Chapitre 23 - Partie 1

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Kalor


  « Elle n'a pas été déshonorée. »

  Freyja avait à peine eu le temps de finir sa phrase que je m'étais précipité dans la chambre et avais serré Lunixa contre moi. Libéré de toute la pression et de la peur qui m'avait habité, mon corps avait tremblé en diapason avec le sien pendant près de cinq minutes avant que j'en retrouve le contrôle. À présent que plus rien ne la menaçait, nous aurions dû discuter de tout ce qu'il s'était passé, mais je ne prononçai pas un mot et me contentai de passer tendrement une dans ses cheveux pour essayer d'apaiser ses derniers tremblements. Nous aurions tout le temps d'en parler plus tard, une fois qu'elle se serait reposée.

  Un nouveau frisson la traversa lorsque deux coups retentirent contre le battant.

  –Entrez, autorisai-je.

  La porte s'ouvrit sur le commandant Raspivitch.

  –Vos Altesse, je suis navré de vous déranger, mais le docteur et Mademoiselle Veneitri vous demande, mon Prince.

  –J'arrive dans un instant.

  Le commanda s'inclina, puis repartit tandis que Lunixa s'écartait de moi. Discrètement, elle essuya les vestiges de ses pleurs de ses joues creuses. J'embrassai son front.

  –Je ne serais pas long, murmurai-je, les lèvres toujours contre sa peau.

  Elle hocha de la tête. Je l'embrassai une nouvelle fois avant de la quitter. Jusqu'à ce que je referme la porte derrière moi, je sentis son regard dans mon dos.

  Le mari de Magdalena me conduisit dans un petit bureau à l'autre bout du couloir, la pièce où le médecin avait analysé le prélèvement de Lunixa. Un microscope et du matériel scientifique qui m'était inconnu se trouvait sur un buffet. Assise au secrétaire, Freyja rédigeait un document, sous la supervision du praticien, debout à côté d'elle. Elle finit de le libeller quelques secondes après mon arrivée et y apposa sa signature. Le praticien le récupéra, le glissa dans une enveloppe, puis scella la lettre.

  –Voici notre rapport pour sa Majesté, m'expliqua-t-il en me la donnant. Il y trouvera tous les détails de l'examen et de l'analyse de votre femme.

  –Vous n'avez rien trouvé non plus ? m'assurai-je.

  –Rien du tout.

  L’un des derniers poids qui pesaient sur mes épaules s'envola. J'allais enfin pouvoir ramener Lunixa au château, loin de cette forêt et de tout ce qu'elle y avait subi.

  –Merci à tous les deux.

  Toujours installée devant le bureau, Freyja haussa les épaules.

  –Nous n'avons fait que notre travail, Altesse, fit le praticien pour eux deux. D'ailleurs, si je puis me le permettre, à votre retour au château ou dans les jours à venir, vous devriez de nouveau faire ausculter votre femme par le docteur Lekarz.

  Mes muscles se retendirent brusquement.

  –Pourquoi ? Vous aviez dit que mon père ne remettrait pas en question cet examen.

  –Cela n'a rien à voir avec ce rapport. Ce serait pour une auscultation plus générale : nous n'avons procédé qu'à un examen gynécologique et même si un soldat s'est occupé de ses blessures, l'état de votre femme est... inquiétant.

  –Vous voulez parler de sa maigreur ? m'enquis-je d'une voix lourde.

  Il acquiesça. Mes épaules retombèrent alors que mon cœur se serrait. Mon regard glissa en direction de la chambre où se trouvait Lunixa. Elle m'avait avoué avoir besoin de beaucoup manger pour garder une ligne correcte et, sans l'avoir vu, le médecin du palais avait expliqué à Valkyria que sa finesse habituelle et sa facilité à perdre du poids pouvait provenir d'un métabolisme rapide. Mais cela pouvait-il suffire à ce qu'elle se décharne aussi vite ? Elle avait au moins perdu dix kilos en trois jours. La seule fois où j'avais vu un amaigrissement si fulgurant avait été chez Freyja, à cause du contrecoup de ses pouvoirs de guérisseurs.

  Ses pouvoirs ?

  Un déclic se fit soudain dans mon esprit. En voyant l'âge inchangé de Lunixa, j'en avais déduit que l'Horloger n'avait pas cherché à la rajeunir ou la vieillir. Mais sous le coup du soulagement, j'avais oublié qu'elle bloquait les pouvoirs des Guérisseurs et Liseurs. Freyja m'avait avoué que cette étrange et inexplicable résistance l'avait forcée à s'y prendre à plusieurs reprises pour qu'elle parvienne à la soigner. Elle m'avait aussi dit que Lunixa était, d'une certaine manière, plus sensible à ses capacités : elle avait perdu connaissance avant même que la guérison ne débute tant ses pouvoirs l'avaient fait souffrir et elle avait subi un contrecoup beaucoup plus important. Si l'Horloger avait en réalité essayer modifier son âge, Lunixa avait-elle eu une réaction similaire ? De telles tentatives pouvaient-elles expliquer sa perte de poids ?

  Je posai les yeux sur Freyja.

  –Merci pour votre conseil, docteur. Pouvez-vous me laissez avec mademoiselle Veneitri à présent ? J'ai besoin de m'entretenir avec elle.

  Il lui jeta un rapide coup d'œil avant de sortir du bureau.

  –Qu'y a-t-il ? demanda Freyja quand il eut refermé la porte.

  Je lui expliquai mon raisonnement. Après l’avoir écouté avec attention, elle prit le temps de réfléchir. Ses doigts pianotèrent sur le bureau tout du long.

  –C'est tout à fait possible, déclara-t-elle au bout d'un moment. Cette résistance, quelle qu'elle soit, doit lui demander de l'énergie. Tu devrais l'interroger pour savoir si ce salopard a cherché à la rajeunir ou autre.

  Un muscle de ma mâchoire roula sous ma peau. D'abord les Liseurs, ensuite les Guérisseurs, maintenant les Horlogers... Comment se faisait-il qu'elle bloque les pouvoirs intrusifs ainsi ? J'avais beau me triturer l'esprit, je ne comprenais pas comment elle pouvait leur résister. Le Gardien qui avait contrôlé sa nature l'avait déclaré humaine et les Gardiens ne se trompaient jamais. Et de toute façon, jamais je n'avais entendu parler de quelqu'un doté d'une telle capacité, humain comme Lathos.

  –Freyja, as-tu déjà eu vent d'autre personne capable de bloquer les pouvoirs comme Lunixa ?

  Son regard bleu glace se durcit et elle secoua la tête.

  –Non et crois-moi, cela me perturbe toute autant que toi. Même si personne ne réagit exactement de la même façon à une guérison, cette résistance n'est pas normale. J'ai l'impression de me heurter face à un mur.

  –Tu as pourtant réussi à vérifier si elle n'avait pas été déshonorée avec tes pouvoirs.

  –Oui, mais ce n'est qu'une analyse, ça ne me demande rien. En plus, elle en souffre déjà alors que l'analyse est censée être indolore.

  –Et comment as-tu réussi à la soigner malgré tout ?

  –En faisant preuve d'énormément de finesse. En fait, c'est comme s'il y avait une petite fissure dans ce mur qui ne laissait passer qu'un petit fragment de mes capacités.

  Magdalena ressentait-elle la même chose quand elle essayait de lire ses pensées ? Elle aussi ne parvenait qu'à se servir d'une partie de ses pouvoirs sur Lunixa. Voir ce que l'on voyait sur le moment lui demandait-il peu de puissance, à l'instar de l'analyse corporelle d'un Guérisseur ?

  –Tu n'as jamais posé la question directement à ta femme ? demanda Freyja.

  –Je ne suis pas sûr qu'elle en soit consciente.

  –Tu devrais quand même le faire pour en être certain. Et tu devrais aussi lui parler de ses autres blocages.

  Je fronçai les sourcils.

  –Quels autres blocages ?

  –Au lit et avec l'idée de se dévoiler en général. Qu'elle soit gênée est compréhensible, mais elle a préféré que je l'examine avec mon pouvoir plutôt que normalement, en sachant qu'elle allait en souffrir. Une telle décision démontre un malaise beaucoup plus profond qu'un simple problème de pudeur.

  –Je sais...

  –J'ignore ce qui en est à l'origine, continua-t-elle, mais il faut que tu l'aides à s'en défaire. Ce n'est pas bon pour elle. Elle serait capable de cacher des soucis gynécologiques par peur d'un autre examen. Ou pire encore : cacher ses futurs accouchements. Même si vous n'aurez pas encore d'enfants avant plusieurs années, arrivera un jour où tu la féconderas. Si elle est toujours aussi effrayée à l'idée de montrer son intimidé à des médecins lorsqu'elle devra donner la vie, elle pourrait très bien essayer de le faire seule, se mettant elle et l'enfant en danger.


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