Chapitre 84 - Partie 2

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  Ces mots s'abattirent sur moi comme tout autant de coups. Interdit, je restai figé, à le dévisager, avant que mon regard ne glisse vers Lunixa, derrière lui. Comme moi, elle le fixait avec stupeur.

  –Tu ne veux plus la tuer ? soufflai-je.

  –Oh si, je le veux toujours, rétorqua-t-il d'un ton glacial. Tout ceux de son engeance mérite de la mort et elle, plus encore. Elle a volé la place de Lokia, t'a retourné la tête, au point que tu finisse par t’avilir avec elle, que tu tues les tiens, que tu lui donnes de l'havankila, que tu lui confie nos secrets !

  Il jeta un poignard à mes genoux. Un poignard de Lunixa. Je serrai les dents.

  –Je n'ai pas...

  –« Arrêtez de chanter », me coupa-t-il. Ce sont les premiers mots qu’elle a prononcés en te voyant envoûté. Elle savait parfaitement ce qui était à l'origine de ton état ; tout comme elle semblait très aux faits de mon identité quand je l'ai récupérée. Alors ne me fait pas croire qu'elle n'est au courant de rien, Kalor. Elle est au courant de tout et tu es le seul à avoir pu le lui dire.

  Un éclat inquiétant s'alluma dans son regard, décuplé par le masque d'obscurité sur son visage. Mon pouls devint encore plus chaotique, agitant mon pouvoir.

  –À quoi pensais-tu, pauvre fou ? Qu'elle t'aimerait en dépit de vos différences ? C'est une humaine, Kalor, jamais elle ne te verra comme autre chose qu'une erreur à éliminer.

  –C'est faux ! rétorquai-je en cœur avec Lunixa.

  –Depuis le début elle se joue de toi, poursuivit-il sans accorder la moindre importance à notre objection, afin d'obtenir des informations. Et à cause de tes rêves idyllique de paix entre nos espèces, tu as été assez stupide pour la croire et lui confier nos secrets, des armes empoisonnées. Par ta faute, Lokia est en train de se noyer, dévorée par de la poudre d'havankila. De la poudre d'havankila, Kalor ! répéta-t-il avec éclat, les yeux luisant de colère. Réalises-tu ce qu'elle endure ? Le nombre de Lathos que cette chienne aurait pu blesser avec une arme pareille ? L'impuissance dans laquelle tu te serais retrouvé si elle l'avait retournée contre toi ? Qui sait à qui elle a transmis nos secrets ? Alors si, je désire sa mort, n'en doute pas une seule seconde. Cependant, les besoins de la Cause passent avant tout et après discussion avec le conseil nous avons compris qu'elle nous serait plus utile que morte. Nous n'aurions pu trouver mieux comme gage de bonne conduite. De ta bonne conduite.

  –Je vais te tuer ! éructai-je, l'animosité prenant le pas sur ma peur.

  –Une menace ? Cela se rapproche grandement de la trahison, donc une saignée jusqu'à ce qu'elle perde connaissance.

  Sa phrase à peine finie, mon chef récupéra le poignard de Lunixa, tourna les talons et se dirigea vers elle d'un pas déterminé. Nos visages blanchirent aussitôt ; mon cœur cessa de battre.

  –Ne la touche pas ! hurlai-je, alors que Lunixa cherchait à reculer, bloquée par le Lathos dans son dos.

  Ulrich me refit face. Mon éclat de rage venait de mourir aussi vite qu'il était né. J'aurais voulu qu'il reste, qu'il me donne la force de repousser les sbires qui m'immobilisaient et de m'opposer à lui. Mais soudain, je me revoyais huit ans en arrière, brisé sur le parquet de ma chambre, incapable du moindre mouvement, pas même d'essuyer mes larmes, après qu'Ulrich avait réduit mes quatre membres en pièces. Je revoyais Alaric, prostré sur le sol de sa cellule, baignant dans ses propres déjections et le visage ravagé. Je revoyais Valkyria, s'effondrer sous la violence de ses coups pour m'avoir défendu.

  À l'idée que Lunixa subisse le même traitement...

  –Je... Je suis désolé, murmurai-je. Je... Je ne voulais pas...

  Défait, je baissai la tête, incapable de voir la déception dans les yeux de Lunixa, le reflet de ma faiblesse. Même mon pouvoir s'était rétracté. Je n'en ressentais plus la moindre trace dans mes veines. Son départ me fit réaliser que j'en avais toujours le contrôle. Un relent d'espoir me gagna pour me quitter dans la seconde. Aucune flamme susceptible de m'aider ne caressait mes sens et j'étais dans l'incapacité d'en allumer une : le briquet, que j'avais pensé à prendre ce matin, ne pesait plus au fond de ma poche. Il avait dû tomber à un moment ou un autre.

  –Magdalena, où êtes vous ?

  Nous avions besoin d'aide.

  Un profond silence s'ensuivit, uniquement brisé par Ulrich lorsqu'il reprit la parole, tuant un peu plus l’infime d'espoir qu'il me restait.

  –Dès la fin de notre conversation, j'emmènerai ton humaine, déclara-t-il. Comme tu as tué Hägring, Detlef se fera passer pour elle jusqu'à ce soir. Une Métamorphe viendra ensuite prendre sa place et jouera le jeu pendant deux semaines, après quoi, nous simulerons sa mort. Tu seras alors libéré de cet engagement et de nouveau disponible pour Lokia. Comme vous aviez été fiancée et que la disparition du misérable chiot qui te sers de neveu va raviver les problèmes de succession, personne ne s'étonnera d'un rapide mariage. Il sera au contraire acclamé. Votre union sera donc célébré dans six mois, dès la fin de ta période de deuil.

  L'intégralité de mes muscles se crispèrent.

  –Magdalena, je vous en prie…

  De nouveau, mon appel resta sans réponse. La dernière étincelle d'espoir qui subsistait en moi s'éteignit.

  –De mon côté, je m'engage à prendre soin de ton humaine au moins jusqu'à ton couronnement, conclut Ulrich Tant que toi et Valkyria vous montrerez obéissant, il ne lui arrivera rien. Je te laisserai même lui rendre visite de temps en temps. En revanche, n'espère pas la voir en secret et la délivrer comme tu l’as fait avec Alaric. Quelqu'un sera toujours là pour la surveiller et si j'ai le moindre soupçon concernant une tentative de libération, elle en payera le prix fort. As-tu compris ?

  Mes épaules s'affaissèrent.

  –Kalor ? murmura Lunixa. Kalor, regarde-moi.

  J'en fus incapable. Fermant les paupières encore plus fort, je prononçai le seul mot que je pouvais formuler en cet instant.

  Le sol mot qu'Ulrich attendait.

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