Chapitre 46 - Partie 1

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KALOR


  D'un pas tendu, je pénétrai dans la penderie de Lunixa. Chemise de jour, robe sans fioritures, bottines, cape... Je récupérai les premiers vêtements qui me tombaient sous la main pour qu’elle puisse sortir, me moquant complètement de savoir s'ils allaient ensemble ou non, et je regagnai le salon. Installée sur le canapé, Lunixa finissait de préparer une infusion avec des herbes apportées par le docteur. Elle mélangea une dernière fois le contenu de la tasse avant de la porter à ses lèvres. Une grimace déforma ses traits.

  –Tu as fini ? la pressai-je.

  Je n'en pouvais plus. Je devais savoir.

  –Je viens à peine de commencer, Kalor. Laisse-moi cinq minutes.

  Mon pouvoir s'agita dangereusement dans mes veines. Cette attente m'était insupportable.

  Lunixa finit son infusion sans se dérider, puis regarda son ordonnance. Tandis qu'elle remplissait une cuillère à café avec de l'huile de soleil, je tirai la cordelette pour appeler Paulina. Un brusque haut-le-cœur s'éleva derrière moi au même moment. Mon cœur manqua un battement. Sans réfléchir, je me téléportai immédiatement auprès de Lunixa. Ma soudaine apparition lui arracha un violent sursaut et elle en lâcha son couvert.

  –Par la Déesse, Ka...

  –C'était un haut-le-cœur ? la coupai-je dans un souffle, le visage blême.

  Une nouvelle preuve de sa grossesse ?

  Lunixa ferma les yeux et prit une profonde inspiration.

  –Oui, c'en était un, mais ce n'était pas une nausée matinale ou quoi que tu sois en train de t'imaginer. (Elle rouvrit les yeux et darda l'huile de soleil avec inimitié.) C'est à cause de cette chose. Dame Nature, jamais je n'ai rien avalé d'aussi immonde. Qu'est-ce que c'est ?

  Mes épaules s'affaissèrent à peine.

  –De l'huile de foie de morue.

  Lentement, son regard se tourna vers moi et elle me fixa avec dégoût.

  –J'aurais mieux fait de ne pas savoir, finit-elle par murmurer.

  Elle lorgna une dernière fois l'objet de son haut-le-cœur, puis se reconcentra sur son ordonnance. Incapable de rester à ne rien faire pendant qu'elle prenait son traitement, je tentai d'apaiser ma tension en rajustant les bûches à mains nue dans la cheminée, en vain. Même le contact avec le feu ne parvenait à me calmer. La seule personne qui le pouvait à présent était Freyja, si elle confirmait bien les dires de Lunixa. Si elle confirmait bien qu'elle n'était pas enceinte.

  Enceinte.

  Le simple fait de penser à ce mot aviva le brasier qui brûlait dans mes veines et les flammes dans l'âtre réagirent en conséquence, grandissant en écho avec mon pouvoir.

  Dame Nature...

  Encore plus crispé qu'au moment de plonger ma main dans le feu, je m'en écartai avant qu'il n'atteigne le manteau de la cheminée et ne se propage dans le reste du salon, et me remis à faire les cent pas. Nous devions retrouver Freyja, maintenant. Je craignais toutefois autant que je m'impatientais de la voir. Si elle finissait par confirmer la grossesse de Lunixa au lieu de la réfuter, que devrais-je faire ? Dès l'instant où le médecin l'avait annoncé à mes parents, ma mère avait dû commencer à chercher un moyen de prouver que cet enfant, s'il existait bien, n'était pas de moi. Et je ne doutais pas qu'elle finirait par trouver un moyen de convaincre mon père. Lunixa serait alors arrêtée et exécutée. Par la Déesse, ma mère devait être en train de jubiler à cette idée !

  Lunixa avait tout juste finit de prendre son traitement lorsque Paulina se présenta à ses appartements. L'immense sourire qui fendait le visage de la jeune domestique se fana dès qu'elle vit nos mines assombries. Son regard jongla entre sa maîtresse et moi, puis elle finit par inviter celle-ci derrière le paravent sans faire le moindre commentaire ni poser la moindre question. De plus en plus à cran, je me mis à traverser la pièce de long en large d'un pas encore plus vif.

  Mes allers-retours incessants prirent brusquement fin lorsque Lunixa quitta l'intimité des panneaux de bois. Le quart d'heure qu'avait nécessité sa préparation m'avait paru interminable et un semblant de soulagement me gagna en la voyant dans la robe bleu nuit que j'avais arraché de son cintre. Enfin, nous allions pouvoir y aller.

  Lunixa me rejoignit et attendit que Paulina se soit retirée pour prendre la parole.

  –Comment nous rendons-nous chez elle, en carrosse ou par téléportation ? Elle habite tout de même à dix heures d'ici.

  –Nous allons passer chez Magdalena, au cas où elle soit toujours chez elle.

  –Oh, oui, bien sûr. J'avais oublié.

  –Et nous allons prendre une voiture. Même si c'est plus long, ce sera plus prudent. On pourra attester de notre départ si jamais quelqu'un nous cherche.

  Elle opina, puis se retourna pour récupérer sa cape. Elle l'avait presque atteint lorsque deux coups retentirent contre la porte. Je jetai un regard vers le battant, sourcils froncés. Paulina avait-elle oublié quelque chose ?

  Alors que j'allais donner mon autorisation, la porte s'ouvrit et un page pénétra dans la pièce. Lunixa et moi nous crispâmes de concert.

  –Sa Majesté Odin VI et Sa Majesté Grimhild annonça-t-il d'une voix forte.

  Il se plaqua contre le bois du battant, puis s'inclina tandis que mes parents entraient dans le salon. Mon pouvoir s'agita encore plus. Si mon père affichait un sourire sincère, l'expression de ma mère tenait plus du rictus cruel, aussi subtil soit-il.

  Le teint blafard, Lunixa revint en vitesse à mes côtés et leur offrit maladroitement sa référence. Son malaise état si palpable que je glissai sans m'en rendre compte une main sur sa taille et la rapprochai de moi. Je dus presque prendre sur moi pour ne pas la placer derrière mon dos et m'interposer entre elle et ma mère. Je me sentais pourtant tout aussi mal qu'elle et remarquer l'éclat de fierté qui brillait dans les yeux de mon père n'améliora pas mon état.

  –Père, mère, les saluai-je à contrecœur lorsqu'ils s'arrêtèrent devant nous.

  –Fils.

  Le regard de mon père passa de moi à Lunixa et son sourire s'agrandit.

  –Un enfant...

  Mon estomac se tordit brutalement alors qu'il posait la main sur mon épaule.

  –Si tu savais comme cette nouvelle m'enchante, fils. Vous avez toutes mes félicitations.

  Je le remerciai dans un murmure et ma tension s'accentua en voyant les lèvres de ma mère s'étirer davantage, son attention se poser sur Lunixa.

  –N'hésitez surtout pas à prendre du repos, ma chère, lui conseilla-t-elle avec douceur. Je vais prendre toutes les dispositions nécessaires pour que votre grossesse se déroule dans les meilleures conditions. Et si vous avez la moindre question, je vous en prie, n'hésitez pas à vous tourner vers moi. Je serais heureuse d’y répondre.

  Sous mes doigts, les muscles de Lunixa se crispèrent encore plus et elle se colla davantage à moi.

  –Je vous remercie, Majesté. Mais je pense que...

  –Le docteur Lekarz nous a fait part de vos doutes, mais le test ne s'est jamais trompé, lui rappela mon père. Donc reposez-vous et prenez soin de vous et de l'héritier de mon fils.

  Son souffle se raccourcit et le mien aussi. Si elle était vraiment enceinte, cet enfant n'était pas le mien. Que devrais-je faire si Freyja nous le confirmait ? Et comment pourrais-je retrouver et faire payer celui qui avait abusé d'elle ? Elle ne se souvenait de rien.

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