria, ma belle-mère n'en avait jamais atteint le seuil. À l'instant où elle avait vu sa fille se débattre dans les bras de son beau-fils, elle s'était tétanisée. Elle savait que Valkyria tenait à Nicholas, plus qu'une Lathos n'aurait dû tenir à un humain. Elle savait qu'elle souffrirait s'il lui arrivait malheur. Pas qu'elle serait anéantie. La détresse de Valkyria avait frappé sa mère plus violemment que l'aurait fait un éclair. Une main posée au niveau de sa gorge, les traits figés de stupeur, la Reine avait fixé ses enfants un long moment avant s'en détourner, le regard brillant de remords.

  Après tout ce qu'il s'était passé, j'aurais dû être heureuse de la voir souffrir. Et, à ma grande honte, j'en éprouvais une certaine satisfaction. Mais je ressentais surtout de la pitié. Le Marquis Piemysond n'avait jamais dû battre ses enfants devant elle et un Guérisseur s'était toujours occupé de leurs blessures avant de les renvoyer ; Lokia n'avait laissé « que » de discrètes ecchymoses à Kalor, souvent dissimulables par des vêtements. Ma belle-mère s'était sûrement convaincue qu'ils ne souffraient pas trop.

  Cette fois-ci, il n'y avait eu ni murs, ni Guérisseur, ni couche de tissus pour lui épargner la douleur de sa fille. Pour la première fois, elle avait découvert à quel point les décisions de la Cause, ses décisions, pouvaient leur faire du mal. Et elle en souffrait. Peut-être son allégeance à la Cause n'était pas irrémédiable. Peut-être que la souffrance de ses enfants l'inciterait à s'en éloigner, à défaut d'étouffer sa haine envers les humains. Pour le bien de Kalor et Valkyria, je l'espérais.

  Le résumé des derniers événements et le rappel de l'attaque du baptême ne manquèrent pas de raviver la tension ambiante et de rouvrir les blessures qui commençaient à peine à cicatriser. La reine se gardait pourtant d'intervenir, consciente que le moindre mot de sa part risquait de rompre l'équilibre précaire de Valkyria. Cette dernière ne cessait de serrer et desserrer les doigts sur ses jupons et d'observer d'un œil plus ou moins mauvais ses différents interlocuteurs.

  –Kalor a raison, finit-elle par dire. Il faut revoir le traitement des Lathos avant qu'il ne soit trop tard. Si nous l'avions fait plus tôt, nous aurions pu prévenir cette attaque et jamais Nicholas n'aurait fini dans cet état, jamais il n'aurait été pris pour cible par un Mario...

  Kalor posa une main sur la sienne, mas il était trop tard.

  –Ce Marionnettiste..., reprit Thor, avec un bref coup d'œil au mari de sa sœur. Tu l'as déjà évoqué hier soir. De quoi s'agit-il ?

  L'expression de Valkyria devint plus sombre que jamais. Kalor se hâta de presser le poing qu'elle refermait sur sa robe. Elle semblait à deux doigts de tout dévoiler.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Asa No ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0