Chapitre 16 - Partie 2

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  J'aurais tant aimé qu'il soit là pour entendre mes mots. Je ne me pardonnerais jamais pour ce que je nous avais fait subir et je doutais qu'il y parvienne aussi, mais j'avais besoin de lui dire à quel point je m'en voulais.

  Le cœur serré, je rejetai ma tête en arrière et mon regard se perdit dans le peu de ciel que les branches ne masquaient pas. Mes sourcils se froncèrent lorsque je crus voir un voile vert très effacé se détacher de la voûte céleste.

  Qu'est-ce que...

  Le voile s'allongea, devint plus lumineux, puis se changea en ruban de lumière qui se mit à sillonner le ciel. Mon souffle se coupa.

  Une aurore boréale.

  C'était la première fois que j'en revoyais depuis mon arrivée à Talviyyör et, de nouveau, je fus incapable d'en détourner les yeux. Ce spectacle de la nature était le plus saisissant et le plus majestueux qu'il m'avait été donné de voir au cours de mon existence. Dire que je n'avais encore jamais eu l'occasion d'en admirer avec Kalor, blottie dans ses bras et sa douce chaleur, alors qu'il avait prévu de m'emmener dans un endroit où nous aurions pu en contempler tous les soirs pour notre lune de miel. Dame Nature nous donnerait-elle un jour la chance de satisfaire ce simple désir ?

  Une vague de chaleur déferla dans mes veines.

  Non.

  Si je voulais un jour profiter de ce tableau divin avec l'homme que j'aimais, je ne pouvais que compter sur moi-même et non sur la bonté de la Déesse. Elle m'avait prouvé depuis des années qu’on ne pouvait se reposer sur elle, peu importe à quel point on la priait. Je verrais des aurores boréales avec Kalor car je prendrais les dispositions nécessaires pour que cela arrive. Mais avant toute chose, je devais ressortir vivante de cette forêt et le retrouver.

  Armée de cette nouvelle détermination, je chassai mes larmes, puis examinai ma cheville douloureuse en passant la main dessus et bougeant mon pied. Une vague de soulagement me traversa : elle ne me faisait plus aussi mal qu'au début. Avec un peu de chance, elle n'était même pas foulée et je ne sentirais plus rien d'ici un moment. Même si rester au même endroit ne me plaisait pas, je pris la décision de ne pas repartir tout de suite, le temps de ne plus avoir mal.

  Mon regard dévia à nouveau vers le ciel. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il était encore plus beau qu'avant : d'autres aurores s'étaient jointes à la première, elles s'étaient agrandies et leurs ondulations brillaient désormais de violet, blanc et vert.

  Je ne les quittai pas des yeux de toute ma pause, complètement hypnotisée par leur ballet sinueux, leurs mouvements souples, nobles, réguliers… si réguliers.

  La fatigue me rattrapa avant que je m'en rende compte et je finis par m'endormir, bercée par ces ondulations.




  Malgré mon assoupissement, mon corps, lui, était resté en alerte. Aussi, quand quelque chose se posa sur mon épaule, mes yeux se rouvrirent d'un coup. Je bondis sur mes pieds et fendis les ténèbres de mon poignard. Ce qui pesait sur moi disparut dans un… bruissement d'ailes ? Intriguée, je levai la tête. Je dus froncer les sourcils pour distinguer quoique ce soit parmi les branches. Une chouette au plumage sombre et blanc se tenait sur l'une des plus basses et me fixait de ses yeux immenses. Mes muscles se relâchèrent aussitôt. Je passai mes mains sur mon visage. Les animaux devaient arrêter de me surprendre ainsi, mon cœur n'allait jamais tenir à ce rythme. En reportant à nouveau mon attention sur le rapace, je réalisai soudain que les aurores avaient disparu du ciel. Quand était-ce arrivé ? Je ne me rappelais pas les avoir vu s'effacer.

  Dame Nature, je m'étais endormie !

  Ce n'était pas du tout ce que j'avais prévu ! Combien de temps cela avait-il duré ? Sûrement beaucoup trop : ma cheville ne me faisait plus mal du tout. Il fallait absolument que je me remette en route.

  Sans perdre une seconde de plus, je fis un premier pas. Mon pied heurta quelque chose. Quelque chose à la fois dur et mou que je sentis bouger. Interdite, je baissai les yeux. Mon sang se glaça dans mes veines.

  Un loup... Je venais de frapper un énorme loup.

  Couché sur le sol, juste à côté de l'endroit où je m'étais assise, l'animal avait la tête tournée vers moi. Mon cœur se mit à battre à tout rompre dans ma poitrine.

  Pas de mouvement brusque... Pas de mouvement brusque.

  La bête se redressa sur ses quatre pattes alors que j'esquissais quelques pas en arrière. Mon corps se pétrifia en plein mouvement. Son museau arrivait à la hauteur de mes hanches.

  –Hé... gentil...

  Ses yeux dorés braqués dans ma direction, elle s'avança vers moi. Ses muscles puissants roulaient sous son pelage sombre. Je glissai en vitesse mes poignard dans ma ceinture et lui présentai mes mains tremblantes.

  –Gentil... pas bouger…

  Elle s'arrêta. Plusieurs secondes interminables s'égrenèrent sans que j'ose faire le moindre geste et le loup resta tout aussi immobile. Seule la chouette se déplaçait au milieu de ce tableau figé dans le temps. Du coin de l'œil, je la vis remonter le long de sa branche, puis prendre son envol. Elle revint se poser sur mon épaule. Ma tension augmenta mais je ne lui accordai aucun regard. Le loup accaparait toute mon attention.

  –C'est ça... pas bouger, répétai-je d'une voix mal assurée. Bon loup.

  Je tentai un nouveau pas en arrière. Cette fois-ci, il ne bougea pas un muscle. Il se contenta de rester à sa place et de pencher la tête sur le côté, gueule ouverte.

  Par la Déesse, ses crocs...

  Sur mon épaule, la chouette se frotta à ma joue. Toujours aussi inquiète, je continuai à reculer sans quitter la bête des yeux, les mains en avant. Ce prédateur était une force de la nature, bâti pour tuer. S'il décidait de m'attaquer, je n'aurais aucune chance. Il serait capable de planter ses crocs dans ma jugulaire avant que je me rende compte qu'il s'était jeté sur moi.

  Cette pensée me donna des sueurs froides et je poursuivis mon éloignement avec encore plus de prudence. Y en avait-il d'autres dans les environs ? Le reste de sa meute m'avait-elle encerclée pendant qu'il surveillait le repas ? Cette stupide humaine qui s'était endormie contre un arbre ?

  L'angoisse me noua l'estomac quand il se fondit dans l'obscurité. À moins qu'il ne s'approche à nouveau, je n'avais plus aucun moyen de savoir où il se trouvait. L'instinct de survie prit rapidement le pas sur la raison. Perdant mon sang-froid, je pivotai sur mes talons et m'enfuis en courant. Ce brusque mouvement déséquilibra la chouette et elle prit son envol. Son départ rendit les ténèbres encore plus oppressantes. J'avais l'impression d'être tombée dans un gouffre sans fond dont je ne pourrais jamais ressortir, rempli de monstres tapis autour de moi.

  Ma course finit par s'arrêter lorsque j'aperçus une très faible lueur se répandre à la lisière de l'horizon. Impossible, c'était déjà l'aube ? Et si le soleil se levait face à moi, cela signifiait que j'avançai vers l'est. Mais à quoi bon savoir que je me dirigeais vers l'Orient ? Je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais ou de ce qu’il y avait dans cette direction.

  Je repris ma route d’un pas soutenu pour éviter de me fatiguer davantage. La fine ligne lumineuse grandissait lentement, le ciel et le monde redevenait plus clair au même rythme. Les premiers animaux s'éveillaient, quelques oiseaux commençaient à chanter le début de cette nouvelle journée. Au moment où une teinte d’un rose orangé profond s’ajouta à l'horizon, je remarquai des petits fruits rouges dans un buisson. Je m'y attardais quelques instants. Ils ressemblaient à des fraises. Malgré les protestations de mon estomac, je m’en éloignais toutefois sans y toucher. Je ne savais pas s'il s'agissait bien de fraise, ou même s'ils étaient comestibles, et je n'avais pas l'intention de les goûter pour le découvrir.

  J'avais à peine repris ma marche depuis quelques minutes qu'un craquement de branche aussitôt suivi d'un bruissement de feuilles me fit sursauter. En un fragment de seconde, je pivotai sur la gauche, doigts serrés autour de mes lames.

Et me retrouvai face à un renard.

  Il tenait une proie dans sa gueule, un petit lapin dont le sang dégoulinait encore. Sûrement une mère amenant le repas à ses petits. Après m’avoir regardé un instant, elle s’approcha de moi. Une paire de mètres nous séparait encore lorsque sa progression s’arrêta brusquement. Le renard fit un pas en arrière, puis repartit en courant.

  –Siiiiiiiryane.

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