Chapitre 60 - Partie 2

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  J'avais beau la voir souvent depuis la naissance de Baldr, je ne pus m'empêcher de l'observer avec attention pendant qu'elle se rapprochait. Après ces trois semaines, elle avait presque retrouvé le poids qu'elle avait perdu durant son enlèvement. Ses cheveux rassemblés dans un chignon haut dévoilait son visage anguleux aux traits radoucis. Même si des cauchemars continuaient à la réveiller la nuit, plus aucun cerne ne creusait ses yeux. Sa peau avait de nouveau ce ton chaud, hâlé, qui lui était propre... Avec sa magnifique robe jaune pastel damassé d'or qui rehaussait son teint, elle aurait dû resplendir. Mais c'était sans compter l'inquiétude qui assombrissait son expression et la constante tension de ses épaules, visible en dépit de ses manches.

  Lorsqu'elle s'arrêta devant moi, je posai la main sur sa joue et caressai sa pommette saillante.

  –Tu vas bien ?

  Elle afficha un air consterné.

  –Tu t'enquis de mon état alors que c'est toi la victime de cet ignoble chantage ?

  –C'est ta vie qui est mise en jeu par ce chantage, pas la mienne.

  Un soupir las lui échappa. Percevant sa fatigue, je l'attirai à moi et l'étreignis avec tendresse. Un poids dont je n'avais pas conscience me déserta dès que je la sentis se blottir dans mes bras. Elle était là, bien vivante. Son cœur battait contre le mien, presque en rythme.

  Nous restâmes un moment ainsi, sans mot dire, profitant simplement l'un de l'autre, de ce moment de tendresse subtilisé à la cruelle réalité dans laquelle nous vivions.

Si seulement je pouvais t'en éloigner au plus vite, même pour un temps...

  –En attendant le réveil de Magdalena, essaye de rester ici, c'est plus sûr, murmurai-je à son oreille.

  Seule la famille était autorisée à rendre visite à Baldr jusqu'au baptême, alors Lokia ne devrait donc pas se présenter ici. Dans mon bureau, rien n'était moins sûr.

  –J'essayerai de te rejoindre au plus vite ce soir, ajoutai-je.

  Lunixa s'écarta de moi, puis opina avant de se hisser sur la pointe des pieds. J'accueillis ses lèvres sur les miennes avec empressement et force, l'embrassant plus longtemps que je n'aurais dû.

  –Fais attention à toi, susurra-t-elle quand je consentis enfin à la libérer.

  –Toi aussi. Tu as bien ton poignard sur toi ?

  Elle opina. Je lui souris, puis lui volai un dernier baiser avant de repartir à mon bureau. Un dossier qui n’avait rien à voir avec mon travail accapara un moment mon attention, avant que je me reconcentre sur ma tâche.

Bientôt…

  Lokia ne revint pas me voir de la journée, ce qui me soulagea autant que travailla. Je n'avais aucune envie de la revoir, mais si elle se trouvait en ma compagnie, je savais au moins où elle était et ce qu'elle faisait. Attendait-elle patiemment que j'accepte son offre ? Exécutait-elle quelques tâches pour son père ? J'aurais voulu demander à Magdalena de lire ses pensées pour comprendre ses intentions, mais à ma grande surprise, Lokia quitta le palais en fin d'après-midi, deux heures avant l'arrivée de la Liseuse.

  –Y a-t-il eu un souci en mon absence ? me demanda celle-ci dès qu'elle franchit les portes du palais.

  Un ricanement sans joie franchit mes lèvres.

  –Cela se sent tant que ça ?

  –À peine.

  Même à travers les pensées, je sentis le ton plaisantin de cette précision et cela me détendit. Comme si elle voulait me laisser en profiter, elle patienta quelques secondes avant de me demander ce qui était arrivé. Je lui fis un contre-rendu détaillé de la situation. De la proposition de Lokia aux suppositions que nous avions émises.

  –Je vois, songea-t-elle sombrement. Voulez-vous que je dorme au château demain pour que je sonde son esprit et que j’essaye d’en savoir plus, au cas où elle revienne ?

  –Vous n'avez plus besoin de veillez sur votre mère ?

  Ces voisins lui avaient rapporté il y a trois jours que Frigg n'allait pas bien, ce qui l'avait obligé à rentrer chez elle durant la journée.

  –Elle est toujours un peu agitée, mais j'ai demandé à Freyja de venir. Elle est arrivée juste avant que je parte.

  –Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire ?

  À travers le lien qu'elle avait établi entre nos esprits, je sentis une vague de peine.

  –Non, mais ne vous en faites pas. Ce n'est pas une crise comme celle à laquelle vous avez eu le malheur d'assister. Elle est simplement un peu plus agitée que d'habitude. Ça lui arrive de temps en temps... Une fois, elle a décidé de retourner le potager pour faire de nouvelle plantation, disant que celles que nous avions ne survivrait pas au rude hiver du mois prochain. Nous étions à l'aube de l'été. Une autre fois, elle s'est mise à tricoter une tonne de bonnets pour son futur bébé.

  –Et aujourd'hui ?

  –Elle s'est mise en tête de transformer le bureau de Freyja en chambre à coucher pour préparer la venue du Roi.

  Je haussai un sourcil.

  –La venue du Roi ?

  –Oui. Elle est persuadé qu'un Roi va séjourner chez nous et qu'il lui faut un petit nid douillet. Vous voyez, rien de quoi s'inquiéter.

  –En effet... Eh bien, si cela ne vous pose pas de problème, cela me rassurait de vous avoir au château demain.

  –Très bien. Je vais prévenir Frey.

  –Pourriez-vous aussi avertir Lunixa que je risque d'arriver plus tard que prévu quand vous la préparerez pour la nuit ? J'ai comme qui dirait-on accumuler un peu de retard dans mon travail.

  –Je suis certaine que votre épouse comprendra. À plus tard, Altesse.

  –Merci de votre aide.

  Sa présence s'attarda encore un instant dans mon esprit avant de se retirer. Autrefois, ces échanges mentaux m'étaient particulièrement désagréable, mais ce n'était plus le cas. Une certaine gêne était encore présente, mais dorénavant, elle me rassurait plus qu'elle ne m'incommodait.




  Comme je l'avais prédit, le retard accumulé depuis le passage de mon ancienne fiancée m'obligea à rester au bureau de longues heures après l'arrivée de Magdalena, qui succédait déjà au dîner. Les deux premières heures du jours étaient déjà passées quand j'y parvins enfin à bout.

  Mais alors que je reposais ma plume, une ombre se déploya soudain derrière moi, occultant l'éclat de la lune qui se déversait par la fenêtre. Je me figeai un imperceptible instant, avant de me remettre en mouvement et de me lever, comme si de rien n'était. Ne pouvant récupérer le poignard dans mon dos sans que l'intrus qui s'y trouvait ne le voit, je me saisis de mon coupe-papier. L'argent renvoya l'éclat de la bougie à côté de moi, puis je me retournai d'un coup.

  Mon regard tomba dans des yeux bleus mordu de taches brunes.

  Mon cœur eut un violent soubresaut et, au dernier moment, uniquement par réflexe, je retins la lame de partir entre mes doigts.

  –Alaric ?

  De l'autre côté de la vitre, assis en équilibre précaire sur le rebord de la fenêtre, mon ami m'adressa un sourire qui lui arracha une grimace de douleur. Je réduis aussitôt la distance qui me séparait de la fenêtre et l'ouvris. Alaric s'effondra dans mes bras.

  –Par la Déesse, soufflai-je.

  Il n'était déjà pas bien épais le jour de nos retrouvailles, mais il avait beaucoup maigri. Un éclat fiévreux brillait dans ses yeux. Ses lèvres étaient craquelées de toute part, son nez brisé, son arcade sourcilière tuméfié et sa mâchoire de travers. Une attelle de fortune et une écharpe dissimulait à peine son bras et sa jambes gauche complètement tordus. Sous mes doigts, je sentais également de nombreuses côtes fracturées. Du sang noirci maculait son pantalon qu'il n'avait pas du changé depuis quelques temps au vu de l'odeur qui se dégageait de ses vêtements. La tache sombre se situait au niveau d'une bosse inquiétante, au milieu de son mollet.

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