Chapitre 90

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MAGDALENA


  Les mots rassurant de la Princesse Mathilda moururent sur ses lèvres. Surprise d'avoir entendu une voix si distinctement en dépit de l'alarme et de la foule, elle ralentit le pas et tourna la tête de droite à gauche, à ma recherche. Son étonnement se mua presque aussitôt en trouble quand elle remarqua qu'aucune femme ne semblait l'avoir apostrophée.

  –Magda, arrête ça tout de suite ! s'exclama Freyja. Tu...

  –Non, je ne suis pas auprès de vous, soufflai-je à Son Altesse.

Comment ? Mais...

  Un froid glacial la saisit soudain. Après une seconde d'incompréhension, elle avait finalement compris d'où provenait ma voix. Elle se figea d'effroi, alors qu'à quelques mètres de là, le Comte Naamioski continuait d'engloutir la distance entre eux.

  –Non, ne vous arrêtez pas, lui ordonnai-je. Vous devez faire demi-tour et rejoindre la porte Ouest. Vite.

  Elle n'en fit rien. Resserrant son fils contre sa poitrine, elle scruta la foule de plus belle, encore plus terrifiée.

Je n'ai pas rêvé. Cette femme..  .

Elle... Elle...

  –Ma fille..., commençai-je

  –Princesse Mathilda ? l'interpella un invité en s'arrêtant à ses côtés. Qu'y a-t-il ? Pourquoi n'avancez-vous plus ? Nous devons sortir.

  –Je...

  –Tout va bien, mon enfant, assurai-je en vitesse. Vous n'avez rien à craindre de celle qui vous a donné la vie.

    Mon enfant ?

          Celle qui m'a donné la vie ?

  Son souffle se coupa.

  –Déesse ? murmura-t-elle.

  –Déesse ? répéta le convive.

  Sa prise de conscience ne m’apporta aucun soulagement. Elle doutait de ce constat, le partisan était de plus en plus proche et leurs sentiments, ainsi que ceux du Marionnettiste, menaçaient de me submerger.

Non, c'est impossible, Dame Nature ne s'adresse pas à nous de la sorte.

Elle communique avec les religieux, à travers les feux sacrés des temples. Elle ne m'ordonnerait pas de revenir sur mes pas, de m'approcher de l'incendie.

Mais à part elle, qui me parlerait ainsi ?

  –Oui, ma fille, c'est bien moi, enchaînai-je avec un calme en total contradiction avec l'angoisse qui m'enserrait la gorge. Ne doutez plus et écoutez ma voix. Faites demi-tour et dirigez-vous vers l’Ouest. L'enfant dont je vous ai fait don est en danger.

  Son cœur s'arrêta. Le Comte n'était plus qu'à cinq mètres.

  –Ma fille !

  Mon ton, auquel j'avais insufflé toute mon autorité, toute la prestance omnipotente que je pouvais jouer, agit comme une gifle. Son Altesse se remit enfin en marche. L'invité l'interpella derechef, mais je lui ordonnai de continuer et cette fois, elle m'obéit. D’autres convives l’appelèrent, certains tentèrent même de l’arrêter ; elle les ignora à leur tour. Ma voix, celle de notre mère à tous, était devenu la seule à laquelle elle se fiait.

  –Que... Que se passe-t-il ? ânonna-t-elle. (Je serrai les dents ; son pouls s'emballa.) Déesse ?

  –Des maudites erreurs, cinglai-je, yeux fermés.

  Des Lathos ?

  –Oui, des êtres de cette engeance sont ici, avec de sombres dessins pour l'enfant. Cela ne doit advenir. Dirigez-vous vers l'Ouest. D'autres de mes enfants arrivent pour le protéger, dont un autre porteur de la marque. Ils ne laisseront pas ces viles Lathos...

  Un garde coupa soudain la route de Son Altesse.

  –Altesse, mais où allez-vous ? Il vous faut sortir. Venez.

  Devant l'urgence de la situation, il se permit de la prendre par le coude pour la pousser à se retourner. Elle s'écarta vivement alors que je quittais en vitesse son esprit pour investir celui du soldat.

  –Non, je ne peux pas. La Déesse m'a dit de rejoindre la porte Ouest. Des Lathos...

  –La Déesse ? De quoi parlez...

  –Conduisez votre future reine et l'enfant vers la porte Ouest, mon fils !

  Le soldat prit une brusque inspiration et balaya la foule du regard.

  –Elle vous a parlé aussi ? comprit Son Altesse.

  Je ne perçus sa réponse, mon attention brusquement ramener sur le Comte Naamioski. Il venait de jeter un œil dans son dos et remarquer que le Marionnettiste n'avait pas suivi, toujours trop souffrant.

Mais qu'a-t-il, nom de Dame Nature ?

      Peu importe. Nous n'avons plus le temps.

  Il accéléra le pas, tout en se figurant avec le visage du Marquis Nicholas Dragor.

  Un Métamorphe.

  Comme je m'en étais douté, cet homme n'était pas là uniquement pour s'assurer que le Marionnettiste mène la mission à bien. Il était là pour s'assurer que la mission soit menée à bien. Qu'importait que ce soit de la main de son pair ou de la sienne, l'héritier devait mourir. C'était pour cette raison que le Marquis Piemysond l'avait choisi, lui, un Métamorphe. Même si c'était plus risqué car quelqu'un pouvait se rendre compte de la présence de deux Marquis Dragor, il pouvait s'approcher du jeune Prince, le tuer, changer de visage avant d'être arrêté et condamner le mari de la Princesse Valkyria. Il pouvait accomplir tous leur objectif. Et puisque le Marionnettiste ne pouvait plus s'en occuper, il allait s'en charger lui-même.

  –Conduisez la Princesse et l'enfant hors d'ici, maintenant ! ordonnai-je au soldat. L'un de ces êtres... (Le Marionnettiste émergea de la foule.) Sur votre droite !

  J'ignorais s'il croyait à cette histoire de Dame Nature, mais le soldat se retourna d'un coup en entraînant son Altesse derrière lui. Le partisan se figea, surpris de cette volte-face. Le garde était tout aussi stupéfait de découvrir que mon exclamation concerne le Marquis Dragor, mais ni l'un ni l'autre n'eurent le temps de s'interroger l’attitude ou la présence de l’autre. Ignorant la migraine qui martelait à mes tempes, le sang qui commençait à goûter de mon nez, je pressai l'esprit du Métamorphe. Mon offensive ne fut suffisante pour le mettre à terre ou lui infliger une vraie blessure, mais pendant un instant, la douleur fut telle que son masque se troubla et sa véritable apparence apparut sous les yeux de la Princesse, du garde et de toutes les personnes alentours.

  Tous retinrent leur souffle, excepté le soldat. Ses doutes sur mon identité n'eurent soudain plus la moindre importance : il dégaina sa lame et se jeta sur le Comte Naamioski. Ce dernier esquiva de justesse.

  –Dame Nature ! s'exclama un convive.

  –Un Lathos ! Un Lathos est ici ! cria un autre.

  Le Métamorphe se glissa entre deux personnes et changea d'apparence.

  –Par la Déesse, où est passé cette erreur ? éructa le soldat.

  Ses pensées me parvinrent légèrement troublée. Attaquer l'esprit du partisan m'avait presque entièrement vidée du peu de force qu'il me restait et je devais à présent lutter pour conserver toutes mes connexions. En particulier celle avec le Marionnettiste, qui avait fortement faibli.

  –À votre gauche, indiquai-je au soldat.

  Il s'interposa devant l'homme et je sentis la brusque inspiration de ce dernier, sa stupeur d’avoir été repérer alors qu'il arborait un autre visage. Des spectateurs involontaires de ce duel s'éloignèrent, tandis que des convives, domestiques et soldats s'approchaient, attirés par le tumulte.

  Le Marionnettiste faisait partie de ces gens-là. Souffrant désormais du simple écho de mon emprise, il s'était repris en main et approchait d'un pas encore incertain, mais déterminé.

  –Je peux le faire. Je peux encore le faire, songeait-il désespérément, le visage terrifié de ses enfants plus vivant que jamais dans ses pensées.

  Je ne pus repousser plus longtemps la panique que j'avais refoulé. Après avoir indiqué au soldat la nouvelle apparence du Métamorphe, j'ordonnai à la Princesse d'aller plus vite, puis cherchait un autre garde prêt du Marionnettiste.

  J'en trouvais un dans la seconde, la Lame Blanche qui se pensait se diriger vers le Marquis Dragor pour le conduire en sécurité. Mais au même moment, l'appel d'un esprit effleura le mien.

  –Oh maudite Déesse, souffla Freyja alors j'avais l'impression de respirer à nouveau. Enfin....

  Oubliant le garde, je me liai à ses pensées.

  –...lena ? Vous m'entendez ? Que se passe-t-il ? L'alarme...

  –Salle de bal. Maintenant !

  Tout en hurlant cet ordre, je lui indiquai la position du la pièce.

  Une seconde plus tard, une fenêtre explosa.

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