Chapitre 33 - Partie 2

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  Pendant un petit moment, aucun de nous ne prononça un mot, profitant simplement de cet instant hors de temps. La pendule finit toutefois par sonner neuf fois et nous ramena à la réalité. Un soupir exaspéré échappa à Kalor.

  –Te prendre dans mes bras était une très mauvaise idée, je n'ai aucune envie de te lâcher à présent.

  –Je préférerais également rester avec toi, mais nous risquerions de jeûner demain soir si tu n'y vas pas. Le fruit de votre chasse doit servir pour le repas précédant le bal, rappelai-je.

  –Je sais... et c'était d'ailleurs une autre raison de ma venue. (Il prit mon visage entre ses mains et le leva vers le sien.) As-tu une préférence sur le gibier ? Je ne peux rien te promettre, mais je ferais de mon mieux pour attraper ce qui saura te redonner goût à la nourriture.

  Je secouai la tête entre ses paumes.

  –Tout me va, alors chasse ce qui te plaît. Et ne t'inquiète pas pour mon appétit, notre promenade en forêt devrait m'aider à oublier mes mauvais rêves et le retrouver.

  Du moins, je l'espérais. Les balades m'avaient toujours fait du bien jusqu'à présent.

  Kalor esquissa un sourire qui ne s'étendit pas jusqu'à ses yeux. Il aurait aimé me croire sur parole, mais préférait ne pas se faire de faux-espoirs.

  –Nous verrons ce qu'il en est tout à l'heure, déclara-t-il en caressant tendrement ma joue. Pour le moment, es-tu prête ? Je vais t'accompagner aux écuries.

  –Il me reste encore quelques petites choses à faire avant de m'y rendre, le contredis-je.

  En réalité, je n'avais qu'à prendre mon chapeau, mais je ne voulais pas quitter mes appartements tout de suite. Je ne le ferais qu'une fois la chasse lancée, afin de repousser le moment où je devrais interagir avec les Marcus.

  –Dans ce cas, je vais t'attendre, décréta-t-il.

  –Ce n'est pas la peine. Je n'ai pas besoin d'escorte pour aller là-bas et tu vas retarder tout le monde si tu n'y vas pas maintenant. Promets-moi juste de faire attention, ajoutai-je.

  Les accidents ne manquaient lorsque l'on courrait après du gibier.

  –Je te le jure, bien que tu n'aies aucun souci à te faire, nuança-t-il. Je ne suis plus le jeune imprudent qui chassait il y a encore quelques années.

  –Me voilà rassurée.

  Son air se fit mutique. Il me donna un dernier baiser, puis je le raccompagnai jusqu'à la porte. Alors qu'il en franchissait le seuil, il s'arrêta brusquement.

  –J'ai failli oublier..., pensa-t-il tout haut. (Il se tourna vers moi.) As-tu prévu de chanter pour tes compatriotes ?

  Prise de court par cette question, je cillai plusieurs fois avant de répondre.

  –Non, pourquoi ?

  Ses lèvres se tordirent dans une grimace désapprobatrice.

  –Car mon père aimerait que ce soit le cas.

  Cette nouvelle me coupa le souffle.

  –Il veut que... je chante ? murmurai-je d'une toute petite voix.

  –Oui. J'ai bien conscience que tu n'as que peu de temps pour te préparer et je n'aime pas du tout cette idée d'exposer ainsi ton talent, comme si tu n'étais qu'un trophée que nous avions remporté contre eux, aussi ai-je essayé de le lui faire comprendre. Mais il a décidé de faire la sourde oreille, ce n'est pas discutable.

  Chanter pour Arès et César... Le Roi voulait que je chante pour eux.... Autant me demander de soulever mes jupons pour leur révéler ma marque royale ! Plus aucune couleur de cheveux ou d'yeux ne protégerait mon identité s'ils venaient à m'entendre ; ils reconnaîtraient tout de suite ma voix ! La maturité qu’elle avait acquise n’y changerait rien, ils avaient écouté mes chants depuis toujours, en particulier Arès. Avant Kalor, c'était à lui que j'offrais des sessions privées.... Dame Nature, en aucun cas je ne pouvais à nouveau me produire devant eux !

  –Lunix...

  –C'est impossible, le coupai-je. Je ne peux pas.

  Dérouté, Kalor fronça les sourcils.

  –Tu ne peux pas ? répéta-t-il en insistant sur le verbe.

  Mon corps se crispa d'un coup. Par la Déesse, j'avais pensée tout haut ! Comment pouvais-je me justifier à présent ? Le peu de temps que son père me laissait ne pouvait être suffisant, ils savaient que j'en avais encore moins eu pour me préparer au concert de la fête du Renouveau, et ce n'était pas comme si je n'étais pas en é... tat.

  Mais si, bien sûr !

  Ravalant l'angoisse qui me nouait l'estomac, je portai une main à mon cou.

  –Ma voix... n'est pas en état, déclarai-je avec plus d'assurance que je ne m'en pensais capable.

  Je n'avais pas de difficulté pour parler, mais l'Horloger m'avait étranglée si fort que la marque de sa main était encrée dans ma peau. Ma gorge me semblait aussi très légèrement gonflée. Cela ne devait pas être grave et j'espérai que ce soit le cas, afin de pouvoir chanter de nouveau à l'avenir. Cependant, ces maux devraient à inciter mon beau-père à annuler son ordre, surtout s'il tenait vraiment à ma voix.

  Alors que mes muscles commençaient à se détendre à cette pensée, ils retrouvèrent toute leur dureté en voyant le regard de Kalor devenir aussi noir que les ténèbres. Dardé sur mon cou, il laissa dans son sillage une sensation de brûlure sur ma peau.

  –Veux-tu que nous allions chez Magdalena pour que Freyja s'en occupe ? me demanda-t-il d'une voix sombre, après une poignée de secondes qui me parut interminable. Pas pour que tu puisses satisfaire le désir de mon père, mais pour toi. Si tu venais à perdre ta voix...

  Une pointe de douleur et de culpabilité traversa ses yeux. Cette lueur éveilla en moi un besoin primaire et, sans m'en rendre compte, je posai une main sur son bras.

  –Ne t’inquiète pas et cesse de t’en vouloir, Kalor, c'est juste un simple mal de gorge. Je ne vais pas perdre ma voix. Freyja n'a pas besoin d'intervenir.

  –En es-tu sûre ?

  –Oui. Je te le promets. En plus, son pouvoir est... douloureux, donc je préférerais vraiment guérir sans son aide.

  Si elle me soignait et que je hurlais, j'aurais souffert pour rien.

  Assurer deux fois que tout allait bien ne parvint pas vraiment à dérider Kalor. Son regard, toujours aussi sombre, continuait de détailler mon cou avec insistance.

  –Je vais m'assurer que tu aies tous les soins nécessaires, finit-il par déclarer, mais si jamais tu changes d'avis, fais-le-moi savoir. Quant à la demande de mon père, ne t'en préoccupe plus. Je vais m'assurer que tu ne chantes pas.

  Il me laissa sur ses mots, traversant le couloir à grandes enjambées déterminées. Une bonne minute après qu'il eut disparu au détour d'un angle, toute la pression qui m'habitait se relâcha d'un coup. Je retournai dans le salon et me laissai choir sur le canapé avec l'impression d'avoir été vidé de mes forces. Inconsciemment, je me mis à jouer avec mon alliance.

  J'aurais dû discuter de ce problème de voix directement avec le Roi. Voir Kalor se sentir coupable pour les conséquences de mon enlèvement m'était insupportable.

  Pendant dix minutes, je restai ainsi, le regard perdu sur l'anneau à mon doigt, avant que des cors ne me tirent de ma mélancolie. Un concert d'aboiement s'ensuivit juste après. La chasse était lancée, je pouvais sortir sans craindre de voir les Marcus.

  Rassemblant mes esprits, je me relevai, récupérai mon chapeau et descendis rejoindre les Illiosimeriennes devant l'écurie. Déjà prêtes, elles me saluèrent toutes à mon arrivée de même pour les trois gardes qui allaient nous accompagner, tandis que je m’excusai pour mon retard. Averti par ces échanges, le palefrenier sortit du bâtiment avec Nattsvart, tout équipé.

  –J'ai pensé que l'avoir pour la balade ferait plaisir à son Altesse, dit-il. Mais si je me suis trompé, je préparerai un autre cheval.

  –Ce ne sera pas la peine, vous avez pris la bonne décision, assurai-je en levant ma main vers la tête de l'animal.

  Ce dernier n'attendit pas qu'elle l'atteigne. Il s'avança vers moi et appuya son chanfrein contre ma paume, paupières closes. Ce geste gonfla mon cœur de tendresse.

  –Toi aussi, tu m'as manqué, murmurai-je en caressant son encolure. Et je suis désolée de t'avoir laissé à l'écurie publique. On m'a retenue.

  Il blottit un peu plus sa tête contre mon épaule. Je pris encore quelques seconde pour le cajoler avant de monter finalement en scène. Il était grand temps de commencer notre balade.

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