Chapitre 65 - Partie 3

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  Ces dernières minutes ayant été riche en émotion, nous laissâmes Alaric petit-déjeuner sans l'accabler de question. Frigg nous en aurait de toute façon sûrement empêcher. Elle était au petit soin avec lui. Elle lui cuisina des œufs au plat avec du lard, lui prépara des tartines de confitures et une tarte aux pommes avec les fruits cueillis à notre arrivée, lui pressa du jus d'orange, lui chauffa un chocolat chaud... Si son attitude candide déroutait Alaric, il semblait surtout ne pas savoir comment réagir face à toute cette attention. À quand remontait la dernière fois que quelqu'un avait pris soin de lui ? Le voir ainsi me peinait autant que cela me réconfortait. Il avait mené une vie si dure que la moindre attention le désarçonnait, mais il retrouverait un peu de ce qu'il avait manqué durant sa convalescence ici. Frigg y veillerait. Je n'avais aucun doute.

  –Tu as vu, dieu du feu, Silencieuse ? Je m'occupe bien du grand mais petit dieu de la terre, nous fit-elle remarquer en lui servant un nouveau verre de jus d'orange.

  –Silencieuse ? répéta Alaric.

  Il osa relever la tête pour la première fois depuis le début du repas pour me jeter un coup d'oeil. Je n'eus pas le temps de m'interroger sur la réponse à donner que Frigg la lui fournit.

  –Bah oui. Elle parle pas beaucoup, donc c'est une Silencieuse. (Son sourire s'agrandit.) J'aime beaucoup la Silencieuse, moi.

  L'ami de Kalor n'insista pas, prenant ce surnom pour une autre fantaisie de sa drôle d'hôte, et se reconcentra sur son assiette.

  –Encore une part ? lui proposa Frigg lorsqu'il l'eut fini. Il faut bien manger pour reprendre des forces. Oui.

  Alaric secoua la tête.

  –C'était très bon, mais je n'ai plus faim. Merci, madame.

  Frigg fit la moue.

  –Non, pas Madame. Moi c'est Frigg. Frigg c'est moi.

  Il lui jeta un rapide coup d'œil avant de se tourner vers Kalor.

  –Nous pouvons parler devant elle ?

  –Oui, répondit Freyja en portant un café à ses lèvres. Il n'y a aucun risque qu'elle répète ce qu'elle entendra.

  La mère de Magdalena acquiesça avec ferveur.

  –Oui, je parle pas. J’ai promis.

  Il y avait également de forte chance pour qu’elle soit déjà au courant de ce qu'allait nous dire Alaric. À quel point avaient-elles lu les lignes du temps ?

  –Dans ce cas, que voulez-vous savoir ? demanda ce dernier tandis que Frigg verrouillait ses lèvres avec un clef imaginaire. Si je t'ai parlé du Marionnettiste hier, Kalor, je ne dois pas avoir grand-chose à ajouter.

  –Tu as juste eu le temps de le citer avant de reperdre connaissance, lui apprit Kalor. As-tu des informations sur lui ? Sais-tu à quoi il ressemble, la façon dont Ulrich l'a brisé, ce qu'il a prévu d'en faire...

  En voyant Alaric secouer la tête, mon inquiétude rejaillit avec force.

  –Je ne sais pas grand-chose : c'est un homme entre deux âges et il a résisté un moment avant de céder. J'ignore depuis combien de temps ils s'acharnaient sur lui, mais ils ne l'avaient pas encore brisé quand j'ai découvert qu'ils avaient trouvé et capturé un Marionnettiste. Leurs échecs répétitifs irritaient les hauts placés. Ils ont déjà prévu de l'utiliser lors d'un événement précis et, de ce que j'ai compris, ce fameux événement se rapproche. (Il plissa les paupières.) J'avais même l'impression qu'il pouvait survenir à tout instant et cette imprévisibilité rendait la reddition du Marionnettiste encore plus pressante. Je voulais découvrir de quoi il en retourne avant de te prévenir, précisa-t-il en posant les yeux sur Kalor, mais ils l'ont brisé avant que j'y arrive et je ne pouvais pas te laisser dans l'ignorance plus longtemps.

  Il s'arrêta dans un soupir. Alors que ses épaules s'affaissaient, il jeta un regard à Freyja, qui le fixait avec attention, son café toujours en main, avant de se concentrer sur son verre.

  –J'aurais dû te dire ça depuis deux bonnes semaines, au moins, mais mon ascension a frappé le lendemain de mon départ. Et après les dix jours effroyables qu'elle a duré, j'ai fini par mettre trois fois plus de temps à atteindre le palais. Si ça se trouve, ce fameux événement est déjà passé et la Cause parvenu à ses fins.

  –Ne te blâme pas pour ça, Ric, rétorqua Kalor en posant une main compatissante sur son épaule. C'est plutôt un miracle que tu sois arrivé jusqu'au château dans ton état. En plus, tu m'as averti à temps.

  Alaric releva vivement les yeux vers lui.

  –Vraiment ? Tu sais quand la Cause compte s'en servir ?

  Kalor opina gravement. Sa température devait augmenter de concert avec son humeur sombre, mais je ne perçus aucun changement. Il n'avait encore pas expliqué de quel façon la Cause comptait utiliser le Marionnettiste que déjà, toute chaleur me quittait. Un frisson me secoua lorsqu'il leur apporta plus de précisions. Sa main sur ma cuisse et les douces caresses de son pouce n'atténuèrent en rien mon malaise. J'avais déjà tué, mais le faire contre ma volonté ? Ôter la vie à un bébé ?

  Il ne restait plus que quatre jours avant le baptême...

  Alors que Kalor continuait à expliquer les intentions d'Ulrich à son ami et Freyja, mon regard dériva vers Frigg, qui préparait un nouveau chocolat chaud. Savait-elle comment toute cette histoire allait se terminer ? Contrairement à ce que nous espérions, les autres informations d'Alaric n'allaient pas nous permettre de mieux nous préparer.

  Ne pouvant chasser cette interrogation de mon esprit, j'allais la retrouver dans la cuisine. Elle m'accueillit avec son éternelle expression émerveillée, puis me tendit la tasse.

  –Tiens, Silencieuse. C'est pour toi.

  Un sourire sans joie s'étira sur mes lèvres.

  –Merci, mais je ne peux pas en boire. Je suis allergique au chocolat.

  –Mais tu as besoin de prendre des forces. Tu as toujours besoin de prendre des forces. Sinon, tu deviens toute maigre.

  –Je sais. Malheureusement, je ne peux vraiment pas boire une boisson qui contient du chocolat, sinon je tombe malade. En plus, j'avais une question à te poser. (Elle pencha la tête sur le côté.) As-tu lu dans les lignes ce qu'il va se passer durant le baptême de Baldr ? demandai-je dans un murmure.

  –Baldr ? C'est pas le nom d'un bébé ça. T'en as pas appelé comme ça.

  Tous mes muscles se tendirent et je jetai un regard nerveux à la salle à manger. Ils étaient encore si pris par leur conversation qu'aucun ne semblait avoir entendu Frigg. Je lâchai un soupir.

  –Ce n'est pas mon bébé, mais mon futur filleul.

  –Oh. Le filleul... Le filleul va bientôt naître, aussi, oui.

  –Il l'est déjà, Frigg.

  –Ah oui ?

  –Oui, c'est pour cette raison que j’aimerais savoir si tu as vu son baptême dans les lignes. La Cause veut lui faire du mal.

  Son sourire retomba et elle se renfrogna alors que ces doigts se crispaient sur la tasse.

  –C'est à cause de l'Imposteur qu'ils se sont éloignés du droit chemin. Ce n'est pas bien. Ils ne devraient pas faire de mal. Non. Ils ne devraient pas, ne devraient pas, ne devraient pas. Ça fait des tâches rouges. J'aime pas les tâches rouges. Toi non plus t'aimes pas les tâches rouges. Mais il y en a partout, toujours partout. Sur le sol, sur le mur, sur la terre, sur ceux qui se sont éloignés du droit chemin, sur ceux qui suivent encore la mission, sur les dieux des éléments, sur les humains, sur le filleul, sur Varmi, sur les parents, sur les enfants, sur les mains, sur tes mains. Partout. Partout des tâches rouges.

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