Chapitre 62 - Partie 1

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KALOR


  Le corps d'Alaric s'enfonça à peine dans le matelas lorsque je l'y déposai. Frigg ajusta avec précaution ses jambes, puis le drapa, dissimulant les attelles de son bras et de sa jambe sous la couverture. Freyja n'avait pas pu le soigner entièrement. Non pas qu'elle n'ait l'énergie nécessaire. En dépit des innombrables fractures qui avaient parfois réduits les os de Ric en pièces, elle aurait été capable de toutes les guérir si elle en avait eu la possibilité. C'était Ric, qui n'aurait pu le supporter. À cause de sa mâchoire cassée, il avait été incapable de manger et de boire correctement depuis son Ascension, et il souffrait de dénutrition et de déshydratation. Freyja avait donc brisé tous les cals vicieux, replacé l'ensemble des os, puis ressoudé les fractures les plus urgentes et les plus délicates, avant d'immobiliser le reste avec des attelles ou des bandages, le temps qu'elle s'en charge dans deux jours, quand il aurait recouvré des forces.

  Malgré ses blessures encore nombreuses, Alaric paraissait bien plus serein qu'au début de ses soins. La disparition du sang et de la crasse qui maculaient sa peau n'était pas étrangère à cette impression d’apaisement, de même que la disparition de ses fractures faciales. Ces dernières avaient été une priorité, afin qu'il puisse de nouveau se nourrir, et seules ses nombreuses cicatrices déformaient encore son visage à présent. Mais surtout, on aurait cru qu'il sentait, en dépit de l'anesthésie, que son corps était sur la voie de la guérison.

  –Plus que deux jours, mon ami, murmurai-je en serrant sa main valide. Tout ceci ne sera bientôt plus qu'un très mauvais souvenir.

  Assise en tailleur sur le lit, à côté de lui, Frigg hocha la tête.

  –Il est plus tout seul, maintenant et la bouche est réparée. Même s'il a encore eu peur à cause des médicaments de Freyji quand il s'est réveillé, il va aller mieux. (Elle caressa ses cicatrices.) Je peux pas le soigner comme la déesse de la terre, mais je vais aussi aider. Je vais faire plein de bons plats et lui donner plein d'eau. (Elle releva la tête vers moi.) Je te promets, dieu du feu.

  Connaissant l'importance de ses promesses, je ne pus empêcher mes lèvres de se soulever.

  –Merci, Frigg.

  Elle me retourna mon sourire. L'innocente sincérité qui se dégageait du sien chassa les dernières traces d'inquiétude qui m'habitaient. Reportant mon attention sur Alaric, je restai avec elle pour le veiller, rassuré à l'idée de sa rémission prochaine et du soutien qu'elle allait lui apporter.

  Hélas, la réalité ne tarda pas à me rattraper et une tension pernicieuse se propagea à nouveau sous ma peau. Ric n'était pas seulement venu au palais pour chercher mon aide ; il voulait aussi me transmettre une information. Une information qui concernait Ulrich.

  Mon regard se porta un instant sur ses yeux clos, ourlés de profonds cernes qui renforçaient son teint blafard, puis je sortis de la chambre.

  –Freyja ?

  –Ici.

  Je m'avançai jusqu'à la rambarde de l'escalier et la trouvai installée sur le rebord d'une fenêtre. La bougie l'éclairait juste assez pour que je distingue son air songeur et le lierre enroulé autour de son bras.

  –Que fais-tu ? m'enquis-je en apparaissant à ses côtés.

  Était-elle là depuis que nous étions partis avec Frigg pour laver Ric ? Son matériel médical traînait encore sur la table basse, couvert de sang.

  –Je pense avoir compris, déclara-t-elle. (Je haussai un sourcil.) Cette histoire de résonance.

  Au moment où elle prononça ces mots, la liane poussa autour de son bras, puis s'éleva depuis sa paume. Des feuilles croissaient à mesure qu'elle s'allongeait.

  –Ça, c'est ce qu'il se passe quand j'utilise mes propres pouvoirs, déclara Freyja. Et ça...

  Elle ferma les yeux. Quelques secondes passèrent, puis le lierre se développa soudain à toute vitesse. En une seconde, il atteignit son autre main et dévala son bras. Freyja l'observa une seconde de plus avant de rappeler son pouvoir. La progression de la plante se stoppa net au niveau de son épaule.

  –Ça, c'est ce qui arrive quand j'entre en résonance avec Alaric. Pour la même dose de pouvoir que j'insuffle, les effets sont démultipliés. (Une grimace tordit ses lèvres.) Maîtriser tout ça va visiblement demander un peu de travail, marmonna-t-elle en fixant un point en face d'elle.

  Je jetai un œil à l'objet de son antipathie : les plantes qui s'étaient déjà développées quand ils s'étaient reconnus. Elles l'étaient encore plus à présent.

  –Comment fais-tu pour entrer en résonance avec lui ?

  –J'ai écouté mes pouvoirs et je me suis rendu compte qu'un infime écho résonnait au plus profond de moi. Même s'il est si faible que j'ai failli passer à côté, je n'avais jamais rien senti de la sorte alors je me suis concentrée dessus et j'ai essayé de mettre l'ensemble de mes pouvoir en diapason avec lui. Le résultat s'est tout de suite fait sentir, conclut-elle en observant le lierre entre ses mains et les autres plantes. Ma puissance se décuple sans me demander plus d'énergie.

  –Tu te sers de la sienne ?

  –Je ne crois pas, non. J'ai plus l'impression qu'entrer en résonance réveille notre vrai potentiel.

  J'assimilai ces informations d'un hochement de tête tout en observant les plantes qui avaient brisé leur pot et s'étaient répandues partout. Si une femme comme Freyja, qui maîtrisait ses capacités élémentaires à la perfection, avait du mal à se contrôler quand elle entrait en résonance avec son pair, mieux valait que je ne rencontre jamais la mienne. J'aurais tôt fait de dévaster les environs.


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