Chapitre 46 - Partie 2

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  Mes parents nous félicitèrent et conseillèrent une dernière fois à Lunixa de prendre du repos, puis ils se retirèrent. Afin d'être sûr qu'ils soient partis avant que nous sortions à notre tour, je les raccompagnai dans le couloir. Mais alors que mon père et le page s'éloignaient, ma mère ferma la porte et resta à mes côtés. Elle attendit qu'ils disparaissent à l'angle du corridor avant de prendre la parole.

  –Alors, fils, d'après toi, qui est le père ? Qui sera exécuté avec elle ?

  Mes poings se serrèrent jusqu'à m'en faire blanchir les jointures et je l'incendiai du regard.

  –Est-ce votre faute ? cinglai-je. La Cause est-elle...

  –Oh, non, me coupa-t-elle, tout sourire. Nous ne sommes en rien responsable de sa grossesse. Si tu cherches un coupable, tourne-toi plutôt vers l'humaine qui se trouve dans le salon derrière toi.

  –Mère...

  –Ce n'est pas faute de t'avoir mis en garde, Kalor, reprit-elle plus sèchement. Nous t'avions dit qu'elle n'était pas digne de toi et en voilà enfin la preuve. Donc maintenant, va dire à ton père que cet enfant n'est pas le tien, que nous soyons enfin débarrassés d'elle.

  Une brusque vague de pouvoir se déversa dans mes veines et je dus serrer les dents pour la contenir.

  –C'est la loi, Kalor, insista-t-elle face à mon silence. Dois-je te rappeler que contrairement aux hommes qui ont le droit de se tourner vers les filles de plaisirs, les femmes ne peuvent avoir aucune relation extra-conjugale, sous peine de mort ? Tu es en outre le fils du Roi, un prince ; tu représentes l'autorité et la loi, ne l'oublie pas. Ta femme t'a été infidèle, elle doit en subir les conséquences.

  –Et vous, vous êtes l'épouse du Roi, la Reine, et vous cherchez à renverser le pouvoir. J'appelle ça de la haute trahison. Dois-je aussi prévenir mon père ? la défiai-je.

  Son regard s'étrécit.

  –Fais attention à ce que tu dis ou Ulrich aura besoin d'intervenir et je préfèrerais t'éviter cela, fils.

  Plusieurs souvenirs du Puissant me battant pour avoir libéré Alaric me revinrent soudain en tête. J'eus l'impression de sentir à nouveau ses points s'abattre sur moi, me briser les os et les faire jaillir de ma chair avant qu'un Guérisseur ne me remette sur pied pour qu'il puisse recommencer.

  –Pourtant vous l'avez déjà laissé s'en prendre à Valkyria et moi, et plus d'une fois, rageai-je.

  –Ce n'est pas parce que je le laisse faire que j'apprécie. Malheureusement, vous avez parfois besoin d'être ramené dans le droit chemin et son intervention est la façon la plus efficace et le plus sûre pour y parvenir.

  –Nous ne sommes pas en tort.

  –Vraiment ? Ouvre les yeux, Kalor, et regarde un peu où en est ton mariage ! Nous t'avons répété à multiple reprises que les humains n'étaient pas dignes de nous, que cette humaine n'était pas digne de toi, mais tu as refusé de nous écouter et as préféré croire en elle. Et comment te prouve-t-elle son amour ? En attendant l'enfant d'un autre.

  –Arrêtez…

  –Alors, fils, avec qui a-t-elle eu une aventure ? À moins qu'il s'agisse d'une liaison ? J’ai vraiment hâte de savoir à qui d'autre elle ouvre les cuisses ou pense quand tu la touches, car ce n'est certainement pas toi.

  Les chaînes cédèrent et mon pouvoir explosa dans mes veines, emporté par ma rage. Au même moment, la porte s'ouvrit et une main se posa sur mon bras. La lave qui avait remplacé mon sang se figea aussitôt.

  Le souffle coupé, je baissai les yeux et tombai sur Lunixa, qui fixait ma mère avec intensité. Son regard s'attarda un instant sur elle, puis se tourna vers moi avant de se reposer sur ma mère.

  –Toutes mes excuses, Majesté, je ne voulais pas vous interrompre dans votre conversation. Cependant, nous nous apprêtions à sortir lorsque vous et votre époux êtes arrivés.

  –Sortir ? répéta ma mère, intrigué, mais pour aller où ? Vous ne devriez plus quitter le château, à présent ; cela va à l'encontre de ce qu'à préconiser le docteur Lekarz et je ne voudrais pas qu'il arrive malheur à l'héritier de mon fils.

  L'hypocrisie que je sentis dans sa voix raviva mon pouvoir. Mais avant qu'il ne reprenne sa course dans mes veines, Lunixa serra mon bras et il se suspendit à nouveau.

  –Et il me semble que tu as pour ta part une réunion qui commence sous peu, fils, conclut ma mère. Vous ne pouvez vraiment pas sortir.

  Lunixa me jeta un regard inquisiteur alors que ma mâchoire se contractait. Avec tout ce qu'il s'était passé depuis la terreur nocturne de Lunixa, mon travail m'était complètement sorti de la tête !

  –Eh bien nous irons plus tard, déclara Lunixa. Maintenant, si vous voulez nous excuser, j'aurais quelques mots à dire à mon mari avant qu'il ne se rende à cette entrevue.

  Ses doigts glissèrent de mon bras à mes phalanges et elle retourna dans ses appartements en me tenant par la main pour m'inciter à la suivre. Je la laissai m'y conduire sans quitter ma mère des yeux. Même lorsque la porte se referma et lorsque j'atteignis le milieu salon, je toisai toujours l'endroit où elle devait encore se tenir.

  –Kalor... Kalor, s'il te plaît, regarde-moi.

  Face à mon absence de réaction, Lunixa me prit le visage entre les mains et me força à baisser la tête.

  –Respire, m'ordonna-t-elle. Tu dois te calmer et reprendre le contrôle.

  –Je ne peux pas me calmer !

  –Si, bien sûr que si, me contredit-elle. Car il est hors de question que ta mère ou quiconque découvre tu es un Élémentaliste.

  –C'est bien le cadet de mes soucis !

  –Eh bien pas pour moi ! s'exclama-t-elle. Si quelqu'un se rend compte de ta nature...

  L'affaiblissement de sa voix parvint à percer la rage qui m'habitait et mon regard plongea finalement dans le sien. Peur et inquiétude assombrissaient ses magnifiques yeux turquoise. La voir dans cet état calma aussitôt l'incendie qui se déchaînait dans mes veines. Il retourna se terrer au plus profond de mon être, puis les chaînes qui avaient volé en éclat se reformèrent pour l'y maintenir. Une partie continua toutefois à circuler en moi et ne s’apaiserait pas tant que l'incertitude nous oppresserait.

  –Allons retrouver Freyja, décrétai-je en lui reprenant la main.

  –Non, Kalor, tu as ta réunion.

  –Mon frère doit aussi y assister, il se débrouillera très bien sans moi.

  Je commençai à la tirer vers la porte.

  –Mais ton absence et notre départ précipité vont soulever des questions, contra-t-elle en luttant de toutes ses maigres forces pour rester à sa place. (J'arrêtai d'insister et reportai mon attention sur elle.) Crois-moi, je veux aussi savoir ; être dans l'ignorance me ronge de l'intérieur, mais nous ne pouvons pas partir maintenant. Pas alors que nous n'avons aucune raison apparente de nous rendre en ville.

  Un juron m'échappa. Je détestai le reconnaître, mais elle avait raison. Après la conversation avec ma mère, cette dernière se douterait de quelque chose si nous quittions le palais malgré tout.

  –Très bien, abdiquai-je avec réticence. Mais je refuse que tu restes seule.

  Sans lui laisser le temps de protester, je l'entraînai hors de ses appartements et remontai le couloir.

  –Par la Déesse, Kalor, sois moins brusque, s'il te plaît. Et où m'emmènes-tu ? À ta réunion ?

  –Dans les appartements de Mathilda et je vais envoyer Val vous rejoindre.

  Tout en lui répondant, je desserrai ma poigne et ralentis l'allure pour lui permettre de me suivre plus facilement, mais cela ne dura pas. Dès que nous arrivâmes dans les couloirs où la cour pouvaient circuler, les discussions cessèrent et tous les regards se tournèrent vers nous. Mes doigts se crispèrent sur le bras de Lunixa et je me remis à marcher vite. Tout autour de nous une vague de murmures naquit.

  –Ne... ne me dit pas qu'ils sont déjà tous au courant, souffla d'une voix blanche Lunixa.

  –Je crois bien que si.

  Dame Nature, comment la nouvelle avait pu se propager aussi rapidement ? Elle s'était répandue comme une maudite traînée de poudre !

  Les bruits de couloir nous suivirent, finirent même par nous devancer, devenant de plus en plus oppressant à mesure que nous avancions. Personne n'osait nous adresser directement la parole, mais cela ne changeait rien. Lunixa se sentait également si mal au milieu de cette attention indésirable qu'elle ne se plaignait plus de mon allure, pourtant trop rapide pour elle, et courait presque derrière moi sans mot dire. Tout comme moi, elle souhaitait simplement parvenir aux appartements de notre belle-sœur au plus vite.

  Aucun de nous ne se dérida lorsque nous atteignîmes enfin les couloirs privés qui menaient là-bas. Les nobles nous avaient talonné jusqu'à la limite de l'espace public et ils pouvaient encore nous voir, nous entendre.

  –Kalor ?

  Je m'arrêtai si brusquement que Lunixa n'eut pas le temps de ralentir et se cogna à mon dos. Valkyria venait d'apparaître à l'angle du couloir face à nous. Ses traits étaient tendus ; inquiétude et dureté se disputait dans son regard.

  –Que faites-vous là ? s'enquit-elle en s'approchant. J'allais venir vous voir.

    Je me décalai sur le côté, glissai une main dans le dos de Lunixa, puis la poussai vers elle. Les yeux de ma sœur s'agrandirent lorsqu'elle la réceptionna.

  –Emmène-la dans les appartements de Mathilda et reste avec elles, lui ordonnai-je. Je reviens dès que ma réunion est terminée.

  Val cilla plusieurs fois, perdue, mais finit par acquiescer. Mon attention s'attarda une dernière seconde sur Lunixa, sur son ventre, puis je tournai les talons et regagnai les couloirs publics. Que Lunixa ne soit plus avec moi ne changea rien à la nature des messe-basses et les morts « héritiers », « concurrence » et « annonce officielle » m'accompagnèrent jusqu'à la salle de réunion.

  Le regard noir comme il l'avait rarement été, je pénétrai dans la pièce alors que le page à l'entrée avait à peine annoncé mon nom. Thor releva aussitôt la tête, un sourire aux lèvres. Sourire qui, à l'instar de celui de Paulina, retomba dès qu'il posa les yeux sur moi. Sans me dérider, je traversai la salle tandis qu'il fronçait les sourcils et m'installai à sa droite.

  –Nous discuterons après, me souffla-t-il.

  J'opinai pour la forme et il ouvrit la session. M'enfonçant dans mon dossier, je me promis d'intervenir le moins possible, car je ne donnais pas cher de celui qui remettrait en question mes propos.

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