Chapitre 26 - Partie 1

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LUNIXA

 

  Au bout d'environ une heure de trajet, la carrosse s'arrêta enfin. Nous avions traversé toute la ville et nous trouvions désormais un peu en dehors de la capitale, en bordure de forêt. Je n'avais vu que peu de maison aux alentours. Le coin semblait plutôt calme et isolé. C'était peut-être pour ces raisons que Magdalena habitait ici. À l'écart de Lumipunki, elle risquait moins d'être dérangée par les pensées ou les sentiments des habitants.

  Kalor sortit le premier, puis me tendit la main. Je descendis de la voiture à mon tour en regardant la maison à trois étages face à moi. À l'instar de la majorité des habitations talviyyörienne, elle était à colombage, mais la blancheur de sa façade contrastait avec celles aux tons vifs que j'avais pris l'habitude de voir. Les volets et le toit vert sombre amenaient toutefois une légère touche de couleur. Un jardin bien entretenu et délimité par une petite clôture, en bois aussi clair que ses murs extérieurs, l'entourait.

  –C'est bien ici ? m'assurai-je.

  Kalor se pencha vers la boite aux lettres.

  –Raspivitch, lut-il à voix haute. C'est bien là. Tu viens ?

  Il ouvrit le portillon, puis me laissa passer la première. Suivant l'allée gravillonnée et délimitée par des pierres au sol, nous gagnâmes le perron. Malgré les rideaux tirés, je remarquai du mouvement à l'intérieur. La silhouette se figea lorsque je toquai, puis se précipita vers la porte. Le bruit de différents loquets retentit et le battant s'ouvrit d'un coup. Je me retrouvai soudain face à une femme aux cheveux d’un roux aussi flamboyant que Magdalena. Elle était un peu plus grande qu'elle et visiblement plus vieille, mais je ne parvenais pas à lui donner un âge, en particulier à cause de ses yeux du même bleu saphir ourlé de violet que ma femme de chambre. Immenses et ronds comme des billes, ils me faisaient penser à ceux d'une chouette et avaient un étrange éclat innocent, juvénile. Inconsciemment, je tentai d'y déceler une lueur mature, qui se serait davantage accordée aux discrètes rides de son visage, mais je n'arrivai pas à me concentrer dessus : ils ne cessaient de jongler entre Kalor et moi, sans s'attarder plus d'une seconde sur l'un de nous.

  –C'est pourquoi ? demanda-t-elle à toute vitesse.

  Son regard se perdit derrière nous à la fin de sa question. Je crus pendant un instant que quelqu'un se trouvait dans notre dos avant de me rendre compte qu'il était en fait perdu dans le vide.

  –Euh... nous aimerions voir Magdalena, expliquai-je, un peu décontenancée. Est-elle là ?

  Les yeux de la femme revinrent d'un coup à la réalité et se plantèrent dans les miens.

  –Magdalena ? Non. Pas de Magdalena.

  Et sur ses mots, elle nous claqua la porte au nez. Perdue, je me tournai vers Kalor. Il avait l'air tout aussi perturbé que moi.

  –Pas de Magdalena ? répétai-je. Nous sommes pourtant à la bonne adresse.

  –Je sais et même si nous avions eu un doute, vu à quel point cette femme lui re... ssemble... (Un éclair de lucidité traversa son regard.) Mais oui ! quel idiot.

  Sans prendre le temps de m'expliquer, il toqua à son tour. La parente de Magdalena – sa sœur, sa mère ? – nous rouvrit aussitôt.

  –C'est pourquoi ? demanda-t-elle encore plus vite que la première fois.

  À tel point que j'eus du mal à comprendre sa question. Kalor se racla la gorge. Il ne semblait soudain plus très sûr de lui.

  –C'est... la voix de Magdi Magda, votre gentille madeleine en sucre qui nous envoie.

  Les bras m'en tombèrent. Dame Nature, mais que racontait-il ?

  En tout cas, si ses mots n'avaient aucun sens pour moi, ils en eurent pour notre interlocutrice. Ses yeux s’agrandirent davantage et sa bouche forma un O parfait.

  –Oooooooh, souffla-t-elle. Alors vite, vite, entrez !

  Avant que je n'esquisse le moindre geste, elle me prit par le bras, puis me tira à l'intérieur. Kalor m'emboîta le pas et nous nous retrouvâmes dans un grand rez-de-chaussée ouvert. Cuisine, salon, salle à manger, aucun mur ne délimitait les différentes pièces. Nous avions à peine eu le temps de découvrir cet environnement que la rousse plaqua son index contre les lèvres de Kalor. Il eut un mouvement de recul mais elle ne décolla pas son doigt.

  –Chuuuuut, tu parles trop, chuchota-t-elle. Il ne faut pas parler, le bébé se repose. (Elle pivota la tête vers moi.) Et toi, c'est pare...

  Alors qu'elle approchait aussi un doigt de mon visage, sa main se figea à quelques centimètres de mes lèvres et elle ne finit pas sa phrase. Bouche-bée, elle me dévisageait de ses yeux de chouette. Je n'eus pas le temps de me demander ce qu'elle avait que des pas rapides se firent entendre sur les marches. Un homme d'une vingtaine d'années apparut au tournant de l'escalier

  –Frigg, vous savez que vous ne devez laisser entrer per... sonne.

  Il se stoppa en plein milieu des marches et cilla plusieurs fois. Large d'épaules, il ne semblait pas très grand, probablement autant que moi, et possédait des cheveux aussi sombres que le plumage d'un corbeau. Un regard profond et, en cet instant, déstabilisé se reflétait dans ses yeux vert olive.

  –Altesses ? fit-il.

  –Commandant Raspivitch, le salua Kalor en s'écartant de la parente de Magdalena.

  Commandant Raspivitch ?

  Tandis que ce dernier s'empressait de nous rejoindre, mon attention se concentra sur ses doigts, tous dépourvus d'anneau. Je pensai m'être fourvoyée sur son identité, jusqu'à ce que je relève les yeux vers son visage. Mon regard rencontra alors la bague en or qui pendait autour de son cou. Une alliance qu'il portait comme Magdalena. Il devait bien s'agir de son époux.

  Le commandant éloigna la rousse de nous, puis s'inclina en lui appuyant sur la tête pour l'obliger à faire de même.

  –Altesses, reprit-il en se redressant. Que nous vaut l'honneur de...

  –Hé, Karl, tu as vu ? Elle ne dit rien celle-là.

  Elle avança de nouveau sa main vers mon visage. J'eus un mouvement de recul. Au même moment, il referma sa main sur son poignet et abaissa son bras.

  –Frigg, la rappela-t-il durement à l'ordre. Vous ne devez pas toucher la Princesse. Vos Altesses, je suis vraiment désolé.

  –Il n'y a pas de mal, intervint Kalor. Magdalena m'avait prévenu de son état de santé.

  En entendant ces mots, je regardai Frigg d'un œil nouveau. L'innocence dans ses yeux et son immense sourire, son air juvénile en dépit de son âge, son attitude déroutante – à présent, elle trépignait sur place comme une enfant devant ses cadeaux d'anniversaire – sa façon de me fixer... Elle ressemblait à une petite fille dans un corps d'adulte et n'avait pas l'air d'avoir toute sa tête.

  Était-elle ainsi depuis longtemps ?

  Comme un reflet, Frigg m'analysa également du regard en marmonnant en boucle « Elle ne dit rien. ». Le commandant la bloqua de son bras lorsqu'elle voulut de nouveau m'approcher.

  –Encore désolé, s'excusa-t-il, encore plus gêné. Que nous...

  –Bon, Karl, le coupa une femme à l'étage, que se passe-t-il en bas ?

  Je portai mon regard vers les escaliers au son de cette voix grave et vis Freyja apparaître à son tour, quelques grincements de marches plus tard. Elle roula des yeux dès qu'elle nous remarqua et réitéra ce geste quand elle nous eut rejoints. D'un regard appuyé, le mari de Magdalena lui demandait de s'incliner.

  –Vos Altesses, nous salua-t-elle en s'exécutant. C'est un plaisir de vous revoir.

  –Tous le plaisir est pour nous, Madame, déclara Kalor. Et puisque nous en avons à nouveau l'occasion, nous tenons à vous remercier encore une fois pour votre aide.

  J'appuyai ses mots d'un hochement de tête. Sans son intervention, je serais sûrement dans une cellule, en attente de mon jugement.

  Freyja accepta notre gratitude d'un haussement d'épaule, puis se tourna vers Frigg. Cette dernière s'accrocha à son bras et me désigna du doigt.

  –Frey, Frey, Frey, regarde ! Elle ne dit rien. Et lui, ajouta-t-elle en pivotant vers Kalor. C'est... c'est...

  Elle ne termina pas sa phrase mais lui sourit de toutes ses dents. Freyja lui tapota la main, alors que Kalor me jetait un coup d'œil, perdu.

  –Je sais, je sais. Et si nous laissions Karl discuter avec le Prince et la Princesse ? lui proposa-t-elle. En plus, c'est l'heure de ton médicament. Altesses, si vous voulez bien nous excusez.

  Avec un geste de la tête en guise d'au revoir, elle repartit en entraînant la parente de Magdalena avec elle. Frigg continua de nous fixer jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'angle des escaliers.

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