Chapitre 71 - Partie 1

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LUNIXA


  C'était donc cela, l'havankila ?

  La plante entre mes doigts ne ressemblait pas du tout à ce que je m'étais imaginé. Il s'agissait d'une fleur à cornet de la taille d'une rose, composée de cinq pétales incarnats en forme de cœur qui entouraient un proéminent pistil jaune, et d'une douceur incroyable. Si j'étais tombée dessus au cours d'une promenade, nul doute que je l'aurais cueilli pour en orner ma coiffure ou la mettre en vase. Elle dégageait en outre un parfum si différent de l'ordinaire. Prononcé, mais presque délicat, comme légèrement fruité, sucré.

  Oui, absolument rien dans l'apparence de l'havankila ne laissait sous-entendre sa dangerosité, contrairement à ce que je m'étais figuré. Il n'y avait même pas d'épine sur sa tige au duvet soyeux. Elle semblait plutôt avoir été créée pour donner envie de s'en emparer.

  Et pourtant, si je la manipulais et la humai sans crainte, Freyja, elle, avait revêtue tout un attirail pour la toucher. Une longue blouse aux manches resserrées au niveau des poignet la protégeait de toute projection. Un morceau de tissu lui couvrait le bas du visage pour l'empêcher d'inspirer le pollen et les émanations empoisonnées. Le bout des doigts de ses gants avait été plongé dans de la cire chaude pour lui ajouter une protection supplémentaire et d'étranges lunettes, dont l’armature en métal étendue entourait ses yeux sans laisser le moindre espace, reposaient sur son nez. Elle avait aussi installé sa table de travail sous une fenêtre du grenier, qu'elle avait ouvert en dépit de la fraîcheur nocturne. Ainsi, les effluves toxiques s'échappaient tout de suite de la pièce et ne risquaient pas de se répandre dans le reste de la maison.

  J'avais déjà vu les effets de ce poison lorsqu'il était dilué et préférais ne pas songer à ceux qu'il pouvait avoir avant d'être traité. L'ensemble de la fleur était toxique pour les Lathos, m'avait expliqué Magdalena lorsqu'elle avait placé un large morceau de tissus sur ses voies respiratoires, avant de monter sous les combles. Le moindre contact, même un simple effleurement, leur brûlaient la peau.

  Les gestes de Freyja ne comportaient pourtant aucune crainte. Elle prenait certes des précautions avec sa toilette, mais même protégé de la sorte, la simple idée de se trouver à proximité de cette plante devait effrayer bon nombre de Lathos. Freyja, elle, empoignait les fleurs, arrachait les pétales, broyait les différentes parties de la plante dans des mortiers... La fluidité et la précision de ses mouvements donnaient l'impression qu'elle avait fait cela toute sa vie ; c'en était presque hypnotisant. Elle semblait même trouver un certain apaisement dans ces gestes. Était-ce parce qu'il s'agissait d’une routine qu'elle maîtrisait à la perfection ou parce que ces doses de poisons allaient contribuer à protéger sa sœur de cœur ? Probablement les deux.

  Tenir cette fleur toxique entre mes doigts, voir sa sève s'écouler dans un récipient en pierre et sentir son parfum se renforcer à mesure que Freyja en broyait avec son pilon raviva les sombres pensées que la perspective d’avoir de l’havankila avait fait naitre en moi. Avec quelques gouttes, je pourrais priver les partisans de leur pouvoir et les rabaisser au rang d'humain – ne serait-ce qu'un instant –, leur infliger un dixième de la fièvre qui avait consumée Kalor, effacer le rictus qui avait fendu les lèvres de son ancienne fiancée la nuit de nos renouvellements de vœux en lui brûlant la moitié du visage, comme j'avais effacé celui de l'Horloger le soir de mon rapt.

  –Lorsque vous aviez été capturée par l'Horloger, aviez-vous bu la boisson qu'il vous avait offert, Princesse ?

  Si j'avais suffisamment d'havankila, je pourrais même lui faire perdre le contrôle de l'eau, afin qu'elle se noie, comme elle m'avait noyée.

  –Princesse ?

  Et si j'avais des feuilles de stalowjy...

  –Lunixa ?

  Mon nom m'arracha brusquement à mes réflexions pour me ramener dans le grenier, où Freyja et Magdalena m'observaient, comme si elles attendaient quelque chose de moi. M'avaient-elles parlé ? Un profond malaise me gagna lorsque je compris que c'était le cas mais que mes sinistres idées m'avaient rendue sourde à mon environnement.

  –Hum, désolée, j'avais l'esprit ailleurs... Qui a-t-il ?

  –Le patron de la maison close vous avait donné un verre le soir de votre enlèvement, reformula Freyja. Y aviez-vous touché ?

  –À peine ; j'y avais tout juste trempé les lèvres. Pourquoi ?

  –Pour savoir si vous avez déjà goûté une boisson contenant de l'havankila, si vous reconnaîtriez sa saveur... Magda, remplis-moi un verre.

  Alors que Magdalena s'exécutait, je tentais de repousser mes sombres pensées, qui continuaient à tourner en boucle dans ma tête ; sans grand succès. Lorsque Magdalena déposa le verre devant son amie, qui y fit tomber quelques gouttes d'havankila avant de me le tendre, je pouvais encore les sentir juste là, à la lisière de ma conscience.

  –Tenez, fit Freyja. Prenez-en une gorgée et gardez-la en bouche.

  J'obéis sans hésiter. Comme l'odeur de la fleur l'annonçait, un goût sucré, loin d'être désagréable, envahit mon palais.

  –Faites-la tourner sur votre langue pour vous familiariser avec, me conseilla Freyja en reprenant sa préparation. Après, nous vous donnerons quelques verres d'alcool, de jus de fruits ou des tisanes et vous devrez deviner ceux qui en contiennent. Cela vous permettra de savoir si vos boissons ont été empoisonnées lors du baptême.

  Voilà qui était une excellente idée ! Pendant que Magdalena quittait le grenier pour préparer les verres en question, je m'imprégnais de cette saveur, humais l'eau pour me faire à son odeur diluée...

  Jus d'orange, jus de pommes, thé noir, thé verre, café, vodka, vin, bière, cognac, liqueur de fruit, même champagne, l'un des alcools les plus cher au monde, car il était uniquement produit dans une certaine région de Cesfran qui aurait autrefois portée le même nom... Magdalena n'avait pas fait les choses à moitié. Elle semblait avoir préparé l'ensemble des boissons que nous étions susceptibles de nous voir servir le lendemain et même plus. Freyja me demanda de me retourner, le temps qu'elle en empoisonne certaines, avant laisser à Magdalena la suite des opérations. Même si je n'aimais pas certaines boissons, je me pliais à l'épreuve sans discuter. Si j'étais capable de deviner si de l’havankila avait été versé dans les verres, la Cause perdrait un moyen de bloquer leurs pouvoirs de Kalor et sa sœur. Il était vital que j'y parvienne !

  Afin de diminuer les chances que je trouve les verres empoisonnés par hasard, il y en avait trois par boisson et Magdalena ne me les donnait pas tous à la suite, ce qui m'empêchait de les comparer entre eux. Du moins, était-ce ce qu'elle m'avait fait croire. Lorsqu'elle me tendit la deuxième coupe de vin rouge, je me rendis tout de suite compte que Freyja n'en avait pas empoisonné qu'une. Celle-ci contenait de l'havankila, ce qui était déjà le cas du premier. Elle n'avait également pas dosé toutes les boissons de la même façon : chez certaines, je percevais tout de suite le goût sucré de la fleur, mais chez d'autres, il était si subtil que j'aurais pu passer à côté si je n'avais pas su que mon verre était susceptible d'en contenir.

  Si je parvenais plutôt bien à le déceler dans les alcools, car une telle saveur n'était pas normal au milieu de leur amertume, le détecter dans les jus de fruit ou le thé, des boissons déjà sucrée, étaient bien plus difficiles. Je tentais d'y palier grâce à l'odeur, mais je n'arrivais toujours pas à être aussi sûre que pour les alcools. Mon plus grand doute concerna mon dernier verre. Un verre de jus d'orange. Il me fallut le vider de moitié avant de le reposer sur le plateau avec une moue contrariée.

  –Je ne suis pas vraiment certaine... Mais j'aurais dit oui ?

  Freyja secoua la tête.

  –Seul le deuxième en avait. (Je serrai les dents.) Mais à part ça, c'est un sans faute, enchaîna-t-elle avec une pointe d'étonnement, son regard balayant tous les verres que j'avais déclarés comme contaminés. Je ne pensais pas que vous réussiriez aussi bien dès la première tentative, surtout ceux où j'en avais mis très peu. Si vous n'oubliez pas le goût d'ici demain et que vous testez les verres de votre époux avant de l'autoriser à boire, il pourra en profiter sans crainte. Surtout que je doute qu'il prenne autre chose que de l'eau, de l'alcool ou du café, et vous avez toujours trouver dans ces cas-là.

  Même si j'étais toujours contrariée de ne pas avoir devinez pour le jus d'orange, ses paroles me rassurèrent. En effet, à par les femmes enceintes, très peu de personnes se faisaient servir autre chose que de l'alcool.

  Mon test étant terminé, Magdalena rassembla tous les verres sur le plateau, puis se dirigea vers la trappe. Elle allait descendre quand Freyja reprit la parole.

  –Pourrais-tu ramener mon pendentif porte-cendres en remontant ?

  Les épaules de Magdalena se tendirent, mais elle acquiesça avant de s'engager dans l'escalier.

  Pourquoi Freyja avait-elle besoin d'un tel médaillon ?

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