Chapitre 56 - Partie 2

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  –Pardon ? lança Mathilda dans mon dos. Non, ce n'est pas vrai. Ce sont des contractions normales. Je ne... Oh Dame Nature !

  Je pivotai vivement vers elle. Les yeux écarquillés, elle fixait son ventre avec effroi.

  –Du… Du liquide vient de sortir, ânonna-t-elle. Beaucoup de liquide.

  Je refis face à la sage-femme, le souffle court.

  –Et je crois qu'elle vient juste de perdre les eaux.

  L'intéressée se précipita au chevet de ma belle-sœur et écarta les couettes, dévoilant sa chemise de nuit trempée.

  –En effet. Le bébé arrive.

  Mathilda perdit toutes couleurs.

  –Non... Ce n'est pas le moment. Vous aviez dit... Vous aviez dit deux-trois semaines !

  –Ce n'était qu'une estimation, votre Altesse. Il est impossible de déterminer la date exacte d'un accouchement. Mais n'ayez crainte, tout va bien se passer. (La praticienne se tourna vers moi.) Pouvez-vous l'aider à sortir du lit, le temps que j'appelle mes collègues ? Marcher va lui faire du bien.

  J'opinai et elle quitta la chambre pour aller tirer le cordon d'appel dans le salon. Accrochée à ses couvertures comme à une bouée de sauvetage, Mathilda secouait la tête.

  –C'est trop tôt, Lunixa, il ne peut pas venir maintenant.

  –Non, c'est exactement le bon moment.

  Je pris une profonde inspiration pour rassembler mes esprits, puis me penchai vers elle avec un sourire encourageant.

  –Allez, viens.

  D'une main tremblante, elle accepta la mienne et me laissa la guider hors du lit. Après des mois alitée et à cause de son stress, elle avait du mal à tenir sur ses jambes. Je raffermis le soutien que je lui offrais, puis la guidai jusqu'à la fenêtre à pas lents. Nous l'atteignîmes juste avant la nouvelle contraction.

  –Appuis-toi sur le rebord, lui conseillai-je.

  Elle eut du mal à s’exécuter, tiraillée par la douleur. Afin de la soulager, je frictionnai le creux de ses reins, comme Giulia l'avait fait avec moi. Tous les souvenirs de mon propre accouchement étaient en train de me remonter en tête. Sentant ma poitrine se serrer, je faillis tous les renvoyer dans les tréfonds qu'ils n'auraient jamais dû quitter, mais je me repris au dernier moment. Avec difficulté, je ne repoussai que la douleur qui y était lié. J'avais besoin du reste pour savoir quoi faire. En particulier ceux que j'avais concernant Giulia.

  –Je me doute que ça doit être difficile, mais inspire lentement par le nez et expire par la bouche, lui recommandai-je, reprenant mot pour mot les termes de ma mère adoptive. Cela rendra la douleur un peu moins intense.

  –D'a... d'accord.

  –Et dès que la contraction est passée, on marche un peu.

  Ses traits se tordirent.

  –Je... Je ne peux pas.

  –Bien sûr que si, tu le peux.

  –Son Altesse Lunixa à raison, Princesse, m'appuya la sage-femme en revenant. Vous pouvez y arriver.

  Les yeux toujours hantés par la peur, ma belle-sœur nous regarda à tour de rôle, puis opina faiblement. Une fois la contraction finie, je l'aidais donc à se redresser avec la maïeuticienne et nous lui fîmes traverser la pièce, puis revenir sur ses pas, et recommencer encore et encore. Ces trajets lui semblaient de plus difficiles à chaque contraction et nous dûmes prolonger les pauses.

  –Tu te débrouilles très bien, assurai-je lorsqu'elle reprit appui sur la fenêtre.

  –Je n'en ai pas.... pas l'impression, haleta-t-elle. Je ne vais pas y arriver.

  –Vous avez seulement peur, répliqua la sage-femme. Vous allez très bien vous en sortir.

  Une nouvelle contraction, plus longue et plus rapprochée que les autres la paralysa. Des larmes de douleurs et de crainte lui montèrent aux yeux. Alors que j'allais lui masser à nouveau le bas du dos pour l’apaiser, elle se saisit brusquement de ma main.

  –Où... Où est Thor ?

  Ma mâchoire se contracta. Je n'en avais pas la moindre idée !

  L'estomac noué, j'allais le lui avouer lorsqu'une horde de praticiens pénétra dans la pièce. Sans perdre une seconde, ils déployèrent le matériel qu'ils avaient apporté et préparèrent la chambre pour l'accouchement. Au milieu de ce remue-ménage, j'interpellai l'un d'eux et l'interrogeai au sujet de Thor. Un air embêté gagna ses traits.

  –Son Altesse... est en ville. (Les doigts de Mathilda manquèrent de broyer les miens.) Mais ne vous inquiétez pas, Princesse. Nous avons envoyé un messager le chercher à bride abattue. Il devrait être là sous peu.

  Ces mots ne rassurèrent en rien ma belle-sœur. Resserrant encore sa main autour de la mienne, elle se tourna vers moi, les yeux gorgés de larmes.

  –Ne me laisse pas. Je t'en prie... J'ai besoin...

  Je posai ma main libre sur la sienne.

  –Je ne te lâche pas, je te le promets.

  Une perle d'eau roula sur sa joue, tandis qu'un infime sourire s'épanouissait sur ses lèvres, très vite arraché par une nouvelle contraction. J’inspirai avec difficulté.

  Je sais que je ne m'adresse pas souvent à vous, mais je vous en prie, Déesse, ne lui infligez pas le calvaire que vous m'avez fait vivre.




  Deux heures plus tard, Mathilda était de nouveau allongée sur son lit et la gynécologue inspectait l'ouverture de son col.

  –Vous y êtes presque.

  –Je vous en foutrais des j'y suis presque ! s'emporta ma belle-sœur. Ce n'est pas vous qui êtes déchirée de l'intér...

  Une énième contraction la coupa dans sa lancée et un long gémissement lui échappa. Malgré ma main endolorie, elle la serra de nouveau si fort que je grimaçai. Depuis quelques minutes, elles étaient si rapprochées qu'elles paraissaient presque continues. Incapable de le supporter, Mathilda passait sa douleur sur tous ceux qui avaient le malheur de prononcer un mot et sur Thor.

  –Où... Où est-il passé, celui-là ? souffla-t-elle. Il est stérile, mais il me fait un enfant et il n'est même pas là le moment venu ?

  Elle glapit de douleur et serra les dents de longues secondes avant de reprendre.

  –Il... Il sera privé de sexe... Pendant un an.

  Des sourires sans joie s'étendirent à cette sentence et le nœud dans mon estomac grossit. Les muscles raides, je me tournai vers le rideau. Pourquoi son mari n'était-il toujours pas arrivé ? La capitale n'était qu'à une demi-heure du palais en carrosse. Au galop, cela demandait à peine dix minutes. Il aurait dû être ici depuis longtemps !

  Alors que je reconcentrais sur ma belle-sœur, de plus en plus tendue, un mouvement agita le rideau. J'y reportai aussitôt les yeux, mais la déception m'envahit en voyant simplement un autre praticien.

  Ce dernier s'empressa de rejoindre la gynécologue et lui glissa un mot à l'oreille. Les traits de la doctoresse se raidirent. Si Mathilda ne remarqua rien à cause de sa contraction, je ne manquai rien de cet échange.

  –Que se passe-t-il ? demandai-je.

  –Un... Il y a un sou...

  Nouvelle contraction.

  La gynécologue inspecta encore une fois le col de ma belle-sœur avant de me faire signe d'approcher. Je dus attendre que Mathilda se décrispe pour la lâcher, non sans lui promettre de revenir tout de suite.

  –Le salon, me glissa la doctoresse avant que je n'aie prononcé le moindre mot.

  Sans me poser de question, je m'y rendis. Mon regard se posa tout de suite sur l'homme à la respiration laborieuse qui faisait les cent pas dans la pièce.

  –Thor ? soufflai-je, interdite. Mais que...

  Depuis combien de temps était-il ici ?

  Une horrible tension gagna ses épaules, mais il continua son manège à une allure plus soutenue.

  –Elle ne peut pas...

  Arrivé au bout de la pièce, il pivota sur ses talons et se retrouva face à moi. Une telle détresse imprégnait ses traits que j'en eus le souffle coupé. Hébété, je restai un instant immobile à le dévisager sans comprendre. Puis soudain, la lumière se fit dans mon esprit.

  –Mathilda ne va pas mourir.

  Il se pétrifia une seconde, puis releva les yeux vers moi. Des yeux remplis d'effroi.

  –Elle a eu des complications, déclara-t-il d’une voix hantée. Ma mère n'en avait eu aucune et elle est morte. Elle ne doit pas... Mathilda ne doit pas accoucher.

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