Chapitre 31 - Partie 2

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  Après l'avoir remercié une nouvelle fois de m'avoir ramené Lunixa, le Marquis Marcus se retira, mais je ne me remis pas tout de suite au travail. J'eus besoin de m'accorder quelques instants, le temps d'apaiser mon pouvoir et la tension qui m'habitait. Poser les yeux sur le canapé et repenser à ce qui avait failli s'y produire m'y aida beaucoup. Même mes rêves ne parvenaient à reproduire la façon dont le contact de Lunixa attisait le feu dans mes veines à chaque fois qu'elle me touchait, comme elle seule en avait le pouvoir. Et cette sensation, cette preuve irréfutable qu'elle était là, avec moi, je l'avais ressenti à nouveau quand je l'avais allongée sur ce canapé, après qu'elle m'eut conté son histoire.

  Mais cela faisait déjà plusieurs heures.

  Cette pensée bloqua le relâchement de mes muscles et j'éprouvai soudain le besoin de ressentir à nouveau son toucher aviver mon pouvoir. Au prix d'une lutte interne, je réussis toutefois à repousser cette pulsion et à retourner m'asseoir derrière mon bureau. Je l'avais vue il y a peu ; si je commençais à céder à la nécessité de la voir pour m'assurer qu'elle allait bien chaque fois que j'en ressentais le besoin, j'allais m'engager dans un cercle vicieux duquel je ne parviendrais plus à sortir.

  Je ne résistais cependant pas plus que nécessaire : dès que l'heure du dîner approcha, je m'empressai de quitter mon bureau et me rendis à la salle à manger à grandes enjambées, coupant court aux conversations des nobles sur mon chemin. À mon arrivée, je fus surpris de découvrir une table bien moins remplie que celle à laquelle je m'étais attendue. En dehors des personnes qu'il n'était pas rare de voir arriver juste avant le début du repas, à l'instar de mon père ou Thor, il manquait toutes les Illiosimeriennes. Aussi bien celles de la délégation que Lunixa. Intrigué, je me dirigeai vers Valkyria, saluant au passage les autres convives.

  –Petit frère, m'accueillit-elle avec un doux sourire. Comment vas-tu ?

  –Mieux que ces derniers jours, mais dis-moi : sais-tu où sont Lunixa et toutes ses compatriotes ?

  Ses lèvres sous soulevèrent davantage.

  –Elles sont peut-être encore dans la véranda. Elles n'en sont pas sorties depuis leur retour du théâtre.

  –Lunixa est avec elles ?

  Elle acquiesça d'un hochement de tête.

  –Et je pense que ça lui fait beaucoup de bien. Quand je suis passé tout à l'heure, elle riait.

  Ces mots me touchèrent bien plus que je ne l'aurais cru et gonflèrent mon cœur de soulagement. Après tout ce qui lui était arrivé et après l'avoir vu à deux doigts de s'effondrer, pas plus tard que la veille, j'avais eu peur qu’il lui faille du temps pour en être à nouveau capable.

  –En parlant de la louve, ajouta Val en penchant la tête sur le côté.

  Je me retournai aussitôt et entendis à peine le page faire son annonce, toute mon attention soudain happée par Lunixa. Elle était toujours celle qui avait quitté mon bureau plus tôt dans la journée, mais il émanait à nouveau d'elle cet éclat lumineux qu'elle avait perdu depuis son enlèvement. Les traits beaucoup trop anguleux de son visage s'en retrouvaient adoucis et, l'espace d'un instant, j'eus l'impression de la voir telle qu'elle était sur la photo de mon bureau, comme si ces derniers jours n'avaient jamais eu lieu. Valkyria avait raison, ces quelques heures entre Illiosimeriennes lui avait fait énormément de bien.

  Tandis que le page présentait l'ensemble des femmes qui était arrivé, je laissai ma sœur pour rejoindre Lunixa. Lorsqu'elle me remarqua, elle se tourna vers moi avec toute la grâce dont elle pouvait faire preuve, sa queue de cheval nivéenne se balançant souplement dans son dos, et elle m'offrit un doux sourire. Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour. La couvant d'un regard chaleureux, je glissai une main au creux de ses reins, puis la conduisis à sa place.

  –Comment te sens-tu ? m'enquis-je en m'installant à ses côtés.

  –Mieux. J'ai passé un bon moment avec mes compatriotes.

  Je lui pris la main et y apposai un baiser.

  –Tu m'en vois ravi.

  –Et toi ? Comment s'est passé le reste de la journée ?

  Pendant que nous échangions ces banalités plaisantes, reposantes, que je jouais plus ou moins consciemment avec ses doigts toujours entrelacés aux miens, le reste des personnes arriva petit à petit. Je ne me détournai d'elle qu'au moment où le page annonça mon frère, avec les deux Marcus. Mes parents suivirent juste après. Ma mère se tendit dès qu'elle vit le Gardien en train de s'asseoir à côté de Valkyria. Je tentai de lui faire comprendre, par le regard, que tout allait bien, mais elle ne se dérida pas un seul instant et s'assit en bout de table, à ma droite, toujours horriblement crispée. Comprenant que cela ne servirait à rien d'insister, je la laissai pour me concentrer à nouveau sur Lunixa.

  Le choc et l'incompréhension me frappèrent quand mes yeux se posèrent sur elle. Le regard baissé, la tête rentrée dans les épaules, elle semblait s'être complètement refermée sur elle-même et être aussi mal à l'aise qu'avant notre visite chez Magdalena. Il ne restait plus rien de l'éclat lumineux qu'elle dégageait encore un instant plus tôt.

  –Lunixa ? (Elle se tourna vers moi.) Qu'est-ce qui ne va pas ?

  –Rien, rien du tout.

  Elle reporta son attention sur son assiette et glissa nerveusement des petits cheveux qui s'étaient échappées de sa coiffure derrière son oreille. Qu'est-ce qui l'avait plongé aussi vite dans cet état ? Elle allait si bien juste avant. Avait-elle juste eu une soudaine baisse de morale ? Le regard de l'un de nos convives s'était-il attardé ses blessures ? Se retrouver au milieu d'autant de personnes la rendait-il nerveuse ? Toutes les raisons possibles et imaginables traversèrent mon esprit tandis que les valets de tables amenaient le premier plat.

  Lunixa ne sortit pas de cet état de tout le repas. Puisqu'un quintette de flûtes animait le dîner, les conversations se limitaient plutôt à nos voisins de table, mais je l'entendis à peine. Elle ne prenait jamais la parole d'elle-même et intervenait seulement quand elle était interpellée, en étant le plus concise possible. Cela se répercutait aussi sur son attitude : elle picorait plus qu'elle ne mangeait et, à chaque plat, je devais la pousser à finir son assiette.

  Pour le café, Monsieur Sangos, un des Illiosimeriens, nous fit l'honneur d'interpréter Nuit d'été, l'une de ses plus célèbres œuvres. Lunixa m'avait expliqué, après m'avoir joué plusieurs de ces morceaux, qu'il était l'un des plus, si ce n'est le plus illustre compositeur actuel d'Illiosimera.

  À un rythme lent, apaisant, que le doigté du pianiste rendait aussi tout à fait saisissant, le son des premières notes emplit la pièce. Elle se succédaient une à une, parfois ponctuées d'accords. Dès que les premiers graves se joignirent à cet ensemble, le compositeur avait capté l'attention de tout son auditoire, excepté celle de Lunixa et la mienne. Elle était toujours repliée sur elle-même, incapable de se concentrer sur quoi que ce soit, et elle occupait encore trop mes pensées pour que je fasse de même. Toujours soucieux de son état, je lui jetai de discrets coups d'œil. Si elle resta dans sa bulle au départ, la musique finit par atteindre l'incroyable musicienne en elle. Elle commença à se détendre de plus en plus à mesure que l'œuvre avançait et elle retrouva presque le regard qu'elle avait toujours lorsqu'elle assistait à un concert ou un opéra. Soulagé, je voulus lui prendre la main, mais ses doigts se mirent en mouvement au moment où j'allais m'en saisi. Ils entamèrent un morceau inaudible, reflet silencieux de celui du pianiste. Un sourire se dessina mes lèvres. Comme d'habitude, elle ne devait pas avoir conscience de le faire. Elle paraîssait toujours étonnée quand je lui parlais de cette manie.

  Ses longs doigts ne s'arrêtèrent pas une seule fois avant que ceux du compositeur ne le fassent. Les applaudissements suivirent aussitôt.

  –Monsieur Sangos, je vous remercie pour ce magnifique morceau, déclara mon père. Je pense pouvoir parler au nom de tous en disant que nous comprenons désormais pourquoi il est si célèbre. C'est un véritable chef-d’œuvre.

  L'interprète à côté du pianiste lui traduisit ces paroles, puis, après en avoir échangé de nouvelles, il se tourna vers son Roi.

  –Monsieur Sangos vous remercie, votre Majesté, vos compliments lui vont droit au cœur. C’était un honneur pour lui de jouer devant vous.

  Mon père adressa un geste de tête respectueux au compositeur avant de reporter son attention sur la table.

  –À présent, mes chers invités, vous êtes tous convier à prolonger ce moment des plus agréables que nous venons de passer au salon des jeux.

  Il quitta sa place sur ces mots, annonçant par la même occasion la fin du repas. Tandis qu'il se dirigeait vers la sortie, accompagné de ma mère, nous nous levâmes à notre tour pour suivre le moment. J'offris une main à Lunixa pour l'aider à se redresser, puis glissai une main dans son dos. Mes doigts l'avaient à peine effleurée que ses muscles se crispèrent d'un coup. Je m'immobilisai aussitôt.

  –Ma chérie ?

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