Chapitre 65 - Partie 2

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  Après que Kalor lui eut dit de nous appeler s'il avait besoin de quoi que ce soit ou quand il serait prêt à parler, nous quittâmes la chambre afin de lui laisser l'espace dont il avait besoin pour respirer. Frigg tenta à nouveau de contourner sa fille de cœur – elle voulait faire un câlin au grand mais petit dieu de la Terre –, mais Freyja l'attrapa par le poignet et la traîna à travers le couloir. Alors qu'elles atteignaient les escaliers, Kalor m'arrêta et prit mon visage entre ses mains.

  –Je vais bien, murmurai-je en englobant son poignet. Il n'a pas eu le temps de me faire de mal.

  –Je t'ai trouvé à terre, me rappela-t-il.

  –Il m'a pris de cours. Et je n'étais pas vraiment par terre, j'étais en train de me redresser.

  Son sourcil gauche se leva, message subliminal pour me faire comprendre ce qu'il pensait de cette nuance.

  –Il n'a en plus aucune force, insistai-je. Même s'il a réussi à me faire tomber, je l'aurais maîtrisé facilement si tu n'étais pas arrivé.

  Kalor secoua la tête, peiné.

  –Non, ça n'aurait rien eu de facile. Alaric... Alaric a un lourd passé avec la Cause. Puisqu'il te prenait pour l'une de leur Métamorphe, il se serait démené jusqu'à l'effondrement pour t'empêcher de le ramener auprès d'eux.

  Baissant les yeux, je poussai un soupir alors que mon cœur se serrait.

  –Je sais...

  Un infime spasme agita la paume sur ma joue.

  –Tu sais ? répéta Kalor.

  L'air se bloqua dans mes poumons.

  Oh Dame Nature... Qu'avais-je dit ?

  Hésitante, je relevai la tête et le retrouvai l'air désemparé.

  –Je...

  Sa main quitta brusquement mon visage.

  –Qu'as-tu voulu dire par « Je sais », Lunixa ?

  Je déglutis avec difficulté avant de fermer les paupières, résignée.

  –Je connais les grandes lignes de son histoire avec la Cause, de votre amitié... et ce qu'elle t'en a coûté.

  Je pris sur moi pour rouvrir les yeux et l'affronter, mais je n'étais pas prête à sa réaction. Pour la première fois depuis que je le connaissais, Kalor avait pâli, une douleur telle que je n'en avais plus vu depuis qu'il pensait que je l'avais rejeté en découvrant sa nature habitait son regard et une ombre que je n'avais jamais vu chez lui la côtoyait.

  L'ombre de la peur.

  –Qui t'a raconté ça ? murmura-t-il d'une voix blanche. Valkyria ?

  La gorge nouée, j'acquiesçai.

  –Le lendemain de la fête du Renouveau, elle voulait te voir, mais comme tu m'avais demandé de ne pas la laisser t'approcher, nous nous sommes installées dans le salon et nous avons discuté. Elle a fini par m'avouer que ce n'était pas la première fois que le Marquis Piemysond t'avait empoisonné.

  La souffrance dans ses yeux s'accentua. Je me détestai tant d’en être à l’origine.

  –Que t'a-t-elle dit, exactement ?

  –Seulement ce que j'avais besoin de savoir : que le Marquis a acheté Alaric à cause de sa puissance, qu'il l'a torturé quand ce pauvre garçon a refusé de se soumettre, puis que ta mère vous a un jour emmené le voir dans sa cellule, que vous vous êtes lié d'amitié et que tu as fini par l'aider à s'enfuir, mais que le Marquis te l'as fait payer... Elle n'est pas rentrée davantage dans les détails et je n'ai pas cherché à en savoir plus.

  –Pourquoi ?

  –Car si quelqu'un doit m'en parler, c'est toi et seulement car tu en auras décidé ainsi, Kalor. Je comprends pourquoi tu ne l'as pas encore fait et je ne t'en voudrais pas si tu choisissais de ne jamais le faire. Il y a des choses que nous avons vécu que nous ne souhaitons pas ramener à la surface et je ne tiens pas à retourner ton passé pour découvrir ce qu'il en ait. Le peu que je sais me suffit et cela ne change rien à ce que je ressens pour toi. Tu en as également assez souffert... Cependant, si tu tiens à te confier, si tu penses qu'en parler te ferait du bien, sache que je serais là. Je t'écouterais.

  J'appuyais mes mots d'un doux baiser sur ses lèvres brûlantes, puis gardai une main sur sa joue. L'expression encore douloureuse, il eut du mal à soutenir mon regard, mais les muscles de sa mâchoire finirent par se détendre sous ma paume et il opina.

  –Merci.

  Un petit sourire souleva le coin de mes lèvres et je l’embrassai à nouveau avec tendresse.

  –Êtes-vous vraiment humaine ?

  Mon cœur bondit dans ma poitrine alors que Kalor se tournait vivement vers la chambre que nous avions quitté à peine quelques minutes plus tôt. Alaric se tenait appuyé au chambranle, pantelant et les yeux brillants.

  –Normalement, quand un humain découvre qu'il s'est marié avec l'un de nous, il hurle et court au poste le plus proche pour nous condamner. Il ne lui parle pas, ne le regarde pas, ne le touche pas, ne lui sourit pas et ne l’embrasse certainement pas comme vous venez de le faire.

  Oh Dame Nature, c’était de cela qu’il voulait parler. L’espace d’un instant, j’avais cru qu’il savait que j’étais une Stracony.

  –Comme certains Lathos ne détestent pas les humains, nous ne vous exécrons pas tous. Même si nous devons être peu nombreux, reconnus-je tandis que mon pouls retrouvait son rythme.

  –Extrêmement peu nombreux, plutôt.

  Je dus hélas concéder d'un geste de la tête. Son regard s'attarda un instant sur moi avant de glisser vers Kalor.

  –Je comprends mieux ta volonté de la protéger. Non seulement ton mariage avec elle t'a empêché de devenir le gendre d'Ulrich et tu l'aimes, mais tu n'as en plus rien perdu au change puisque tu n'as pas à te cacher même si elle est humaine.

  –Elle est aussi la preuve que nos deux espèces peuvent vivre ensemble, déclara Kalor en m'attirant contre son flanc.

  –Et que tes rêves n'étaient pas qu'illusion, ajouta Alaric, contrairement à ce que la Cause te répétait sans relâche.

  Kalor acquiesça, puis me coula un regard gorgé d'espoir avant de se reconcentrer sur son ami.

  –Tu avais besoin de quelque chose ?

  –Manger ? Je meurs de faim. Et je me disais que je pourrais en profiter pour répondre à vos questions, puisque je t'ai apparemment parlé du Marionnettiste. Ainsi que pour m'excuser, ajouta-t-il avec une grimace. (Baissant les yeux, il se gratta l'arrière de la tête, mal à l'aise.) Désolée de vous avoir attaquée, Princesse.

  –C'est déjà oublié.

  Alors qu'un demi-sourire crispé qui tira sur ses cicatrices s'étendait maladroitement sur son visage, les doigts de Kalor exercèrent une légère pression sur ma taille en signe de remerciement silencieux. Après un rapide baiser sur ma tempe, il me lâcha pour rejoindre son ami et lui apporter son soutien jusqu'à la cuisine.

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