Chapitre 77 - Partie 1

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KALOR

  –Votre femme voit son véritable visage.

  Mes poumons se remplirent enfin entièrement et mes doigts, à deux doigts de briser le pied de mon verre, se relâchèrent. Cependant, je le tenais encore trop fort pour que la blancheur de mes articulations disparaisse et le feu dans mes veines ne s'était guère apaisé. Si cette réponse nous soulageait d’une inquiétude, elle en renforçait une autre.

  –Est-elle tout de même légèrement affectée ? m’enquis-je.

  Un trouble enveloppait-il Detlef ? Ses traits lui semblaient-ils inconstants ?

  –Non, pas le moins du monde.

  Alors Lunixa n’avait aucun moyen de savoir ce qu’il était.

  Un Illusionniste...

  Sa race était tombée dans mon esprit comme un couperet. Magdalena l’avait découverte juste avant qu'il ne pénètre dans la pièce, lorsqu'il s'était drapé d’un mirage pour dissimuler son vrai visage. Au lieu d'un homme reconnaissable à ses traits presque androgynes et son nez busqué, c'était un homme on ne peut plus banal, sans caractéristique particulière, qui s'était dirigé vers Lunixa.

  Dès que sa camériste nous avait prévenu, Valkyria avait interrompu sa discussion pour rejoindre Lunixa, lui confier la nature de Detlef et l'avertir de son changement d'apparence, au cas où l’illusion le toucherait aussi. Nous avions beau dire que sa résistance la protégeait des pouvoirs symbiotiques, car Lunixa était plus ou moins resté indifférente à ce type de facultés jusqu'à présent, nous n'étions sûrs de rien. Aucun de nous ne savait vraiment comment son étrange immunité fonctionnait. Rien ne nous avait garantissait qu'elle lui permettrait de voir clair à travers le mirage de Detlef.

  Malheureusement, Val n'était pas arrivée à temps. Si elle avait été plus proche de Lunixa que moi, la porte par laquelle Detlef était entrée l'était encore plus. Il l'avait atteinte en premier.

Que voit-elle ? Son vrai visage ? Ou bien le faux ?

  Pendant un temps qui m'avait semblé interminable, ces questions et la crainte d'apprendre que Lunixa était touchée par l'illusion m'avaient rongé de l'intérieur. Une telle annonce aurait détruit notre théorie sur sa résistance, remis en question toute notre stratégie. Si les Illusionnistes pouvaient l'atteindre, quid des Marionnettistes ?

  Dame Nature, merci, Magdalena venait de nous donner la réponse que nous attendions. Lunixa savait qui était l'homme qui lui parlait, qu'elle s'apprêtait à suivre. En revanche, elle ignorait encore ce qu'il était. Et Ulrich n'était pas du genre à envoyer ses sous-fifres sans réfléchir. S'il avait chargé un Illusionniste de la sortir de la salle de réception, c'était pour une bonne raison.

  Alors si elle le suivait sans savoir à quelle race il appartenait...

  –Où en est Valkyria ? m'enquis-je.

  –Encore trop loin. Je doute qu'elle les rejoigne avant leur départ.

Dame Nature...

  –La situation n'est pas idéal, mais faites confiance à votre femme. Elle est sur ses gardes.

  –Je sais, mais....

  –On vous parle.

  Je le savais aussi.

  Même si la tentative d'assassinat que nous cherchions à déjouer accaparait la majeure partie de mon attention, j'étais encore attentif à mon environnement et mes interlocuteurs. Je répondis donc sans problème à la question que l'on me posait, puis laissai les nobles méditer ou discuter mes propos.

  –Ils partent, me glissa soudain Magdalena.

  Et Valkyria n’avait pas pu prévenir Lunixa…

  Je n'aurais pas dû me tourner tout de suite vers elle. Lui accorder mon attention, au moment exact où la Cause l'éloignait de moi, alors que j’étais en pleine discussion ? Autant crier sur les toits que je savais pourquoi elle partait. Pourtant, je ne pus m'en empêcher.

  La salle était à présent si bondée que j'eus du mal à la repérée en dépit de sa chevelure : à l'autre bout de la pièce, noyée par nos invités, ses cheveux immaculés m'étaient presque devenus invisibles. Et au moment où je la remarquais enfin, un noble m'interrogea derechef. Je répondis cette fois de manière plus succincte, afin de me reconcentrer au plus vite sur Lunixa, de l'observer une dernière fois avant qu'elle ne disparaisse de la pièce. Mais mon intervention laconique poussa les nobles à me demander plus de détails. Au bout d'un moment, je n'en puis plus et laissai mon regard dériver vers la porte Ouest, par laquelle Detlef voulait faire sortir Lunixa. À ma grande surprise, sa chevelure blanche attira mes yeux à un tout autre endroit. Au lieu de se diriger vers la droite pour rejoindre la sortie, elle était partie vers la gauche.

  –Magdalena, y a-t-il eu un changement ?

  –Pardon ?

  –Lunixa s'éloigne de la porte Ouest.

  –Non, elle n'en est plus qu'à quelques pas.

  L'ensemble de mon être se raidit. Oubliant toute discrétion, je reportai mon attention sur l'entrée en question et analysai les environs. Pas un seul éclat blanc ne se détachait de la mer humaine. Les flammes s’agitèrent en moi comme mon pouls s'accélérait.

  –Je ne la vois pas.

  –Je m'en rends compte, confirma Magdalena, mais je vous assure que c'est le cas.

  Je jetai en vitesse une œillade à l'endroit où j'avais cru la voir un instant plus tôt. Mon regard tomba dans deux yeux dont la teinte turquoise n’avait d’égal que la couleur des Grands Lacs, dans le sud du pays. Une vague de colère se déversa dans mes veines, attisant encore mon pouvoir. Je n'avais pas seulement cru voir Lunixa : une femme, qui lui ressemblait en tout point, s'était bien écartée de la porte et se dirigeait à présent vers moi.

  –Où est-il ? grondai-je.

  Où était le second Illusionniste à l'origine de cette mascarade ?

–Elle se cache sous les traits de votre épouse.

  Je me doutais déjà que quelqu'un se trouvait derrière le visage de Lunixa – il était plus facile pour les Illusionnistes de bâtir un mirage à partir d'un support existant, car ils n'avaient pas à le forger de toutes pièces –, mais en avoir la confirmation mit mes nerfs à vif. Cette Lathos pensait-elle m'avoir en empruntant son apparence ? Ulrich me croyait-il vraiment incapable différencier Lunixa d'une pâle imitation ?

  Pour ne rien arranger, sa maudite sbire osa me sourire lorsqu'elle remarqua que je la fixais.

  –Du calme, mon Prince.

  Avec difficulté, je fermai les yeux et pris une lente inspiration. Puis une autre. Mon pouls, tout comme le feu sous ma peau, s'apaisa. Ma main se desserra complètement de mon verre. Toute tension finit par me quitter, remplacée par un calme profond.

  Le calme froid des soldats avant un combat.

  Le calme qui précède une explosion.

  Lorsque je rouvris les yeux, je retournai son sourire à la partisane. Seules les personnes me connaissant vraiment aurait remarqué que de chaleureuse, mon expression n'en avait que l'apparence.

  –Altesses, la saluèrent les nobles quand elle arriva à notre hauteur.

  La Lathos leur rendit leur salutation avant de poser une main sur mon bras. Pas un mouvement n'agita mon pouvoir. Immobile, en suspens sous ma peau, il attendait.

  –Elle doit vous conduire à l'extérieur, me glissa Magdalena. Quelqu'un l'y attend pour s'occuper de vous.

  S'occuper de moi ? En m'empoisonnant ou en me passant à tabac ? Connaissant le sadisme d'Ulrich, sûrement un mélange des deux.

  –D'après ce que je comprends des pensées du Marquis, il a bien prévu de vous rendre impuissant, me confirma Magdalena. En revanche, je n'ai rien concernant une correction.

  Cela ne faisait aucune différence. Dans tous les cas, il avait l'intention de s'en prendre à moi et quoi de mieux que de se servir de ma femme pour y parvenir ?

  Souriant de plus belle à l'Illusionniste, je plaçai une main au creux de ses reins.

  –Comment va Baldr ?

  –Il est fatigué, mais c'est un amour.

  L'entendre parler avec cette voix que je chérissais me révolta tant que je manquai de perdre mon sang froid et le contrôle de mon pouvoir. Déesse, que je mourais d'envie de lui arracher son mirage ! De lui rappeler de la manière forte que cette voix et ce visage n'étaient siens !

  Penser à leur véritable propriétaire m’aida à contenir toute animosité et à conserver mon calme. Lunixa avait besoin de temps pour se charger du Marionnettiste, pas que je succombe à ma colère. Qu’importait à quel point je voulais faire payer son double, il me fallait la supporter et la garder auprès de moi, ici, dans cette pièce, afin de retarder le moment où elle me conduirait à l'extérieur.

  –Je crains malheureusement que votre femme n'ait plus beaucoup de temps avant d'être confrontée à un sérieux problème, intervint Magdalena, l'appréhension transparaissant à travers ses pensées. Le Marionnettiste n'est pas encore dans le salon framboise où l'emmène Detlef, mais un Sirène les y attend. Le Marquis l'a chargé d'envoûter votre femme et il attend le retour de Detlef pour s'y rendre à son tour. Un Ethérien et un Furtif surveillent également le couloir.

  Dame Nature...

  Comme les Marionnettistes n'avaient besoin que d'un bref contact pour prendre possession de leur victime, je ne pensais pas qu'Ulrich se servirait d'un Sirène sur Lunixa. Je m'attendais plutôt à ce qu'il en utilise contre Valkyria ou moi. Sa résistance devrait la protéger ; son insensibilité face à l’Illusionniste venant appuyer notre théorie à ce sujet, j'en étais désormais presque persuadé. Mais saurait-elle l'identifier ? Réagir en conséquence ? Il lui serait impossible de déterminer s'il cherchait à la rendre apathique ou l'endormir.

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