Chapitre 35 - Partie 2

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  Comme nous étions toujours dans le noir, Kalor chercha de quoi éclairer la pièce, tandis que je récupérais enfin un mouchoir. Je m'empressai d'essuyer toute tache carmin avant qu'une flamme n'illumine la chambre. Un poignard... Il avait suffi d'un seul poignard pour que mon nez se mette à saigner. Je savais que mon corps était encore faible, mais pas à ce point. Je pouvais normalement en créer au moins quatre avant d'avoir une telle réaction.

  Heureusement, le saignement n'était pas trop important et sembla s'arrêter au moment où Kalor embrasa l'allumette. Je me mouchai et vérifiai d'un rapide coup d’œil que je n'avais pas maculé d'écarlate le tissu, pendant que la luminosité de la pièce augmentait comme il posait la flamme sur la mèche d'une bougie. Puis je me tournai finalement vers lui, le cœur battant, priant pour bien avoir effacé toute trace de sang.

  –Désolée.

  Un léger sourire souleva ses lèvres.

  –D'avoir eu besoin de te moucher ? Pas besoin de t'excuser pour cela. En plus, ça m'a permis d'allumer une bougie.

  Il me rejoignit près du lit, posa mon poignard sur la table de nuit, puis sa main sur ma joue. Sa chaleur se transmit de sa peau à la mienne. Bercée par cette sensation, je faillis fermer les yeux, me laisser aller contre sa paume et oublier notre conversation. Cependant, le sourire de Kalor était retombé et, du regard, il me reposait la même question que sur le canapé.

  –C'est juste une accumulation de chose, répondis-je en masquant au mieux mon malaise : mon quatre-main avec Monsieur Sangos, cette dernière soirée avec mes compatriotes, la fin de leur séjour qui s’ensuivra le lendemain, les sentiments conflictuels que j'éprouve à ce propos...

  Une pointe de douleur traversa ses yeux.

  –Tu regrettes de ne pas pouvoir repartir avec eux ?

  Après une hésitation, j'acquiesçai. Profondément enfouis en moi et masqués par la peur qu'Arès m'invite à danser, le soulagement et la peine que m'inspiraient le départ de la délégation disputaient en moi. Le soulagement car mon pire cauchemar allait enfin disparaître et la peine car je ne pouvais rentrer au pays avec eux pour revoir mes enfants.

  –Mais ce n'est pas contre toi, ajoutai-je dans la seconde en caressant sa joue à mon tour. Ce n'est pas facile tous les jours et ce n'était pas l'avenir que je prévoyais, mais s'il y a bien une personne qui me retient dans ce pays, c'est toi. Je t'aime, Kalor, et je suis heureuse de pouvoir être appelée ta femme.

  Ses épaules se détendirent et un fin sourire illumina ses traits.

  –Je sais, ma chérie, je sais.

  Son pouce passa tendrement sur ma pommette trop saillante, puis il se pencha pour m'embrasser. L'espace d'un instant, je me crispai, la sensation de ses lèvres ravivant celle d'Arès ; mais la chaleur duveteuse qui touchait actuellement les miennes n'appartenait qu'à Kalor. À lui et lui seul. Petit à petit, le baiser de mon ancien fiancé s'effaça de mon esprit, mon corps se relâcha et il ne resta plus que Kalor. Kalor et ce pouvoir brûlant qui coulait dans ses veines et que j'aimais tant. Mes doigts glissèrent dans ses cheveux et je l'embrassai en retour. À travers mes paupières clauses, je vis la lumière de la pièce augmenter de concert avec la température de sa peau. Il libéra mes lèvres pour venir déposer une pluie de baiser le long de ma mâchoire, de mon cou. Un frisson se propagea sous ma peau.

  –Kalor...

  Il revient à mes lèvres, les mordilla légèrement, puis les entrouvris. Je me perdis complètement dans la danse sensuelle dans laquelle sa langue entraîna la mienne, en prenant inconsciemment le contrôle à un moment. En réaction à cet échange des rôles, un grognement échappa à Kalor, faisant vibrer sa poitrine contre la mienne, se répercutant en écho dans mon corps. Il se pressa davantage contre mes lèvres et approfondit notre baiser.

  Haletante, je tremblai de tout mon être lorsque nous nous écartâmes pour reprendre notre souffle. Mon cœur battait avec force dans ma poitrine, cette dernière était douloureusement sensible et une chaleur inhabituelle avait gagné mon bas-ventre. Tout aussi essoufflé que moi, Kalor me fixait, les yeux dilatés et l'avant de son pantalon tendu par le désir, le corps brûlant même à travers ses vêtements. Sentir son envie pour moi attisa le feu que notre baiser avait allumé dans mes veines. Je ne voulais pas m'arrêter là ; je voulais sentir sa peau incroyablement chaude embraser la mienne, ses muscles se contracter sous mes caresses, son corps prendre possession du mien, m'habiter tout entière...

  –J'ai... besoin de prendre une douche, soufflai-je.

  Luttant contre mes envies, je m'écartai de lui et le contournai, tête baissée, incapable d'affronter sa déception.

  –Lunixa...

  Sa main se referma sur mon poignet. Quelques secondes passèrent avant que je ne rassemble assez de courage pour lui faire face.

  –Est-ce toujours pour éviter de tomber enceinte ? Je t'ai dit avant-hier que cela n'arriverait pas avant des années.

  –Je sais... mais ce n'est pas à cause de cela, mentis-je. Je suis navrée.

  Je reportai mon attention sur la porte et voulus me remettre en marche. Kalor me retint encore. Me retourner à nouveau vers lui, affronter son regard blessé même s'il cherchait à le cacher fut bien plus difficile que la première fois.

  –Dans ce cas, que dirais-tu de prendre un bain ensemble ? me proposa-t-il. Je comptai aussi me laver.

  Une chape de plomb sembla s'abattre sur ma poitrine et le cœur au bord des lèvres, je secouai la tête. Il tenta de masquer cette seconde déconvenue, mais ses lèvres pincées n'échappèrent à mon regard.

  –Puis-je savoir pourquoi tu ne veux pas que je te voie nue ? s'enquit-il. Contrairement à ta réticence à nos unions, tu ne m'en as jamais expliqué la raison.

  Sa voix trahissait aussi sa déception mais ne comportait aucune trace de jugement, seulement un profond besoin de comprendre. Après le mal que je venais de lui infliger, je ne pus toutefois soutenir son regard et baissai les yeux.

  –Je n'aime pas mon corps.

  –Pourquoi. ?

  Je déglutis avec difficulté.

  –Ce n'est qu'un sac d'os sans aucune forme féminine.

  Et marqué par une tâche de naissance dont je ne peux me débarrasser.

  –Ne dis pas ça.

  –C'est la vérité et tu le sais. Une fois, tu m'as trouvée tellement décharnée que tu ne voulais même plus me toucher de peur de me briser. Et tu ne m'avais vu qu'avec des vêtements qui cachaient une partie de ma maigreur, donc imagine sans.

  Je regrettai ces mots au moment-même où ils franchirent mes lèvres.

  –Je ne voulais pas dire que c'était ta faute si je n’aime pas mon physique, me repris-je en vitesse en plongeant dans son regard. Juste que tu trouvais aussi que j'étais trop maigre.

  –J'avais compris, assura-t-il avec douceur. Mais nous ne pouvons pas dire que je sois totalement innocent. La façon dont j'ai réagi à tes problèmes de poids au début de notre relation, te répétant que tu devrais manger davantage, refusant de te toucher et t'accusant même de te faire vomir... (Il prit une profonde inspiration.) Je sais que je ne me suis pas toujours bien comporté et me suis montré très indélicat ; je reconnais aussi que tes os parfois trop saillants m'inquiètent. Mais même si je n'ai jamais vu ton corps, je le sens contre moi chaque nuit que nous passons ensemble, chaque fois que je te prends dans mes bras et c'est ce corps-là que j'aime enlacer, que je désire posséder et... que je souhaiterais un jour pouvoir admirer. Car tu es belle, Lunixa. N'en doutes jamais.

  Aussi touchée qu'affectée par ses mots, je pris une inspiration tremblante. Comment pouvait-il se montrer si tendre avec moi alors que je venais encore de le blesser, par deux fois ?

  Une grimace contrite gagna le visage de Kalor.

  –Si tu me regardes à nouveau avec cet air la prochaine fois que je te fais un compliment, je vais vraiment finir par croire que je ne sais pas en faire.

  Un rire nerveux m'échappa.

  –Je suis désolée, merci. Je m'en veux seulement de ne pas pouvoir te combler comme je le devrais.

  –Tu ne me dois rien, Lunixa. Je veux que tu m'autorises à t'admirer parce que tu le souhaites aussi, que tu me laisses te faire l'amour car tu le désires également. Ce sont des moments où nous devrions tous les deux éprouver du plaisir et aucun de nous n'en prendrait si tu te forces. Mais si jamais tu souhaites faire quelque chose et que tes complexes t'en empêchent, dis-le-moi ; nous essayerons d'y remédier ensemble. Pour ce qui est de ta nudité, par exemple, nous pourrions commencer par prendre un bain tout habillé.

  –Un bain tout habillé ? répétai-je, incrédule.

  Son sourire se fit mutique.

  –Tout à fait.

  –Nous risquerions d'avoir du mal à nous laver, engoncés dans des habits trempés, fis-je remarquer, et tu ne me verrais toujours pas.

  –Pas la première fois, mais cela lancerait le mouvement. La fois suivante, nous enlèverions un vêtement, puis un autre, et un autre, et encore un autre, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Ou bien nous pourrions commencer avec un bain tellement moussant que la salle de bain en serait couverte du sol au plafond, puis nous en diminuerions la quantité jour après jour, jusqu'à ce que l'eau soit aussi limpide qu'une source pure. Quoi que nous déciderions, ce serait petit à petit, pas par pas, couche après couche, afin de ne pas brusquer les choses. Être à l'aise avec ton corps pourrait aussi t'aider à ne plus être gêné par nos unions. (Son pouce frotta ma joue.) Qu'en penses-tu ?

  Voir une étincelle d'espoir briller dans ses yeux à l'idée que j'accepte me fit plus mal qu'un coup. Ces propositions, bien que saugrenues, était adorables. Cependant...

  –Je ne sais pas. J'ai besoin d'y réfléchir, murmurai-je.

  –Bien sûr ; prends le temps qu'il te faut. (Il plaça sa seconde main sur ma joue et m'embrassa.) À tout de suite.

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