Chapitre 74 - Partie 1

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KALOR


  –Comment vont-ils s'y prendre ?

  La voix de Lunixa se voulait assurée, mais elle ne parvint à cacher entièrement la nervosité qui venait de la gagner. Ma mâchoire se contracta.

  –Je ne sais pas. Magdalena ?

  –Je suis navrée, je l'ignore. Quand le Marquis a parlé des bienfaits qu'apportaient votre épouse, il songeait à ceux que généreraient sa disparition et au fait que ce ne serait plus qu'une question de minutes une fois que Detlef la sortirait de la salle.

  –Detlef ?

  –Celui qui doit la conduire hors d’ici. Un homme brun d'une trentaine d'années, je dirais. Le Marquis a visualisé son visage, mais il n'a pensé ni à sa race ni à la façon dont son sbire doit s'y prendre

  Le feu s'agita dans mes veines.

  –Rien d'autre n'a traversé l'esprit d'Ulrich ?

  –Il a aussi songé à vous lorsqu'il a évoqué l'homme digne d'épouser sa fille.

  –Évidemment...

  –Mais à part cela, non.

  Mon expression s'assombrit, ce qui suffit à Lunixa pour comprendre le contenu de mon échange psychique avec sa femme de chambre. Elle encaissa cette absence de précision d’une inspiration tendue, puis jeta un regard à Baldr, toujours beaucoup trop entouré à mon goût. Ses doigts jouèrent avec le dangereux collier à son cou.

  –Peu importe leur plan, je vais devoir le suivre.

  –Lunixa...

  –Nous en avons déjà parlé, Kalor, m'arrêta-t-elle en replongeant ses yeux dans les miens.

  Une détermination si intense luisait à l'intérieur que l'appréhension qui les habitait également parvenait à peine à la ternir.

  Une sombre colère se joignit à ma tension, l'accentuant à tel point que l'air peina à gagner mes poumons. Je savais bien que laisser nos ennemis croire qu'ils arrivaient à leurs fins était le meilleur moyen de les avoir ; surtout s'ils nous séparaient. Nous pourrions ainsi démanteler les différents groupes sans que les autres ne soient au courant et sans qu'ils ne modifient leurs plans en conséquence J'étais parfaitement conscient de tout cela. Comme du fait que Lunixa était loin d'être sans défense et que Magdalena veillerait sur elle, même si cette dernière ne pouvait pas vraiment accéder à son esprit. Cependant, je ne pouvais m'empêcher d'être inquiet à la perspective que Lunixa s'expose à un si grand danger. Toutes les fibres de mon être me hurlaient de la jeter sur mon épaule et de la téléporter aussi loin que mes pouvoirs me le permettraient.

  Mais si je laissais mes pulsions prendre le dessus, le Marionnettiste serait toujours libre et nous vivrions dans la crainte de son ombre. Nous devions l'arrêter aujourd'hui, afin d’empêcher définitivement la Cause de l'utiliser.

  –Magdalena, montrez-nous le visage de ce Detlef, que nous vous aidions à le trouver.

  J'avais à peine fini de formuler mon ordre qu'un portrait prenait forme dans mon esprit. Les traits n'étaient pas très clairs, certains étaient même changeants. Magdalena n'avait dû voir cet homme qu'un court instant. Il lui était impossible de se le représenter avec précision si Ulrich n'y pensait plus. Cependant, l'esquisse qu'elle me présentait comportait assez de détails pour avoir une idée de la personne que nous cherchions : un homme brun, au visage fin et doté d'un nez busqué qui détonnait avec la délicatesse du reste de son faciès.

  Avant de nous séparer pour nous replonger dans la réception, je décrivis à Lunixa ce sbire, en insistant sur ce contraste distinctif. Repérer un tel indice au milieu d'une foule si grande s'annonçait toutefois compliquer et les sollicitations de nos invités, qui reprirent rapidement, ne nous facilitaient en rien la tâche. De plus, je ne pouvais m'empêcher de garder Ulrich à l'œil. Magdalena avait beau être connectée à son esprit, c'était plus fort que moi. Je devais savoir où il était, ce qu'il faisait.

  À quelques reprise, ce salopard posa les yeux sur moi au moment où les miens glissaient vers lui. Et à chaque fois, un sourire suffisant soulevait le coin de ses lèvres. Mon pouvoir s'agitait alors de colère et de cette crainte qui me collait à la peau dès qu'il était dans les parages. Ulrich avait très bien compris que j'essayais de deviner ses intentions et il s'en délectait.

  Rester loin de Lunixa et Baldr m'était également devenu également plus difficile depuis son arrivée. La salle était vaste et les convives nombreux. Nous ne pouvions rester agglutinés au même endroit durant toute la réception. Avec Valkyria, nous faisions évidemment notre maximum pour rester à proximité ou de les avoir au moins dans notre champ de vision, mais cela me restait horriblement difficile. Certains Lathos n'avaient besoin que d'un seconde pour leur faire du mal.

  Près d'une heure s'écoula ainsi. Près d'une heure à passer les visages en revue, à la recherche de ce Detlef. Près d'une heure à danser dangereusement au milieu de nos invités afin de toujours nous voir. Près d'une heure à surveiller Ulrich. Quand soudain, je surpris ce dernier hocher la tête en fixant un point précis dans la foule. Une vague de pouvoir m'échappa ; je devins sourd aux paroles du Comte et de la Comtesse Erlingski.

  –Magdalena ! appelai-je en tournant la tête vers la zone qu'observait Ulrich.

  –Je sais ; je gardais une part de mon attention sur son esprit.

  –Qui regardait-il avec autant d'insistance ? Detlef ?

  –Non, une domestique. Elle est en train de quitter la salle aller prévenir ce dernier.

  Mon rythme cardiaque s'accéléra alors que je sentais ma vue s'affûter, comme toujours avant un combat. En un instant, mon attention fut de nouveau sur Lunixa, qui se trouvaient en compagnie de Mathilda et Thor. Notre belle-sœur lui tendait son fils et Lunixa le prenait avec une appréhension qu'elle peinait à dissimuler. Elle avait fait son possible pour y échapper depuis notre retour au palais, mais elle ne pouvait s'éclipser chaque fois que Mathilda était sur le point de le lui confier.

  –Que doit lui ordonner la domestique ?

  –Elle doit simplement l’avertir que le plan vient d’être enclenché. Detlef saura quoi faire.

  –Et elle, le sait-elle ?

  –Elle n’en a pas l’air.

  Cela ne me surprit guère. Il savait que je me doutais de quelque chose. Ne pas confier à ses pions l’intégralité de ses plans m’empêcherait de leur arracher leurs intentions si jamais je mettais la main sur l’un d’eux.

  Un sourire à la fois sincère et crispé étira les lèvres de Lunixa lorsque Baldr se retrouva blotti dans le berceau de son étreinte. Une main sur son épaule, Matty les couva tous les deux d'un regard maternel d'une rare chaleur. Alors que j'allais m'excuser auprès de mes interlocuteurs pour les rejoindre, Valkyria jaillit de la foule, juste à côté d'elles. Elle se pencha vers Baldr pour le cajoler et en profita pour prévenir Lunixa de la situation. Je le compris en voyant ma femme se tendre, puis se tourner vers moi.

  Son regard happa complètement le mien. Soudain, il n'y avait plus qu'elle et l'enfant qu'elle tenait dans ses bras. Les deux êtres visés par le sombre complot que nous tentions par tous nos maigres moyens de mettre en déroute. L'espace d'un instant, l'idée de tout rapporter à mon frère et mon père m'effleura l'esprit, mais je la repoussais en vitesse. Cela ne ferait qu'empirer la situation. La Cause ne chercherait plus à se cacher et ne viserait plus uniquement Lunixa et Baldr ; les soldats se retourneraient quant à eux contre Val et moi ; un véritable mouvement de panique exploserait ; bien des morts tomberaient avant une possible arrestation de nos ennemis...

  Non... Pour le moment, mieux valait que nous gardions le danger pour nous. Aussi difficile et dangereux était-ce.

  –Altesse ?

  J'arrachai mon regard de Lunixa et Baldr pour le reposer sur mes deux interlocuteurs.

  –Y a-t-il un souci ? s'enquit la Comtesse.

  –Non, pas le moindre. Je suis navré, mes yeux sont malencontreusement tombés sur mon épouse avec notre filleul et elle a happé toute mon attention.

  Un air plein de tendresse envahit le visage de la noble et elle porta une main à sa poitrine.

  –Je vous en prie, mon Prince, ne vous excusez pas pour cela, c'est tout à fait compréhensif. Dès que votre femme porte ce cadeau du ciel, elle rayonne de cet aura maternelle qui attire les regards... comme si elle lui avait elle-même donné la vie.

  –Tout à fait, approuva son mari avec une fermeté qui ne souffrait aucune contestation. Une vraie mère en devenir. Nous prions la Déesse pour que bientôt, ce soient vos enfants qu'elles tiennent ainsi dans ses bras.

  Mon ventre se tordit à ce compliment. Nous devions déjà attendre si longtemps pour que la mixité de notre couple ne soit plus un obstacle à la conception – sans parler de la possibilité qu’elle puisse nous en empêcher à jamais – et la Cause faisait tout son possible pour me rendre veuf avant que cela n’arrive. Lunixa risquait de ne jamais porter le fruit de notre amour contre sa poitrine, ni même en son sein.

  Cette sombre pensée décupla brusquement le besoin de la rejoindre. De la toucher, juste avant que je ne la laisse partir affronter ceux qui souhaitait sa mort.

  –Si vous voulez bien m'excuser.

  Une expression tendre et amusée passa sur les traits de la Comtesse alors que son mari inclinait la tête. Je leur rendis leur salutation, puis m'éloignai sans plus attendre. J'avais fait la moitié du chemin lorsque je la vis : l'expression d'Ulrich s'assombrir.

  –Altesse, à du buffet...

  Cette indication fut la seule que Magdalena me souffla, mais il ne m'en fallut pas plus pour trouver ce que mon chef fixait avec tant de dureté. Si sa chevelure ne ressortait pas autant que celle de Lunixa, elle détonnait tout de même au milieu des convives et je la cherchais depuis bien trop longtemps pour la manquer.

  Lokia.

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