Chapitre 76 - Partie 2

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  J'ignorais combien de temps il passa ainsi, à contempler les jardins. Afin d'avoir l'air le plus apathique possible, j'essayais de garder mon esprit vide, d'ignorer ce qui m'entourait sans relâcher totalement ma vigilance, de ne pas songer aux autres, à ce qu'il se passait de leur côté alors que n'avoir aucune idée de leur situation me rongeait de plus en plus à mesure que le temps passait – Déesse, que je détestais ma résistance pour cela !

  Quoi qu'il en soit, le Sirène finit par se détourner de la fenêtre pour braquer son regard sur moi. Sans me quitter des yeux, il me rejoignit au cœur de la pièce et s'installa sur la table basse, juste en face de moi. J'eus bien du mal à continuer de jouer la comédie. En particulier lorsqu’il entreprit de m'étudier avec attention.

  –Je comprends mieux comment tu as pu ensorceler notre Prince, chienne. Pour une humaine, tu n'es pas trop laide.

  L'entendre parler pendant qu’il fredonnait toujours était des plus perturbants, mais je ne laissai pas transparaître mon trouble. Je manquai en revanche de me trahir lorsqu'il se saisit brusquement de mon menton pour me forcer à lever la tête. Par la Déesse, merci, je contins ma vive inspiration et n'ouvrit pas plus les yeux.

  –Oui, vraiment..., poursuivit-il d'un air songeur, toujours en analysant mes traits et en chantonnant. C'est presque du gâchis. Cela dit, heureusement qu'on m'a juste demandé de te surveiller. Toute jolie que tu es, j'aurais eu bien du mal à te déshonorer si j'en avais reçu l'ordre. M’avilir avec ton engeance...

  Je m'étais jurée de rester amorphe, peu importe les insultes qui franchiraient ses lèvres ou les coups qu'il me donnerait. Mais l'entendre parler de me violer me renvoya instantanément des mois en arrière, à la nuit de mes renouvellements de vœux. Le salon avait disparu ; je gisais à nouveau dans la neige, brisée et incapable de me défendre, alors que six hommes s'avançaient vers moi, prêts à me prendre de force...

  Un frisson glacial dévala mon échine.

  Le Sirène suspendit sa phrase.

  Dame Nature !

  Je repoussai précipitamment cette image de mon esprit tandis qu'il ramenait son regard au niveau du mien, sourcils froncés. Il me fixa avec intensité durant un instant qui me parut interminable, puis son fredonnement se renforça. Un infime fatigue me gagna ; comme Magdalena et Freyja, un fin filet de son pouvoir m'atteignait malgré ma résistance. Craignant qu'il ne devienne trop fort, je réagis en conséquence et me penchai vers lui, paraissant encore plus fascinée par sa personne. Ses traits se détendirent et il esquissa un sourire satisfait.

  Sourire qui disparut presque aussitôt.

  Alors qu'il commençait à reculer, il s'arrêta en plein mouvement et se replaça juste devant mon visage. L'incompréhension la plus totale le frappa.

  –Mais, tu...

  Il ravala la fin de sa phrase et sa mélodie dans un hoquet de stupeur. D'un geste aussi urgent que maîtrisé, je venais de saisir son col et placer un poignard contre sa gorge. Tandis qu’il me dévisageait comme si une deuxième tête m'avait poussé, je déglutis avec difficulté. J'ignorais exactement ce qui m'avait trahi – était-ce un éclat de lucidité impossible à dissimuler ou de fascination impossible à reproduire ? Une réaction que je n'avais pas eue, trop faible ou différente de celle attendue ? Mais jouer la comédie ne servait plus à rien : le Sirène avait compris que j'étais consciente.

  Et quoi qu'il en soit, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. Si je n'avais pas eu cet infime frisson qui avait attiré son attention...

  La gorge enserrée par la culpabilité, je raffermis ma prise sur mon arme. Que faire, à présent ? Je n'avais pas réfléchi avant d'agir. Retrouver un semblant de contrôle ; l'empêcher d'alerter ses collègues dans le couloir ; prendre le dessus avant qu'il ne le fasse, c'étaient les seules choses auxquelles j'avais songé. Mais puisque je ne l'avais pas encore tué...

  –Qui est le Marionnettiste et qu'avez-vous vraiment prévu ? sifflai-je dans un murmure.

  Le Sirène ne me répondit pas, toujours stupéfié. Je l'attirai un peu plus vers moi et la lame pressa davantage contre sa chair. Le Lathos revint brusquement à lui.

  –Comment pouvez-vous...

  –Pas un mot à part pour me répondre. Et plus de fredonnement, ajoutai-je en entendant un son chantant remonter sa gorge.

  Tout en exposant mes exigences, j'appuyai encore plus mon poignard contre son cou. Sa peau se fendit sous la pression et une perle rouge glissa le long de la lame. La douleur qui en résultat lui arracha une grimace et me valut un regard noir, malgré l'incompréhension qui y luisait toujours. Cette haine glissa sur ma peau sans m'atteindre.

  –Alors ? insistai-je. Le Marionnettiste ?

  Sa bouche s'entrouvrit, puis se referma sans que le moindre mot n'en sorte. À la place, une lueur résolue s'alluma au fond de ses yeux. Qu'il parle ou non, j'allais le tuer dès que j'en aurais fini avec lui ; c'était ma seule échappatoire possible. Cet homme l'avait parfaitement compris et il savait aussi qu'il ne pouvait plus faire grand-chose avec un poignard sous sa pomme d'Adam. Au moindre geste, je l'égorgeai.

  Pourtant, la lueur dans son regard s'intensifia. Il n'avait aucune intention de mourir après avoir trahi sa cause ou de mourir pour rien : quoi qu'il advienne de lui, il comptait m'entraîner dans sa chute.

  Ma lame glissa sur sa gorge.

  Cet homme ne m'avait pas fourni le moindre renseignement, mais je n'eus aucune hésitation. Alors même que j'identifiais son expression déterminée, comprenais ses intentions, je l’égorgeai. Je fus si réactive que je ne pris vraiment conscience de mon geste qu’au contact du sang chaud sur ma peau. La part primordiale de mon être avait pris le contrôle. L'éliminer avant qu'il n'agisse, quoi qu'il ait prévu, c'était tout ce qui importait !

  Cependant, je ne fus pas la seule à avoir vivement réagit : alors que mon poignard commençait tout juste à créer un gouffre dans la chair de son cou et que les premières éclaboussures du geyser écarlate qui en jaillissait s'écrasaient sur ma main et mon visage, le Lathos se jeta sur moi.

  Son corps me percuta de plein fouet. Sous la violence du choc, ma lame s'enfonça profondément dans sa gorge, mon souffle se coupa et nous basculâmes en arrière. Par réflexe, je voulus me redresser pour empêcher le fauteuil de tomber. En vain. Tout alla trop vite. Au moment où je retrouvais mes esprits et cherchai à arrêter notre chute, celle-ci fut stoppée net par le parquet. Un hoquet étouffé m'échappa, surplombé par un claquement sec et sonore qui résonna avec force dans la pièce.

  Une vive goulée d'air s'engouffra dans mes poumons.

  Non...

  Coincée sous le Sirène, aspergé de son sang et le cœur battant à tout rompre, je lâchai mon arme pour le repousser et me relever. Vite, avant que ses collègues dans le couloir n'arrivent, alertés par le bruit !

  Malgré sa gorge à moitié ouverte, mon arme encore profondément enfouie à l'intérieur et le sang qui en dégoulinait et dans lequel il s'étouffait, le partisan chercha à me retenir. Comme si son poids mort ne me posait pas déjà assez de problème ! Quelques secondes me furent finalement nécessaires pour écarter le haut de son corps et libérer le mien.

  Un temps ridicule en d'autres circonstances, mais qui me parut interminable et qui s'avéra bien trop long : au moment où je me redressais enfin sur mon séant, la porte s'ouvrit.

  L'homme blond qui apparut, le soldat que nous avions dépassé avec Detlef, se pétrifia en découvrant le carnage. Je cessai également de bouger. Alarmé par le comportement de son collègue, le second garde arriva à son tour. Ses yeux s'arrondirent comme des soucoupes.

  –Mais qu'est-ce que...

  –Un souci ? s'enquit une voix depuis le couloir.

  Une voix que je ne reconnus que trop bien et qui me glaça les os jusqu'à la moelle.

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