Chapitre 31 - Partie 4

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  Pendant que je traduisais ses mots à Valkyria, m'interrogeant sur ce changement d'intonation, Monsieur Sangos jeta un coup d'œil au Marquis Marcus. Ce dernier avait retrouvé toute son impassibilité.

  –Tu vois, fit Val à la fin, je t'avais dit que ces femmes ne courent pas les rues.

  –Sans vouloir paraître indiscret, reprit Monsieur Sangos, pourquoi vouliez-vous le savoir ?

  Alors que j'allais répéter cette question en talviyyörien pour Valkyria, le Marquis me devança.

  –Car c'est le cas de ma belle-sœur, expliqua-t-elle en réponse, et j'ai du mal à comprendre que personne ne l'ait remarquée plus tôt. Elle possède en plus la plus belle voix qu'il m'ait été donnée d'entendre, sa virtuosité est tout simplement à couper le souffle... Lors du concert de Dame Nature, elle nous a tous laissé muet de stupéfaction. Elle n'avait pourtant eu que quelques heures pour se préparer, puisqu'elle a dû me remplacer en urgence à cause de mon extinction de voix. Alors pour qu'elle soit capable de produire une telle performance...

  Un nouveau minime froncement de sourcil revint perturber le stoïcisme du Marquis.

  –Le directeur du théâtre nous a parlé de cette prestation lorsqu'il nous a reçu cet après-midi, intervint le compositeur après ma traduction, mais il n'avait pas précisé son manque de préparation.

  –Elle avait déjà participé à ce concert dans la chorale et avait aussi travaillé la partie soliste pour son plaisir, nuançai-je.

  –Certes, concéda Val, mais la connaissance des chants ne fait pas tout. Elle a dû les interpréter pour la première fois devant l'ensemble du théâtre, alors que cela devait faire au moins des mois qu'elle ne les avait pas travaillés, qu'elle n'avait fait aucune répétition avec le reste des artistes, qu'elle s'était retrouvée à endosser d'un coup l'un des deux plus importants rôle de la Fête du Renouveau... Parvenir à nous offrir une performance aussi exceptionnelle que la sienne dans de telles conditions requière une maîtrise et un talent qui n'aurait pas dû passer inaperçu. Vous n'aviez vraiment jamais entendu parler d'elle ? demanda-t-elle aux Illiosimeriens.

  –Elle était connue de toute la noblesse grâce à sa chevelure blanche et son désir de rester célibataire, admit le Marquis, mais nous ignorions qu'elle était chanteuse avant que le directeur du théâtre évoque le concert de Dame Nature.

  –Votre étonnement est légitime, Princesse, enchaîna Monsieur Sangos. Cependant, il arrive que des artistes de tout niveau ne veuillent pas devenir des professionnels, préférant pratiquer leur art pour le plaisir personnel. Cela concerne aussi des virtuoses.

  Le Marquis assimila cette réponse en silence et son visage redevint indéchiffrable.

  –Ce ne serait guère étonnant que votre femme en fasse partie, déclara-t-il, sans vouloir lui manquer de respect. Que ce soit à cause de son désir de rester célibataire, de ses origines roturières, ou encore de sa chevelure blanche, elle attirait beaucoup l'attention et cela la dérangeait. Même ceux qui ne l'avait jamais rencontré savait qu'elle n'était pas à l'aise en société. Elle ne se montrait d'ailleurs que rarement au bal ou aux soirées mondaines à cause de cela. Alors si sa virtuosité avait été de notoriété publique, elle aurait seulement attiré plus de regards.

  Cela rejoignait aussi ce que m'avait dit Lunixa par rapport à son vœu de rester proche de sa famille. Si sa maestria avait été connue, elle aurait également attiré l'attention des professionnels, qui auraient pu se montrer insistants pour l'inciter à devenir chanteuse ou pianiste à plein temps. Elle avait dû veiller de prêt à dissimuler ses capacités, les diminuant lorsqu'elle se trouvait en public, comme dans son chœur, et ne laissant libre court à son talent qu'entre les murs de sa demeure.

  –Même si je trouve cela toujours incroyable, je comprends mieux la situation, admit Valkyria. Merci de m'avoir éclairée, Marquis, Monsieur.

  Ils inclinèrent respectueusement la tête, puis le compositeur se tourna vers un autre Illiosimerien, tandis que le Marquis ralentissait pour revenir en arrière et nous laisser entre frère et sœur. J'aurais bien aimé demander à Valkyria son avis à propos de la gêne qui avait gagné Monsieur Sangos, ainsi que du « plus » et de son changement de ton, qui m'interpellaient toujours. Hélas, nous n'eûmes pas l'occasion d'échanger beaucoup plus après notre conversation avec les deux Illiosimeriens : nous arrivâmes à destinations quelques instants plus tard. Mon père invita nos hôtes à entrer dans le salon des jeux, puis se plaça à l'écart et me fit signe de le rejoindre. Je m'excusai auprès de Val et m'exécutai.

  –Si c'est à propos de Lunixa, débutai-je en arrivant à ses côtés, j'avais l'intention de vous prévenir, elle...

  –Elle était épuisée et tu l'as envoyée à ses appartements, je t'ai entendu quand tu en as parlé avec ta sœur. Et j'ai aussi entendu votre conversation à propos de sa maestria. Sais-tu si elle a prévu d'offrir une performance à la délégation ?

  –Non, je n'en ai aucune idée, avouai-je.

  –Dans ce cas, vois ça avec elle le plus rapidement possible et si elle n'a rien prévu, dis-lui de préparer quelque chose pour le bal.

  –Cela lui laisse à peine deux jours, père, fis-je remarquer.

  –Vu sa prouesse au concert, ce sera plus que suffisant pour elle.

  –Pourquoi voulez-vous qu'elle chante ?

  –Elle se doit d’honorer nos invités, tout comme tu l’as fait en accordant un combat au fils du Général. Et quoi de mieux que de les faire profiter de son don ?

  –Ne voulez-vous pas plutôt leur montrer à quel point elle est incroyable et leur faire comprendre l'erreur qu'ils ont commise en se séparant d'une virtuose pareille ? le corrigeai-je d'une voix sévère.

  Son regard s'assombrit.

  –Dois-je te rappeler l'un des tout premiers devoir de ta femme, fils ? En tant que princesse, elle doit représenter notre pays et que cela te plaise ou non, sa voix fait désormais partie de la grandeur de Talviyyör. Tu n'en as pas l'exclusivité.

  Je sais bien qu'elle ne m'appartient pas, mais ce n'est pas une raison pour l'exposer comme une sorte de trophée !

  Je me retins de justesse d'exprimer cette remarque alors que mon père me laissait sur ces mots. Énervé par son attitude, je ne lui emboîtai pas le pas tout de suite et m'allumai une cigarette pour essayer d'évacuer la tension de mes muscles.

  –Kalor ? m'interpella Thor en venant me trouver peu de temps après. Comptes-tu te joindre à nous ?

  –Oui, j'arrive dans un instant.

  –Très bien, nous sommes en train de nous installer. Préfères-tu jouer au tarot ou à l'ambigu[1] ?

  –À l'ambigu, s'il y a encore de la place.

  Réfléchir à des combinaisons de carte m'occuperait assez l'esprit pour oublier la demande de mon père, le temps de la partie.





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[1]Jeu très proche du poker

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