Chapitre 63 - Partie 1

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LUNIXA


  Mes yeux s'ouvrirent d'un coup.

  Quelqu'un venait de se glisser derrière moi. Même endormie, je le perçus tout de suite. Le sommeil ne parvenait plus à m'emporter toute entière depuis la naissance de Baldr et la présence de Kalor à mes côtés ou la surveillance de Magdalena n'y changeait rien. Une part de mon esprit restait constamment éveillée, à l'affût de tout, et la soudaine arrivée de l'inconnu ne lui avait pas échappé.

  Un poignard se créa aussitôt au creux de ma paume alors que je m'obligeais à rester immobile pour ne pas me trahir et que mon pouls accélérait.

  Un soubresaut perturba sa course lorsque je me rendis compte que la place de Kalor était toujours vide. La nuit régnait encore en maître et l'obscurité m'empêchait de la voir, mais l'absence de chaleur me suffisait pour comprendre. Était-ce lui, qui venait d'entrer dans la chambre ? Non. Il savait que je me tenais sur mes gardes. Il ne se faufilerait pas ainsi dans mon dos, sans faire de bruit. Celui derrière moi suintait en outre d'une profonde animosité.

  Le cœur battant, je raffermis ma prise sur ma lame.

  –Lunixa ?

  Je retins mon souffle.

  –Lunixa, ma chérie, réveille-toi.

  La voix grave aux accents pressés et courroucés joignit le geste à la parole, et une main appuya sur mon épaule.

  Une main dont la température anormalement élevée me parvint à travers le tissu de ma manche.

  Toute la tension qui m'avait assaillie me quitta aussi vite qu'elle m'avait gagnée.

  –Par la Déesse, Kalor...

  Il alluma la bougie sur ma table de nuit tandis que je me redressais et me tournais vers lui. Un battement plus tard, il empoignait mon menton entre ses doigts brûlants et me forçait à relever la tête. Je cessai de respirer. Il me fixait d'un regard si noir et une telle inimitié se dégageait de lui que je restais là, pétrifiée sur le lit, à le dévisager sans comprendre. Une part de moi se préparait même à accuser un déferlement d'accusations. Je n'avais aucune idée de ce qu'il me reprochait, mais il y avait forcément quelque chose. La seule fois où il m'avait toisée de la sorte remontait à notre dispute au sujet de la maison Irigiyès.

  La faible lumière de la bougie ne faisait que renforcer cette impression. Les ombres qu'elle faisait danser sur son visage accentuaient la dureté de ses traits, l'angle de sa mâchoire, la ride sévère entre ses sourcils, comme s'il avait été taillé à la serpe. L'éclat flamboyant qui se reflétait quant à lui dans ses prunelles rendait son regard plus tranchant qu'il ne l'était déjà, le transformant en une lame acérée sur le point d'être utilisée.

  Pourtant, les secondes passèrent et aucun blâme ne franchit ses lèvres. Il ne faisait que m'observer avec intensité, effleurer ma joue du pouce, repousser mes cheveux... Chacun de ces gestes étaient même empreint d'une tendresse en totale contradiction avec l'hostilité qui émanait de lui. Comme s'il éprouvait un besoin primaire de me toucher, de me regarder. Cette attitude me perdit définitivement.

  –Kalor ? Que se passe-t-il ?

  Il ne me répondit pas et continua à me caresser le visage de ses yeux ou de ses doigts.

  –Kalor ? insistai-je en me levant du lit.

  Il suivit mon mouvement sans réagir davantage. Ma poitrine se contracta. Inquiète, je l'étudiai à mon tour, à la recherche d'une explication à son comportement, et l'étau qui m'écrasait se resserra quand je remarquai l’ecchymose qui assombrissait sa mâchoire crispée.

  –Dame Nature...

  Je rapprochai ma main, mais me rétractai juste avant de toucher sa contusion.

  –Qui t'a fait ça ? Par la Déesse, Kalor, parle-moi.

  Je posai mes doigts sur les siens et ce contact sembla enfin le ramener à lui. Une pointe d'interrogation fissura la noirceur de son expression et il fronça les sourcils de plus belle.

  –Fais ça ?

  –Ta mâchoire. Tu es blessé.

  Retirant avec réticence sa main de ma peau, il toucha son hématome sans la moindre délicatesse et une infime grimace tordit sa bouche.

  –Dame Nature, je ne pensais pas qu'il m'avait frappé si fort. Freyja aurait pu me prévenir.

  Il ? Freyja ?

  –Je me disais bien qu'elle me laissait m'en tirer trop facilement après ce qu'il s'est passé, poursuivit-il. Je lui demanderais de me soigner demain, quand je retournerai chez Magdalena.

  Après ce qu'il s'est passé ? Chez Magdalena ?

  Mais que s'était-il passé à la fin ?

  Mes questions devaient se lire sur mon visage, car Kalor consentit enfin à me répondre.

  –Mon informateur est revenu il y a quelques heures. Comme il était gravement blessé, je l'ai conduit à Freyja et nous avons eu un malentendu un peu musclé. Je n'ai pas été attaqué par quelqu'un qui me voulait vraiment du mal, ne t'inquiète pas. Enfin, ne t'inquiète pas pour cela, se corrigea-t-il. La nouvelle qu'il m'a apportée...

  La flamme de la bougie grandit de concert avec la dureté de son ton. L'espace d'un instant, je crus même voir ses prunelles virées à l'orange. Si je n'en étais pas sûre à cause de la lueur flamboyante qui s'y reflétait, la vague de chaleur qui lui échappa au même moment finit définitivement par me nouer l'estomac et me faire craindre le pire.

  Malgré toute ma volonté pour masquer mon inquiétude, elle dut miroiter dans mes yeux, car Kalor engloba soudain mes joues entre ses paumes puissantes et brûlantes.

  –Je ne le laisserai pas se servir de toi, Lunixa.

  –Se servir de moi ? hoquetai-je.

  Sa mâchoire se contracta davantage et il hocha gravement la tête.

  –Ulrich a mis la main sur un Marionnettiste.

  Alors que je n'aurais pas cru cela possible, son regard s'assombrit encore si fort lorsqu'il prononça ce nom que j'eus du mal à respirer. Cette race – car il s'agissait forcément d'une race lathienne – m'était pourtant inconnue.

  –Que sont-ils ?

  La chaleur de sa peau devint à peine supportable.

  –Connais-tu les Animalistes ? me demanda-t-il.

  –Hum...

  Encore perturbée par son attitude et le brouillard qui flottait autour de sa nuit mouvementée, il me fallut quelques secondes pour mettre de l'ordre dans mes pensées.

  –Oui. Oui, il me semble. Ce sont les Lathos qui peuvent transférer leur esprit dans le corps d'un animal afin de le contrôler.

  Il acquiesça.

  –Ils ne sont cependant pas toujours capables de se glisser dans n'importe quel animal, nuança-t-il. Comme toutes les races, ils ne sont pas tous égaux et leur puissance influence à la fois leur temps de possession et leurs hôtes. Certains sont limités aux petits animaux et à une dizaine de minutes, d'autres peuvent parasiter n'importe quel animal pendant une journée entière, et les plus puissants... Les plus puissants de tous sont capables de parasiter des humains ou des Lathos.

  –Pardon ?

  –Ils sont presque aussi rares que les Liseurs et ne peuvent rester plus d'un quart d'heure dans un homme, mais ils existent bien et cette horrible capacité leur vaut d'être appelé par un autre nom, afin de les distinguer du reste de leur race, à l'instar des Guérisseurs et des Assassins. Ce sont eux, les Marionnettistes.

  Un tel Lathos avait rejoint la Cause ? Que comptait en faire le Marquis Piemy...

  « Je ne le laisserai pas se servir de toi. »

  Mon visage se vida de toute couleur.

  –Tu... Tu penses que ce Marionnettiste veut prendre possession de mon corps ?

  –Je ne le pense pas, j'en suis persuadé. Ulrich aurait pu t'épargner en attendant la naissance de Baldr, car il vaut mieux organiser un double assassinat qu'en enchaîner deux à la suite, afin d'éviter de se heurter à une protection décuplée la seconde fois. Il aurait donc pu agir par précaution, au cas où Baldr serait bien le fils de Thor ; mais nous savons qu'il n'en est rien. Depuis le début, il a un plan te concernant pour lequel il en est arrivé à espérer que notre filleul soit bien l'héritier de mon frère, ce qui signifie que ce plan ne peut être appliqué sans lui. Que, d'une façon ou d'une autre, Baldr a un rôle majeur à y jouer.

  –Mais c'est juste un nourrisson

  –Oui et c'est là que je bloquais. Baldr ne peut rien faire, la Cause ne va certainement pas attendre qu'il grandisse pour se servir de lui et sa mort ne causerait pas la tienne... Exceptée si tu en es l'auteure. Et quoi de mieux pour que personne ne doute de ta culpabilité que de te faire commettre l’irréparable au vu et au su de tous ?

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