Chapitre 30 - Partie 1

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LUNIXA


  Kalor me donna un dernier baiser, puis caressa ma joue avec tendresse en me couvant d'un regard chaleureux. Paupières closes, je me laissai aller un moment contre sa paume chaude avant de les rouvrir pour contempler mon alliance. J'avais beau trouver que la porter en pendentif près du cœur, comme le faisait Magdalena, était plus symbolique, je préférais l'avoir à mon doigt, la sentir sur ma peau à chaque instant.

  Mais si Kalor avait pu me la rendre, cela signifiait que les soldats avaient commencé à retourner le manoir de fond en comble. Mon sourire retomba et je relevai les yeux vers lui.

  –As-tu eu des nouvelles d'Hermine ?

  Mon cœur se serra en voyant la compassion gagner son regard.

  –Il l'a tué ? déduisis-je.

  –Je suis navré.

  Même si je n'avais que peu d'espoir qu'elle soit encore en vie, ma gorge n'en fut pas moins nouée. Elle avait dû une nouvelle fois essayer de s'enfuir et l'Horloger lui en avait fait payer le prix fort.

  –Pourrais-tu faire en sorte que les autres filles soient mises au courant ? murmurai-je après un temps. Et les prévenir par la même occasion de la mort de l'Horloger si ce n'est pas déjà fait. Elles ne pourront pas tourner la page avant de savoir ce qu'ils sont tous deux devenus.

  –J'en avais l'intention, mais j'aurais besoin que tu m'éclaircisses sur un point avant de demander à Edgar de s'en occuper : y avait-il un autre homme que l'Horloger dans le manoir ?

  Mes sourcils se froncèrent.

  –Un autre homme ? Non, il était le seul.

  –En es-tu certaine ? s'assura-t-il.

  –Nous ne sommes restés que dans une partie de la demeure, mais je pense que nous l'aurions su s'il avait un complice ou une victime masculine. Pourquoi ?

  Kalor me fit signe de patienter, le temps de récupérer un rapport qu'il feuilleta jusqu'à tomber sur la page qu'il cherchait.

  –Car le cadavre d'un homme a été retrouvé en plus de celui d'Hermine Boracdottir, déclara-t-il. Les soldats l'ont découvert dans une pièce remplie de reliques, assis sur un étrange canapé en forme de nuage qui....

  –Oh...

  Kalor cessa tout de suite de lire.

  –Cela te rappelle quelqu'un ?

  –Plutôt quelque chose, le corrigeai-je. Ce n'est pas un homme, mais une machine de l'Ancien Temps.

  –Une machine ? répéta-t-il, incrédule. Comment les soldats ont-ils pu confondre un humain et une machine ?

  –Car elle nous ressemble à s'y méprendre. J'ai aussi cru qu'il s'agissait d'un homme quand je l'ai vue, jusqu'à ce que l'Horloger lui ouvre la nuque et en sorte une petite carte couverte de fils de cuivre... Il m'a dit que c'était un robot.

  Une grimace de dégoût pinça les lèvres de Kalor et il jeta un nouveau coup d'œil à la description du rapport.

  –Une machine qui ressemble tant à un homme qu'on est incapable de faire la différence... Je ne sais pas qu'elle était son utilité, mais l'idée me déplaît fortement.

  –Moi aussi. Quand j'étais à côté, je me sentais très mal à l'aise. J'avais l'impression qu'il m'épiait et pouvait se mettre à bouger à tout moment.

  Une sensation désagréable parcourut ma peau à ce souvenir. Kalor le remarqua et passa une main réconfortante dans mon dos.

  –N'y pense plus, tout est fini.

  –Je sais... Qu'allez-vous faire de toutes les reliques ? Il en avait tant.

  –Elles devraient être revendues à des vendeurs de l'Ancien Temps qui les proposeront ensuite sur les marchés et dans leur boutique, exceptées celles qui pourraient présenter un danger, ce... robot, et les objets interdits, comme la multitude d'armes à feu que les soldats ont découvert.

  Je dus me faire violence pour ne pas afficher ma surprise. Même si personne ne m'avait encore interrogé sur le pistolet que j'avais utilisé contre l'Horloger, ce n'était sûrement plus qu'une question de temps : l'existence de cette collection allaient pouvoir m'aider à me justifier. Il fallait juste que je ne montre pas à Kalor que j'en entendais parler pour la première fois.

  –Enfin, reprit-il sans le remarquer, cela n'arrivera que si mon père ne décide pas de détruire tout le manoir et ce qu'il contient afin d'effacer toutes traces de cette histoire, ce qui ne m'étonnerait pas. Ton enlèvement l'a mis dans une rare colère.

  –Qui ne l'aurait pas été à sa place ? murmurai-je. J'ai mis en danger ma vie et l'alliance entre nos pays en me faisant passer pour une fille de plaisir. L'apprendre a dû le mettre hors de lui. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi il ne m'a rien dit à ce propos et m'a seulement blâmée d’être sortie en pleine nuit.

  –C'est parce qu'il n'en sait rien, déclara Kalor.

  Mes yeux s'arrondirent de surprise.

  –Vraiment ? (Il hocha la tête.) Mais comment as-tu justifié mon enlèvement par un homme qui ne s'en prenait qu'aux employées d'un lupanar ?

  Il prit une profonde inspiration, puis m'expliqua en détails le mensonge qu'il avait raconté à Arès quand ils se dirigeaient vers la maison Irigyès et qu'il avait ensuite répété à son père. À la fin de son histoire, j'étais si choquée qu'il me fallut plusieurs secondes pour retrouver l'usage de la parole.

  –Pourquoi as-tu fais ça ?

  En assurant qu'il m'avait autorisée à me teindre les cheveux, il se rendait en grande partie responsable de mon enlèvement alors qu'il n'y était presque pour rien. J'étais la véritable fautive de l'histoire. Rien de tout cela ne se serait produit si je n'avais pas mis les pieds dans ce maudit lupanar.

  –Car il est hors de question que quelqu'un soit un jour au courant de la vérité. Je n'ose imaginer les mesures que prendrait mon père pour te punir d'une telle folie s'il le découvrait. Il pourrait très bien pu t'accuser de m'avoir été infidèle lorsque tu étais là-bas et nous savons tous ce qu'il t'en coûterait.

  Terriblement mal à l'aise, je baissai les yeux et un lourd silence s'ensuivit. J'avais bien conscience que ce n'était pas adéquat ni suffisant vis-à-vis de la situation, mais je ne savais pas quoi dire d'autre que :

  –Merci de m'avoir couverte.

  –Tu n'as pas à me remercier pour ça, soupira-t-il. Je suis prêt à tout pour toi, Lunixa. De plus, j'avais aussi ma part de responsabilité dans ton enlèvement et méritai d'être puni pour t'avoir brutalisée. Ce qui ne serait sûrement pas arrivé si je n'avais pas raconté un tel mensonge à mon père.

  –Comment t'a-t-il sanctionné ? m'enquis-je en relevant timidement les yeux vers lui.

  –Il m'a juste retiré la gestion des ports sous mon autorité pour les six mois à venir. Ce n'est presque rien.

  –Et le Général Marcus ? Comment a-t-il réagi ?

  –Contrairement à ce que je m'attendais, il s'est montré très compréhensif et m'a dit de ne pas m'en faire pour l'alliance.

  Une vague de soulagement se déversa dans mes veines. César avait beau dégager beaucoup de douceur, il restait le chef des armées d'Illiosimera, un homme se révélant des plus sévères et impitoyables lorsque la situation l'exigeait. Il aurait très bien pu fustiger Kalor et l’accuser d’avoir causé mon enlèvement. Cependant, il avait aussi vu à quel point ma disparition l'avait ébranlée.

  –Tu sais... je pense savoir pourquoi il ne t'en a pas voulu, avouai-je. (Kalor haussa un sourcil.) Quand nous avons discuté après le repas, le Général m'a confié avoir vu combien tu tenais à moi lorsque tu attendais que ton père t'autorise à partir à ma recherche : la flamme qui brûlait dans tes yeux reflétaient mettait quinconce au défi de t'en empêcher. C'est pourquoi il a compris que jamais tu n'aurais cherché à mettre en danger.

  –Vous avez parlé de moi ? s'étonna-t-il.

  –Entre autres choses. Il m'a posé des questions sur ma situation depuis que j'étais arrivée ici, ce qui t'incluait forcément... Et il m'a aussi demandé si nous avions bien consommé le mariage et si j'étais enceinte, ajoutai-je, un peu gênée. Par rapport à l'alliance.

  –Cela ne me surprend pas, elle ne serait pas complète si nous ne nous étions pas unis. Enfin... Même si nous l’avons bien fait, nos deux pays vont devoir attendre un moment avant que l'alliance soit marquée par une naissance.

  Piquée à vif par cette remarque, je détournai les yeux.

  –Je suis désolée, murmurai-je, la gorge serrée. Je sais que...

  –Pourquoi t'excuses-tu ? m'interrompit-il. Ce n'est en rien de ta faute.

  Surprise par sa voix sincèrement perdue, je ramenai mes yeux sur lui.

  –Parce que c’est peut-être moi qui limite nos rapports alors que nous devrions tout faire pour avoir un enfant ?

  Ce rappel lui fit ouvrir la bouche, mais il la referma sans dire un mot avant de recommencer.

  –Je comprends pourquoi tu t'es sentie visée par mes mots, mais je ne cherchais en aucun cas à te faire culpabiliser ou à te mettre la pression. Tes refus n'ont rien à voir dans cette histoire de naissance tardive. (Je haussai un sourcil sceptique.) Non, je te le promets, Lunixa, nous aurions beau nous unir à longueur de journée, nous n'aurions pas d'enfant avant plusieurs années.

  –Pourquoi ? Tu as aussi des problèmes de fertilité ?

  Cela ne m'avait jamais traversé l'esprit jusqu'à présent, mais Thor n'était peut-être pas le seul atteint par la stérilité. Valkyria n'avait pas non plus eu d'enfant en cinq ans de mariage.

  –Comment ? Non, pas du tout. Même si mon père a refusé que je passe les tests, la Cause s'en est chargé. Je ne leur aurais été d'aucune utilité si cela avait été le cas, précisa-t-il, acerbe. Quoi qu'il en soit, tout fonctionne très bien chez moi.

  –Alors pourquoi ?

  –Parce que je suis un Lathos et toi une humaine.

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