Chapitre 37 - Partie 1

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KALOR


  Mon cœur se gonfla d'un bonheur indescriptible dès le premier accord. Alors que mes paupières se fermaient, les doigts délicats et agiles de Lunixa s'agitèrent sur le clavier et une envolée de notes s'éleva autour de nous. Par la Déesse... arriverais-je un jour à m'habituer à tant de virtuosité ? Il lui suffisait d'appuyer sur les touches pour donner vie au piano et nous emmener dans un autre monde. Un monde éthéré où la musique remplace l'air et où sa maestria devient notre oxygène : nous respirions quand elle jouait, retenions nos souffles lors de ses silences.

  Pour la première fois depuis son retour au palais, Lunixa s'était montrée souriante et ouverte pendant le repas ; pourtant, le soulagement que j'avais ressenti jusqu'à présent n'était rien comparé à celui que je ressentais en cet instant. Les cicatrices que lui avait laissé son enlèvement la faisaient encore souffrir et continueraient à le faire pendant un moment, mais si elle était capable de jouer ainsi, elles finiraient par se refermer.

  Son univers envoûtant en constant mouvement se modifia, se déploya et accueillit en son sein la seconde mélodie qui se créa après quelques instants. Monsieur Sangos venait de se joindre au morceau. Alors qu'ils n'avaient eu que deux jours pour le préparer, leur doigté bien différent se complétait à la perfection et se mettait en valeur mutuellement, celui de Lunixa aidant celui du compositeur à prendre corps et celui de ce dernier soulignant le talent de ma belle Illiosimerienne.

  Les yeux tantôt ouverts, tantôt fermés, je me laissai porté par leur quatre-mains. Ce dernier emplissait la salle, nous berçait de sons amples et doux lors du mouvement lents, nous plongeait dans une danse entraînante avec les sons vifs et percutants du mouvement rapide. Le sourire de Lunixa, d'abord timide, s'agrandit à mesure que les notes se succédaient et finit par illuminer tout son visage. Elle se mit alors à jouer avec encore plus de majesté, à jeter des coups d'œil espiègles à son binôme, à se tourner vers moi et à m'adresser des regards aimants.

  Dame Nature... Comment pouvait-elle être aussi rayonnante ?

  Je compris que le morceau allait toucher à sa fin quand, au bout de vingt minutes, une expression navrée passa dans ses magnifiques yeux. Une pointe de regret m'étreignit – j'aurais pu l’écouter des heures durant ! –, mais je lui souris, comblé par le spectacle qu'elle et le compositeur venaient de nous offrir. L'attention de Lunixa s'attarda un instant sur moi, puis elle se reconcentra sur son binôme. Leurs doigts accélérèrent aussitôt ; les accords se mirent à se succéder à un rythme fou. Le public retint son souffle. Ils jouaient si vite que leurs phalanges étaient devenues floues et semblaient à peine survoler le clavier. Pourtant, en dépit de cette cadence effrénée, il n'y avait pas une seule fosse note. Lunixa et Monsieur Sangos parvenaient toujours à se suivre, à conserver leur phrasé et à insuffler une âme à ce morceau malgré la difficulté technique.

  Après un passage plus rapide encore, cette course folle prit fin aussi abruptement qu'elle avait commencé. L'accord final résonna avec force entre les murs. Le monde musical dans lequel nous avions été transporté se dissipa de concert avec lui. Un moment de silence s'ensuivit, puis la foule, réalisant soudain que le morceau était fini, se mit à applaudir. Les spectateurs étaient toutefois encore loin d'être remis de leur stupeur.

  –Par la Déesse toute puissante..., soufflèrent en chœur Thor et Valkyria à mes côtés.

  Oui, il n'y avait pas de mot pour décrire la prestation à laquelle que nous venions d'assister.

  Les abandonnant, je m'avançai vers Lunixa, que mon père était en train d'approcher.

  –Ma tendre fille, Monsieur Sangos, je pense pouvoir parler aux noms de tous en disant que ce récital restera à jamais gravé dans nos mémoires, déclara-t-il, encore quelque peu hébété par leur prouesse. Par ce morceau, vous avez rendu honneur à nos pays et à l'alliance qui les unis. Vous avez toutes mes félicitations.

  Ils s'inclinèrent.

  –Ces mots nous touchent, Votre Majesté, et nous vous en remercions.

  Mon père se tourna vers la foule.

  –Cette soirée n'aurait certainement pu mieux commencer. Mes cher sujets, honorables Illiosimeriens, que ce bal vous soit aussi plaisant que cette inoubliable performance !

  Sur ces mots, l'orchestre entonna le premier morceau. Tandis que mon père et les invités se détournaient des artistes pour rejoindre le centre de la pièce, je franchis les derniers mètres me séparant de Lunixa. Elle eut à peine le temps de se tourner vers moi que j'empoignai son visage et l'embrassai. Surprise, elle resta immobile un instant avant de me retourner mon baiser.

  –Puis-je en déduire que j'ai été à la hauteur de tes attentes ? murmura-t-elle contre mes lèvres.

  –Comme si tu pouvais encore en douter, confirmai-je avant de reprendre possession des siennes. Tu as été époustouflante, comme toujours.

  –C'est en effet le terme le plus adéquat pour décrire votre prestation, Princesse.

  Alors que je me détournais d'elle pour accorder mon attention au propriétaire de cette voix grave mais chaleureuse, les joues de Lunixa s’empourprèrent.

  –Altesses, nous salua le Général Marcus en s'inclinant. Je suis navré de vous importuner. Je désirais simplement vous féliciter en personne, Princesse. Votre performance nous a tous laissé cois d'admiration et quand on sait le peu de temps que vous avez eu pour préparer ce quatre-mains, notre respect n'en est que plus grand. Votre mère aurait été fière de vous.

  Un spasme agita Lunixa.

  –Ma... mère ?

  –Bien sûr. Giulia connaît mieux que personne les obstacles que vous avez dû surmonter pour devenir la femme que vous êtes aujourd'hui. La noblesse n'a entre-autre pas été tendre avec vous à cause de vos origines roturières. Cependant au lieu de vous laisser abattre par ce rejet, vous vous êtes battue pour vous faire une place et vos efforts avaient été récompensés. Vous étiez devenue l'une des femmes les plus désirer de tout le royaume. Ce soir, il n'était toutefois plus seulement question de bon parti. Votre virtuosité prodigieuse a tenu la cour sous son emprise ; le Roi lui-même en avait perdu son souffle. (Une expression empreinte de respect et de douceur gagna les traits du Général.) Autrefois perdue dans un monde qui la rejetait. Désormais admirée de tous pour ses prouesses. Votre mère ne pourrait être plus fière.

  Sous ma paume, les muscles de Lunixa se détendirent et un tendre sourire vint illuminer son visage.

  –Merci, Marquis.

  L'intéressé s'inclina.

  –C'est tout naturel, Princesse.

  Il nous offrit de nouveau une révérence, puis se retira. Il n'avait toutefois pas fait trois pas qu'il se tourna à nouveau vers nous.

  –Une dernière chose. Si jamais vous souhaitez transmettre une lettre à Giulia, Princesse, n'hésitez pas à me la confier. Quand elle m'a donné la sienne, je lui ai promis de lui rapporter de vos nouvelles. Mais je sais qu'elle préférerait en avoir de votre main.

  –Je n'y manquerais pas.

  Le Marquis lui retourna son sourire et son regard s'attarda encore un instant sur nous avant qu'il ne se remette en marche et ne se fonde dans la foule. Les épaules de Lunixa s'affaissèrent soudain dans un soupir.

  –Un souci ? m'inquiétai-je.

  Elle secoua la tête.

  –C'est juste cette histoire de missive. J'ai envie d'en envoyer une au manoir, mais comme je ne sais toujours pas quoi dire à Giulia et aux jumeaux, je ne l'ai pas encore rédigée.

  –Il te reste encore cette nuit et demain matin pour y remédier, la rassurai-je en caressant sa joue. Et ta lettre n'a pas besoin d'être sophistiquée, ma chérie. Je suis sûr que le simple fait d'avoir de tes nouvelles les rassurera et les comblera de joie.

  –Je sais. Ils n'attendent que cela.

  –Tu vois. Alors ne te fais pas de soucis ; tu trouveras les mots. Et d'ici là, n'y pense pas et profite du bal.

  Un sourire aux lèvres, elle accepta la main que je lui tendais. Refermant les doigts sur les siens, je l'entraînai dans la valse.

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