Chapitre 23 - Partie 3

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  Sans allumer la moindre bougie, je traversai le salon et la chambre, puis la déposai sur son lit. Ses cheveux s'étalèrent autour de son visage. Avec la clarté de la lune qui s'y reflétait et le tissu sombre de son oreiller, ils ressemblaient à l'astre nocturne.

  J'observai encore un moment ce magnifique tableau qui s'offrait à moi, puis la fis changer de position pour délasser sa robe. Même si Freyja avait assuré que rien ne la réveillerait, je préférai la lui ôter. Je me débrouillai aussi pour lui retirer son soutien-gorge sans lui enlever sa fine tunique, puis plaçai les draps sur elle. Un fin sourire souleva mes lèvres. Enfin, elle était de retour.

  Oubliant la convocation de mon père, je m'installai à côté d'elle et dégageai les quelques boucles tombées devant ses yeux. J'avais beau être complètement exténué, j'aurais pu passer la nuit à l'admirer. J'avais eu tellement peur de ne plus la voir ici, de la perdre à jamais. Même si nous nous étions rencontrés seulement sept mois auparavant, je tenais à elle plus que quiconque. Elle s'était glissée dans mon cœur sans que je m'en rende compte et y occupait désormais plus de place que jamais personne avant elle. Comment aurais-je pu supporter ne plus l'avoir auprès de moi ? Si elle avait disparu, elle aurait emporté avec elle tout une part de mon être.

  –Kalor ? hésita une voix, brisant le silence ambiant.

  –Ici.

  Le rideau bruissa dans mon dos. Quelques secondes plus tard, la main de Valkyria se posa sur mon épaule.

  –Comment va-t-elle ?

  –Elle ne risque plus rien.

  Val n'ajouta pas un mot. Ses doigts pressèrent seulement mon épaule. Ce geste presque imperceptible, véritable signe de soutien silencieux, me toucha plus que n'importe qu'elle parole.

  –Je comprends que tu ne veuilles pas la quitter, reprit-elle après un moment, mais père s'impatiente.

  Les dents serrées, je me tournai vers elle. Ses cheveux bruns étaient rassemblés dans une tresse lâche et elle portait une longue robe de chambre en brocard pour cacher sa chemise de nuit. Elle devait être déjà être couchée ou en train de se préparer pour la nuit lorsque notre retour avait été annoncé.

  –Je vais veiller sur elle jusqu'à ce que tu reviennes, ajouta-t-elle avec un doux sourire.

  Mes muscles se relâchèrent. Je reportai une dernière fois mon attention sur Lunixa, écartai encore ses cheveux alors qu'elle n'avait pas bougé, puis me forçai à sortir de sa chambre. J'aurais aimé me téléporter directement dans le bureau afin d'avoir cette entrevue au plus vite, mais je me contentai de m'y rendre d'un pas soutenu. Lorsque j'arrivai, mon père portait une tasse de café à ses lèvres, assis dans le coin salon, tandis que Thor regardait le feu dansant de l'âtre. Les deux se tournèrent vers moi au grincement de la porte. Sans mot dire, je m'approchai de mon père et lui donnai la lettre scellée. Il se releva et l'ouvrit sans attendre. Son regard la parcourut à toute vitesse. Un soupir de soulagement lui échappa à la fin, puis il la jeta dans les flammes.

  –Comment est-ce arrivé ? demanda-t-il d'une voix sombre, son attention toujours portée sur la cheminée

  Je lui racontai le même mensonge que j'avais servi au Marquis Marcus, puis la suite des événements. De notre passage à la maison Irigyès avec l'aveu du patron, jusqu'à notre départ du village, en passant par le sauvetage de Lunixa par son compatriote. Lorsque mon récit fut terminé, mon père se tourna vivement vers moi, le regard noir.

  –L'autoriser à se teindre les cheveux ? gronda-t-il. Ta femme a un physique qui lui permet d'être identifiée par tous et toi, tu n'as pas eu d'autre idée que d'approuver son désir de le dissimuler ? À quel point es-tu stupide, mon fils ?

  –Lunixa n'est pas noble de sang, lui rappelai-je. Toute la pression de la cour lui pesait et à cause de sa chevelure, elle ne pouvait s'en libérer, même en sortant du palais. Comme vous l'avez dit vous-même : n'importe qui peut la reconnaître.

  –Cette chevelure la protège ! s'emporta-t-il. Toute personne sait que s'en prendre à cette femme, c'est s'en prendre à la couronne. Ce manque total de réflexion de ta part me déçoit à un point que tu ne peux imaginer.

  –Cette particularité fait aussi d'elle une cible, contrai-je. Si quelqu'un souhaite nous attaquer, il n'a pas besoin d'apprendre à nous reconnaître, il lui suffit de chercher une jeune femme au teint halé aux étranges boucles blanches.

  Un muscle de sa mâchoire tressaillit.

  –Cette identification est en effet à double tranchant, père, intervint Thor. Vous ne pouvez contredire Kalor sur ce point. Peut-être Lunixa aurait-elle été victime d'une agression lors d'une de ses sorties si elle ne s'était pas teint les cheveux. Peut-être pas. Rien ne peut nous le garantir. Ce qui est arrivé est un malheureux concours de circonstances, comme il en arrive tous les jours. Cependant, Lunixa aurait dû savoir que sortir en pleine nuit, avec pour seule compagnie sa femme de chambre, était complètement inconscient.

  La langue de mon père claqua contre son palais. Il se détourna de moi et sortit une cigarette. Plusieurs nuages de fumée s'échappèrent de ses lèvres avant qu'il ne reprenne la parole.

  –Je ne veux plus qu'elle quitte le château seule, déclara-t-il. À partir de maintenant, si tu n'es pas avec elle, Kalor, un soldat devra toujours l'accompagner lors de ses sorties. Il est aussi hors de question qu'elle se teigne à nouveau les cheveux. Peu importe les raisons. Je te donne jusqu'à demain pour te débarrasser de ses bocaux à teinture. Si une femme de chambre retrouve le moindre pot en contenant dans ses appartements, Lunixa y sera assignée jusqu'à ce que j'en décide autrement. Est-ce clair ?

  –Oui, père.

  –Je te retire également la gestion de tous les ports sous ton autorité pour les six prochains mois. Ton frère à raison, même si l'enlèvement de Lunixa résulte d'un concours de circonstances, rien de tout cela ne serait arrivé si elle n'était pas sortie en pleine nuit sans escorte. Chose qu'elle n'aurait jamais fait si tu lui avais fait comprendre la position qu'elle occupe désormais et les risques qu'encourent une princesse.

  Même si Lunixa était bien sortie avec une escorte cette nuit-là, je ne cherchai pas à négocier cette punition et l'acceptai. J'avais ma part de responsabilité dans son enlèvement et méritai une sanction.

  –Demain, dès la première heure, tu présenteras également tes plus plates excuses au général Marcus. Et comme Lunixa n'était pas là, tu l'amèneras ici avant le déjeuner.

  –Oui, père.

  –Bien. Tu peux disposer.

  Il reporta son attention sur les flammes et Thor m'adressa un petit sourire de soutien tandis que je quittais la pièce. Connaissant mon père, notre blâme aurait pu être bien plus important. Peut-être avait-il compris que la peur que nous avions tous deux ressentie au cours des derniers jours nous avait déjà servi de leçon.

  J'avais l'intention de me rendre dans la première pièce vide sur mon chemin et me téléporter dans les appartements de Lunixa. Mais lorsque je remis les pieds dans le couloir, je tombai sur le Général Marcus, accompagné de son fils. Je m'inclinai immédiatement.

  –Général, il n'y a pas de mot pour exprimer à quel point je suis navré. Une telle chose n'aurait jamais dû se produire et je vous jure, au nom de Dame Nature, que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela n'arrive plus.

  –Relevez la tête, Altesse, mon fils m'a expliqué les événements qui ont précédé l'enlèvement.

  Tendu, je me redressai et croisai son regard. Un regard très doux pour un homme qui dégageait une telle prestance.

  –Je ne vous en tiens pas responsable, reprit-il. La demande de votre femme était légitime, vous n'avez pas cédé à un caprice. Toute personne avec de lourdes responsabilités a besoin de s'en écarter pendant un temps pour respirer, ou elle finit par étouffer. Arès m'a aussi dit que notre arrivée avait stressée votre épouse. J'imagine que c'est pour cette raison qu'elle n'a pas songé à demander à un garde de l'accompagner dans sa balade nocturne, alors qu'elle le fait en temps normal.

  –Sûrement.

  –Alors ne vous faites pas de souci pour l'alliance et concentrez-vous sur elle. Les jours à venir risquent d'être difficiles pour elle.

  Mes épaules retombèrent.

  –Merci, Général.

  Un fin sourire étira ses lèvres.

  –Passez une bonne nuit, Prince Kalor.

  Sur ses mots, il me dépassa et entra dans le secrétariat de mon père. Son fils me salua d'un mouvement de tête avant de refermer les battants derrière lui.

  À mon retour dans la chambre, Valkyria ne me posa pas une seule question. Elle veilla encore sur Lunixa, le temps que je me lave et me change, puis me souhaita à son tour une bonne nuit. Dès que le lourd rideau retomba dans son dos, je me glissai à côté de Lunixa et l'amenai contre moi. Sentir mon corps couvrir le sien et son parfum estival, sucré, à la naissance de sa nuque dénoua les derniers nœuds de mes muscles. C'était là qu'était sa place. Cette pensée en tête, mes sens embaumés par sa douce odeur, je fermai les yeux et la rejoignis dans un sommeil profond.

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