Chapitre 70 - Partie 1

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KALOR


  Comme Freyja n'avait pas encore fini de préparer nos doses d'havankila, Magdalena nous invita à nous installer sur le canapé et nous prépara du thé. J'acceptai cette pause avec reconnaissance. Cela faisait des semaines que je ne m'étais pas téléporté et passer du palais à la maison de Magdalena avec Lunixa m'avait demandé bien plus d'énergie que je n'aurais bien voulu l'admettre. Mon cœur pulsait si vite dans ma poitrine que j'avais l'impression d'avoir enchaîné une intense matinée d'entraînement. Si j'avais dû nous ramener à l'instant, je me serais purement et simplement effondrer une fois de retour dans mon bureau.

  Et dire que j'avais une fois réussi à emmener Lunixa et Magdalena avec moi à Pyhakko, alors que le trajet demandait près de dix heures de voyage en voiture. En sentant la fatigue qui s'était abattu sur moi pour le simple saut que je venais d'effectuer, je me demandais encore comment j'étais parvenu à accomplir un tel exploit. Je doutais de pouvoir un jour le reproduire.

  Pendant que Magdalena remplissait nos tasses – me donnant en plus un grand verre d'eau – et que Lunixa s'enquérait de mon état, la porte du premier étage s'ouvrit derechef et Freyja réapparut sur le palier, empêtrée dans une blouse qu'elle tentait d'enfiler en marchant. Sans nous accorder un seul regard, elle se tourna vers les marches menant au deuxième étage et disparut dans l'obscurité qui y régnait. Les quelques secondes où je la vis me furent toutefois suffisantes pour remarquer que ses gestes étaient toujours raides. Sa dispute avec Magdalena était-elle la seule raison de sa tension ? Ou bien y avait-il autre chose, qui serait également responsable de leur querelle ?

  D'après le regard de Lunixa, elle aussi se posait la même question. Vidant la moitié de mon verre, je m'apprêtais à interroger sa femme de chambre lorsqu'une nouvelle silhouette apparut sur le palier du premier étage.

  Alaric.

  Son teint était toujours d'une pâleur maladive, ses yeux ourlés de lourd cernes et brillants de fièvre, mais il ne portait plus la moindre attelle, ni le moindre bandage. Tandis qu'il se rapprochait de la rambarde, son regard dériva vers les ténèbres qui venait d’engloutir Freyja avant de se poser sur nous. Un demi-sourire souleva le coin de ses lèvres et il dévala les marches pour nous rejoindre. Mon soulagement fut tel qu'il occulta la surprise de le voir debout à cette heure avancée de la nuit. Enfin, il était guéri.

  Après un bref signe de la tête pour Magdalena, il salua Lunixa avec une légère inclinaison du buste, puis se tourna vers moi. Le silence s'installa dans la pièce, jusqu'à ce que Magdalena l'interrompe.

  –Je vais voir si Freyja a besoin d'aide. Faites comme chez vous, Altesses, Alaric.

  –Puis-je venir avec toi ? l'arrêta Lunixa, alors que sa camériste commençait déjà à s'éloigner. Je n'ai encore jamais vu d'havankila et j'aimerais y remédier.

  Maintenant qu'elle en parlait, nous lui avions en effet souvent parlé de cette fleur qui nous est toxique, mais sans jamais lui en montrer une ni même la décrire. Ces plantes étaient loin de proliférer dans la nature – Dame Nature, merci – mais en l'état actuel des choses, Lunixa pourrait très bien tomber dessus et en cueillir pour orner ses appartements, séduite par leur apparence.

  Freyja n'était peut-être pas dans les meilleures dispositions à notre égard cette nuit-là et nous voir étaient sûrement la dernière chose qu'elle désirait, mais Magdalena autorisa sans hésiter Lunixa à l'accompagner. Il fallait en effet instruire au plus vite ma femme sur l'havankila, avant qu'elle ne commette une erreur qui nous serait néfaste, tous autant que nous étions dans cette maison.

  Je les regardai donc partir en direction de l'escalier, puis, à leur tour, disparaître dans l'obscurité du deuxième étage.

  –Tu lui déjà as expliqué l'impact qu'aurait cette plante sur toi ? s'enquit Alaric.

  –Elle y a déjà assisté.

  Ces yeux s'écarquillèrent de stupeur alors que ma mâchoire se contractait à ce souvenir. Je me forçai toutefois à lui fournir une explication et lui racontai ce qu'il s'était passé durant la fête du Renouveau.

  –Eh bien, siffla-t-il, si j'avais encore eu le moindre doute sur le fait qu'elle tient vraiment à toi... Bien des Lathos t'aurait laissé souffrir seul pour éviter de se faire brûler.

  –Je sais.

  La dangerosité de mes pouvoirs, mes sautes d'humeur, mes violents emportements, ma brutalité... Je lui avais fait subir tous les aspects négatifs de ma personne, lui avais donné bien des raisons de me craindre, mais elle était toujours là, à mes côtés, à m'aimer.

  Et demain, la Cause va essayer de me l'enlever.

  Mon sang s'échauffa dangereusement à cette pensée et avant que je ne puisse l'en empêcher, une brusque vague de pouvoir m'échappa et embrasa les flammes des bougies.

  Bon sang !

  Je rappelai en vitesse le feu en moi et les langues incandescentes retrouvèrent une taille normale. La lueur d'inquiétude qui s'était allumée dans le regard de mon ami, en revanche, perdura.

  –Tout va bien, Kal ?

  –Oui, désolé. Je suis juste un peu fatiguée par notre voyage. Me téléporter jusqu'ici avec Lunixa m’a demandé pas mal de force.

  –Pour un saut aussi long, tu me parais pourtant en forme. Je me souviens encore d'une époque où tu ne pouvais faire deux mètres avec un passager sans t'effondrer.

  Un sourire en coin souleva mes lèvres. En effet, la toute première fois que je m'étais téléporté avec quelqu'un – avec lui, en l'occurrence – j'avais failli perdre connaissance alors que nous n'avions même pas quitté sa cellule.

  –C'était une autre époque, murmurai-je le regard perdu dans le vide, dans cette prison où il était resté enfermé durant trois longues années, empoisonné jour après jour. Mes pouvoirs se sont bien développés depuis lors.

  Si j'avais eu un dixième de mes capacités actuelles lorsqu'il était entre les mains de la Cause, jamais je n'aurais mis trois ans à l'en sortir. Hélas, cela n'avait pas été le cas et imaginer le contraire ne servait à rien – ce qui était fait était fait, nous ne pouvions retourner en arrière et changer le passé – aussi, m'obligeai-je à revenir au présent.

  –Et toi, comment vas-tu ? Freyja a bien fini de te soigner ?

  Il se laissa choir sur le fauteuil de l'autre côté de la table basse en hochant la tête.

  –Elle s'en est occupé ce matin. Je n'arrête pas de dormir depuis et je suis toujours fiévreux à cause de l'havankila, mais le cauchemar de mon Ascension est enfin terminé. D'ailleurs, je...

  Un soudain malaise envahit son regard et il baissa la tête, la fin de sa phrase mourant sur ses lèvres.

  –Ric ? m'étonnai-je.

  Il se passa une main nerveuse dans les cheveux.

  –Je... Je sais que j'ai très mal réagi quand tu m'as amené ici, mais merci de l'avoir fait et de m'avoir convaincu de rester malgré l'havankila. J'ignore ce que je serais devenu dans le cas contraire. Quelqu'un aurait sûrement fini par retrouver mon corps au fond d'un caniveau.

  –Comme si je t'aurais laissé partir dans ton état, soupirai-je en secouant la tête. Je t'ai peut-être donné l'impression d'avoir le choix, mais sache que j'étais prêt à t'assommer ou t'attacher au lit pour te maintenir ici de force. (L’ébauche d’un sourire amusé revint sur ses lèvres.) Alors ne me remercie pas ; vraiment. Tu n'en as pas besoin, Ric. Tout ce qui m'importe maintenant, c'est que tu te reposes pour recouvrer tes forces.

  La gêne dans son regard s'atténua.

  –D'ailleurs, en parlant de repos, enchaînai-je, que fais-tu debout ? Vu toutes les blessures qu'il te restait, je pensais que tu dormirais.

  –Oh, les soins de Freyja m'ont épuisé, ne t'inquiète pas. J'ai sombré au pays des songes dès qu'elle en a eu terminé et je n'aurais certainement pas ouvert l'œil avant demain matin si j'avais été seul. Mais elle est venue me réveiller pour les repas, puis il y a eu la crise de Frigg et leur dispute.

  –La crise de Frigg ? l'interrompis-je.

  Il acquiesça gravement.

  

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