Chapitre 94 - Partie 4

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  La situation n'avait guère changé en mon absence : Nicholas ne s'était toujours pas réveillé et Valkyria veillait sur lui, passant avec tendresse une main dans ses cheveux. Père allait finir par creuser une tranchée dans le sol à force de faire les cent pas. Les Lames Blanches avaient gardé les positions stratégiques qu'elles avaient gagnée depuis qu'ils avaient examiné et soigné tout le monde. La tête tournée vers la salle de bain, Lunixa avait attendu mon retour sans quitter le lit. Quant à mon frère, il n'avait pas bouger de celui de Mathilda, mais il ne la tenait plus dans ses bras. Ma belle-sœur avait rouvert les yeux et s'était adossé au mur froid, l'oreiller placé au creux des reins, afin de nourrir Baldr.

  Avant de retourner sur le fauteuil que j'avais tiré entre sa couche et celle de Lunixa, je rejoignis Val. Ses yeux se fermèrent douloureusement et ses doigts se resserrèrent sur ceux de son époux lorsque je posai une main sur son épaule.

  –A-t-il montré des signes de réveil ?

  Elle secoua la tête.

  –As-tu besoin de quelque chose ?

  Nouvelle secousse de la tête.

  –J'aimerais juste être seule avec lui, précisa-t-elle dans un murmure à peine audible.

  Son rejet me fit mal, mais je ne lui en voulais pas. Ma culpabilité et mon inquiétude devaient être infime comparé aux siennes.

  Si seulement nous avions inclus Nicholas dans les personnes à risque... Même si la Cause n'avait jamais rien dit à son sujet, elle arborait les mariages mixtes. Un jour ou l'autre, elle aurait fait le nécessaire pour se débarrasser de lui et permettre à Val d'épouser un Lathos. Nous n'aurions jamais dû l'oublier ; mon beau-frère avait beau ignorer la véritable nature de Val, il méritait tout autant notre protection que Lunixa, Baldr et les autres membres de la famille.

  Me contentant donc d'une simple pression sur l'épaule de Val en signe de soutien, je regagnai mon siège. Lunixa suivit ma progression avec attention, une question silencieuse dans les yeux. Je secouai la tête.

  Un voile chagriné passa sur son visage et elle observa un instant Valkyria avant de me refaire face. Son regard s'était furtivement attardé sur ma mère avant de se reposer sur moi. Je n'eus donc aucun mal à comprendre sa seconde question silencieuse. Cette fois-ci, je clignai longuement des paupières pour le lui confirmer, puis me penchai à son oreille et ajoutai.

  –Et elle sait aussi que tu sais.

  Ses lèvres se pincèrent d'inquiétude, mais un soupir lui échappa presque aussitôt.

  Un soupir de résignation.

  Elle avait déjà compris ce qu'il en était lorsqu'elle avait vu ma mère me suivre dans la salle de bain.

  –Ce n’était qu’une question de temps, lui soufflai-je de nouveau à l’oreille avant de me redresser.

  –Je sais.

  Elle ferma les yeux et, encore sous le coup de l’émotion, une larme lui échappa. J’hésitais à tendre une main pour l’essuyer, lorsque des vagissements s'élevèrent derrière moi.

  –Chut, chut, mon trésor. Tout va bien...

  Je me retournai. Passant tendrement les doigts dans les cheveux sombre de son fils, Mathilda le faisait changer de sein. Les geignements de Baldr cessèrent ; un maigre sourire ourla les lèvres de ses parents. Leurs traits étaient toutefois toujours tirés, en particulier ceux de Mathilda.

  –Comment te sens-tu ? me risquai-je.

  Elle leva vers moi des yeux hantés qui contractèrent mon cœur. Cependant, ses lèvres s'incurvèrent un peu plus.

  –Je me sens mieux. Dormir m'a fait du bien. Nous a fait du bien, se corrigea-t-il. Mon pauvre bébé a... (Elle déglutit.) Il a dû avoir si peur lorsque ces Lathos s'en sont pris à nous. Si la Déesse et toi n'aviez pas été là...

  Mon frère et moi fronçâmes les sourcils de concert.

  –La Déesse ? répéta Lunixa.

  Mathilda opina.

  –De quoi parlez-vous, Mathilda ? intervint mon père.

  Sa belle-fille avait parlé faiblement, mais cela l'avait suffisamment troublé pour qu'il cesse de faire les cents pas et se rapproche de nous. Mère aussi dévisageait désormais Mathilda d'un air perdu. Même Valkyria s'était en partie détourné de Nicholas pour l'écouter avec plus d'attention. S'ils n'avaient pas bougé, nos gardes devaient également tendre l'oreille. C'était comme si tout l'abri attendait qu'elle reprenne la parole.

  Mathilda n'eut pas l'air d'en avoir conscience. Les yeux toujours posé sur son fils, elle effleura la joue de Baldr du bout des doigts avant de reprendre la parole.

  –Lorsque l'alarme à incendie a été déclenchée, commença-t-elle d'une voix lointaine, je me suis dirigée vers le balcon pour sortir. Mais je n'avais guère avancé qu’une voix m’a interpellée. Une voix que je n'entendais que trop bien en dépit du vacarme. Après quelques secondes, j'en ai compris la raison : je ne l'entendais pas avec mes oreilles, elle résonnait directement dans mon esprit.

  Mathilda releva finalement la tête vers nous alors que toute chaleur me désertait.

  –Je sais bien que ce n'est pas de cette façon qu'Elle s'adresse à nous, mais c'était Dame Nature. (Sa voix se mit à chevroter.) Le Déesse m'a averti de la présence des Lathos et de leurs sombres intentions envers Baldr. Elle ne m'a pas donné leur position exacte, mais elle m'a dit que je devais faire demi-tour pour m'en éloigner. Que je devais rejoindre la porte Ouest, car tu arrivais, Kalor. Toi, et plusieurs soldats. Un garde pourra vous le confirmer ; à lui aussi, Dame Nature s'est adressée. Elle a fait de cet homme son bras armée, le défenseur de son miracle. (Une larme roula sur sa joue.) Ce doit aussi être elle qui m'a arraché à l'emprise du Télékinésiste et déposer dans les bras de Kalor. Elle nous a sauvé.

  Non...

  Mon père, mon frère, et même une Lame Blanche tombèrent à genoux et se courbèrent jusqu’à ce que leur front touche le sol pour remercier la Déesse de sa divine intervention. Pour ma part, je ne bougeai pas d'un cil. Plusieurs secondes s'écoulèrent encore avant que je ne reprenne une première inspiration. L'estomac atrocement noué, je coulai lentement, très lentement, un regard vers ma mère.

  Le sentiment de trahison qui brûlait dans ses yeux s'était embrasé et semblait la consumer toute entière.

  Elle avait parfaitement compris la nature de cette Dame Nature providentielle.

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