Chapitre 41 - Partie 1

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KALOR


  Les gardes de part et d'autre de la porte donnant sur la salle de bal, déjà au garde à vous, se redressèrent davantage en me voyant approcher le pas raide et le regard sombre.

  –Altesse ?

  –Si Paulina Skaldottir, une jeune femme de chambre brune avec des trace de brûlure sur le visage, demande à me voir, venez me chercher. Tout de suite.

  –À vos ordres.

  Je dus me forcer à les dépasser pour entrer dans la pièce, tout comme je me forçais à avancer depuis que j'avais quitté Lunixa. Même si elle avait repris des couleurs sur le chemin menant à ses appartements, elle était toujours anormalement pâle quand je l'avais laissé entre les mains de Paulina et je n'aimais pas cela. Si seulement je pouvais me soustraire à cette réception pour retourner à ses côtés...

  Sans surprise, Valkyria surveillait mon arrivée et dès qu'elle me vit, elle s'excusa auprès des nobles avec qui elle discutait pour me retrouver.

  –Alors ? Qu'a-t-elle ?

  –Danser avec le Marquis lui a fait penser à l'Horloger.

  Ses traits se durcirent.

  –Pendant encore combien de temps ce fantôme la hantera-t-il ?

  –Je l'ignore...

  En la voyant si détendue ce soir, en particulier au cours du dîner, j'avais cru qu'elle avait réussi à surmonter son enlèvement. Mais il avait suffi d'une danse avec le jeune Marcus, d'une simple danse en sa compagnie, pour la replonger dans l'horreur qu'elle avait vécu. J'aurais dû savoir qu'une telle retombée risquait d'arriver au lieu de me montrer si optimiste. Aujourd’hui encore, la simple évocation d'Ulrich me crispait.

  –T'a-t-elle confié ce qu'il lui est arrivé durant son enlèvement ? s'enquit Val.

  –Un peu...

  –Dans ce cas, tu devrais l'inciter à en discuter plus en détails avec toi. Ou avec quelqu'un d'autre. Qu'importe vers qui elle se tourne, du moment qu'elle met les mots sur ce qu'elle a vécu. C'est le seul moyen qui lui permettra de se libérer de son ravisseur.

  –Je sais.

  Connaissant Lunixa, elle devait essayer d'enfouir cet événement au plus profond d'elle afin de l'oublier, mais il n'y avait rien de pire. Il suffisait d'un rien pour que le traumatisme remonte à la surface, à l'instar de ce soir.

  –Je lui en parlerai demain, décrétai-je.

  –Le plus tôt sera le mieux, approuva ma sœur, et si tu as besoin de moi, n'hésite pas. (Elle prit une gorgée de vin.) Où est-elle à présent ?

  –Dans ses appartements, j'ai pensé qu'il valait mieux pour elle d'en rester là pour ce soir.

  –En effet. Pense à prévenir Père, qu'il ne s'imagine pas le pire sur son absence.

  J'opinai et nous nous séparâmes : elle retourna auprès du groupe qu'elle avait quitté tandis que je me dirigeai vers mon père. Apprendre que Lunixa ne reviendrait pas ne lui plut pas vraiment – après tout, il s'agissait de la dernière soirée des Illiosimeriens au palais. Cependant, il avait aussi remarqué son teint blafard à la fin de la waltzenge et il ne me reprocha pas ma décision.

  –Mais assure-toi juste qu'elle soit bien là demain matin, déclara-t-il, même si elle doit prendre sur elle. Elle était déjà absente à leur arrivée, il ne faut pas que cela se reproduise à leur départ.

  J'opinai à contrecœur. L'idée de forcer Lunixa à quoique ce soit, alors qu'elle était si fragile en ce moment, agitait le pouvoir dans mes veines.

  –Et va aussi avertir le général de la situation, ajouta-t-il avant de me laisser.

  J'acquiesçai à nouveau et balayai la salle du regard, à la recherche du Marquis Marcus. Sa posture militaire et son teint hâlé me permirent de le repérer sans difficulté malgré la foule : à quelques mètres de moi, il louvoyait entre les convives pour venir à ma rencontre, en compagnie de son fils, ombre silencieuse qui avançait dans son sillage.

  –Altesse, me salua-t-il une fois devant moi, un pli soucieux barrant son front. Comment se porte votre épouse ? Je l'ai vue sortir de la salle le visage bien pâle et Arès n'a pu me renseigner à ce sujet.

  –J'avais remarqué qu'elle ne semblait pas au mieux de sa forme, mais je n'ai pas eu le temps de lui proposer mon aide ou un rafraîchissement avant qu'elle s'éloigne, précisa celui-ci.

  Pour la troisième fois en l'espace de dix minutes, je fis un résumé de la situation.

  –L'Horloger, vous dîtes ? répéta le général.

  –Elle l'a effectivement cité juste avant de me quitter, déclara le Gardien, le regard imperceptiblement songeur.

  Son père et moi pivotâmes vers lui.

  –Qu'a-t-elle dit précisément ? m'enquis-je.

  Le jeune Marquis releva ses yeux dorés vers moi.

  –« Merci de m'avoir sauvée de l'Horloger. »

  Mes poumons se remplirent avec difficulté. Ces quelques mots montraient qu'elle avait essayé de déjouer l'illusion de son esprit, de se rappeler que le Marquis l'avait bien délivrée et qu'elle ne risquait plus rien. En vain.

  –Je suis navré, Altesse, reprit le Gardien. Si j'avais su qu'elle réagirait ainsi en ma compagnie...

  –Vous ne me devez aucune excuse, Marquis, l'arrêtai-je. Vous ne pouviez pas savoir.

  –D'autant que tu es celui qui l'a tirée des griffes de ce Lathos, Arès, ajouta son père. Nous avons tendance à penser qu'une victime se sentira bien et même rassurée en présence de son sauveur, car il en va ainsi dans la majorité des cas et imaginer le contraire paraît absurde.

  –Cependant, il arrive parfois que le sauveur devienne une source d'angoisses, conclut le fils. Ces cas ne sont pas très fréquents, mais pas inexistants. Votre femme n'est pas la première à avoir une telle réaction.

  Je hochai de la tête, imité par le général. Même si je n'en avais pour ma part jamais été témoin avant Lunixa, une histoire similaire m'était parvenue.

  –Heureusement, mon fils est celui qui l'a trouvée et avec qui elle éprouve cette inquiétude, reprit le chef des armées. La situation aurait été plus délicate s'il s'était agi d'une personne qu'elle côtoie régulièrement, et pire encore, de vous, Altesse. (Mes muscles se crispèrent à cette perspective.) Notre départ devrait apaiser son esprit et lui permettre de ne plus se demander ce qu'il lui serait arrivé si Arès n'avait pas été là.

  –Je l’espère…

  Le Marquis se perdit quelques instants en réflexion avant de poursuivre.

  –J'ai bien conscience que mes moyens sont limités ici et qu'il nous reste désormais à peine dix heures au palais, mais si nous pouvons vous êtres d'une quelconque aide, Altesse, je vous en prie, n'hésitez pas à nous solliciter.

  –Je n'y manquerais pas, général, merci. Passez une bonne fin de soirée.

  Il me gratifia d'un geste de la tête, puis s'éloigna, son fils toujours dans son sillage.

  Après notre discussion, je n'invitai aucune femme à danser et refusai toutes les propositions de jeux afin de pouvoir garder un œil sur la porte. J'espérai autant que je redoutai de voir un soldat la traverser pour me prévenir que Paulina était là. Toutefois, les minutes passèrent, se transformèrent en heure, et aucun garde ne franchit le seuil de la pièce. Le poids sur mes épaules s'allégea légèrement ; s'il y avait eu le moindre problème, Paulina serait déjà venue.

  Mon regard s'attarda encore un instant sur les battants, puis je me tournai vers les convives.

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