Chapitre 94 - Partie 3

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  –Je pense que vous avez très bien compris de qui il s'agissait, déclarai-je.

  Ma mère me relâcha en reculant d'un pas, comme frappée.

  –Non... Ce n'est pas. Cela ne se peut...

  Elle ferma les yeux et secoua la tête, refusant de me regarder, comme si occulter la vérité permettrait de la faire disparaître.

  –Dis-moi que c'est Alaric, insista-t-elle. Par la Déesse, Kalor, dis-moi que c'est lui !

  J'aurais pu ; je n'en fis rien. C'était inutile. Au fond d'elle, ma mère savait ce qu'il en était et en apprenant ce qu'il s'était passé, la Cause le comprendrait à son tour.

  –Ce n'est pas lui.

  Elle refit un pas en arrière. Sans compter l'épisode dans le bosquet de la petite musique, jamais je ne l'avais vue aussi perdue.

  –Non... c'est impossible. Tu... Tu n’as souffert d’une hyperpyrexie qu'une fois et un Gardien avait vérifié ta nature après cela. Il nous avait affirmé que tu n'étais pas devenu un Élémentaliste. Un autre avait même confirmé ses dires, à la demande du Conseil. Alors quand... Et comment aurais-tu pu nous le cacher ? Me le cacher ? Je suis ta mère, Kalor !

  –Vraiment ? Quel genre de mère autorise un homme battre ses enfants ?

  –Parce que tu crois que j'ai eu mon mot à dire ? J'ai tout fait pour vous éviter de tels châtiments, mais tu ne cessais de remettre en question notre mission, ton rôle. Puis tu as libéré Alaric. Tu étais allée trop loin. Alors Ul... rich...

  Elle pâlit.

  –Oh Déesse, fils, que lui as-tu fais ? Qu'est-ce qui t'a pris ?

  –Il n'a eut ce qu'il méritait.

  –Ce qu'il méritait ? Tu l'as brûlé vif ! Ton chef ! Puis tu l'as dénoncé à ton père ! As-tu la moindre idée de la conséquence de tes actes ? s'exclama-t-elle en se rappelant tout juste de chuchoter, la colère reprenant soudain le pas sur le reste. (Elle revint se planter devant moi.) Ton père sait désormais que des Lathos sont au palais ! Qu'au moins l'un d'entre nous s'est approché du pouvoir ! Par la Déesse, il a ordonné à ses Lames d'arrêter tous les Piemysond ! Tu as condamné ta future femme...

  –Lokia ne sera jamais ma femme, la coupai-je. Elle, Ulrich, et le reste des Piemysond ont signé leur arrêt de mort lorsqu'ils ont décidé de s'en prendre à Lunixa, Baldr et Nicholas.

  –Non. C'est toi qui les as condamnés. Tout comme tu as condamné le reste de notre espèce ! Tu espères peut-être que ton père va remettre en question notre traitement, maintenant qu'il a conscience de la menace que nous représentons, mais Dame Nature souhaite nous voir disparaître. Jamais Odin n'ira à l'encontre de Sa volonté. À la place, il va intensifier les traques et chercher un moyen de nous différencier des humains, afin de prévenir tout soulèvement et de nous exterminer jusqu'au dernier !

  Pour la première fois depuis le début de notre conversation, ses accusations m'atteignirent. Je serrai les poings. J'avais parfaitement conscience de la dangerosité de ma révélation. Le risque qu'elle ait l'effet inverse de celui escompté et que des Lathos innocents finissent par en pâtir ne m'était pas sorti de l'esprit lorsque j'avais dénoncé Ulrich dans l'espoir d'ouvrir les yeux de Père. Cependant, je n'avais pas eu le choix. La Cause ne m'avait pas laissé le choix. Elle devait être arrêtée et nous ne pouvions nous en charger seuls. Le carnage d'aujourd'hui venait de le prouver.

  –Nous n'en savons encore rien.

  –Comment peux-tu être aussi naïf ? siffla-t-elle sans dissimulé sa déception. Il a ordonné l'arrestation de deux familles nobles et une fouille du palais. Si ta tendre humaine avait vu ce que tu as fait pour la sauver, tu peux être sûr que tu serais aussi...

  Sa voix, qui avait commencé à faiblir à partir du mot sauver, finit par s'éteindre alors que son regard se troublait.

  –Ses paumes, murmura-t-elle après un instant. Elle était avec là... Par la Déesse, elle t'a...

  Mes mains se refermèrent autour de ses poignets avant qu'elle n'aille plus loin dans sa réflexion. Se téléporter ou sortir en coup de vent de la salle de bain pour tuer Lunixa, peu importait vers quelle solution elle se penchait déjà, elle ne pouvait rien faire, prisonnière de ma poigne.

  –As-tu perdu l'esprit ? s'exclama-t-elle en se débattant. Nous devons... Par la Déesse, nous devons nous débarrasser d'elle tout de suite ! Avant qu'elle ne te...

  –Lunixa ne me dénoncera pas, car elle le savait déjà. Elle est au courant depuis des mois.

  Ma mère se figea entre mes mains, interdite.

  –Ce n'est pas...

  –Si, c'est possible, rétorquai-je avec hargne alors que mon sang s'échauffait. (Mère écarquilla les yeux et les baissa vers mes mains.) Nos espèces n'ont jamais été voué à se détester et que vous le vouliez ou non, Lunixa en est la preuve. (Elle se reconcentra sur moi.) Mes pouvoirs de Voyageur, ceux d'Élémentaliste, elle a accepté ma nature de Lathos dans son ensemble et n'a jamais remis en question ce choix, même quand elle a souffert de mon feu. Alors accusez-moi de naïveté autant que vous le souhaitez, je m'en moque. Au moins, j'ai la preuve de ce que j'avance. Pouvez-vous en dire autant, mère ? Vous pensez qu'une fois le trône aux mains des Lathos, notre espèce n'aura plus rien à craindre, que vous pourrez réduire les humains en esclavage sans le moindre souci. Mais devinez quoi ? C'est totalement utopiste. Même si vous parvenez à vos fins, les Lathos ne seront pas plus en sécurité. Ce ne sera que façade. Alors quand les humains se rebelleront – car rebellions il y aura –, ils sauront parfaitement qui abattre, puisque les Lathos, se pensant en sécurité, auront révélé leur nature. Vous les condamnerez bien plus que je ne l'ai fait en dénonçant les Piemysond.

  –Tu n'en sais rien, répliqua-t-elle.

  Un sourire sardonique fendit mes lèvres.

  –Il me semble avoir dit exactement la même chose juste avant et que m'avez-vous répondu ? (Je fis mine de réfléchir.) Ah, oui : comment pouvez-vous être aussi naïve ?

  Son visage se tordit de colère.

  –Je t'interdis de me parler sur ce ton, feula-t-elle.

  –J'ai essayé de vous parler avec le respect qu'un fils doit à sa mère, mais vous n'avez jamais voulu m'entendre. Alors cette fois, écoutez-moi bien, car c'est la dernière fois que je me répète : participez encore à un complot qui vise Lunixa ou un autre humain de la famille et peu importe ce que cela me coûte, vous tomberez. Quant à ma mise en garde sur le comportement des humains vis-à-vis des Lathos, elle vaut aussi pour la Cause : si vous ne changez pas votre façon de voir les choses, un soulèvement aura lieu et vous serez responsable de nombreux morts. Le seul moyen de les éviter est de reconnaître la vérité : aucune espèce n'est supérieure à l'autre. Tant que les deux clans ne l'auront pas compris, nous compterons les corps. Comme aujourd'hui.

  Ma mère baissa vivement les mains pour se libérer et cette fois, je ne l'en empêchai pas. Je commençais à avoir du mal à contenir ma chaleur.

  Un long moment, ma mère me dévisagea, l'air à la fois perdue, répugnée et brisée. Comme si elle ne me reconnaissait plus. Comme si elle recherchait ce Sauveur que j'étais censé être devenu derrière cet homme, ce traître aux croyances dégradantes qui lui faisait face.

  Elle rouvrait finalement la bouche lorsque la porte s'ouvrit derrière elle. Une Lame se tenait dans son encadrement.

  –Je suis navré de vous interrompre, Majesté, Altesse ; cela fait un moment que vous êtes ici et je voulais simplement m'assurer que tout va bien.

  –Vous ne nous avez pas interrompu, assurai-je en tournant le dos à ma mère pour me laver enfin les mains. Nous venions de terminer notre discussion.

  –Kalor..., commença ma mère.

  Je me séchai les mains, puis quittai la pièce sans un mot ni un regard.

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