Chapitre 15 - Partie 2

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  –Vous voulez qu'on retourne là-bas ? s'exclama la Hestski. (Mon regard répondit à ma place.) Non, non, non. On vient juste de s'échapper, vous ne pouvez pas...

  Un sanglot étouffa le reste de sa phrase. L'idée de remettre les pieds dans sa prison la terrifiait. Pouvais-je lui en vouloir ? Dame Nature seule savait ce qu'elle et les autres avaient subi dans cette demeure.

  Je savais que son apparence de fillette était trompeuse ; c'était en réalité une jeune adulte. Pourtant, je ne pus m'empêcher de m'accroupir pour être à sa hauteur et de poser une main sur sa tête pour la rassurer, comme je l'aurais fait avec une enfant.

  –Je ne compte pas vous remettre entre les mains de ce Lathos, mais je suis seul. Je ne peux vous confier à personne et il faut que je me rende là-bas. Deux de vos collègues s'y trouvent encore, Émis s'en est enfuie et il faut arrêter cet homme. Vous comprenez ?

  Elle opina faiblement.

  –Y a-t-il un endroit où vous pourriez vous cacher dans le manoir ? demandai-je en me relevant.

  –Nous n'occupions que le dernier étage, répondit Dobrota, les autres sont à l'abandon. On devrait pouvoir y rester un peu sans qu'il se doute de rien, même s'il revient.

  –Parfait.

  Je me tournai vers Magdalena et l'interrogeai du regard. Elle hocha la tête.

  –Nous avons dû partir il y a deux heures, deux heures et demi, mais je devrais pouvoir nous conduire là-bas, affirma-t-elle.

  –Alors allons-y.

  J'inspectai d'un coup d'œil rapide les rescapées. Hestski devait avoir du mal à suivre un rythme soutenu avec ses petites jambes... Je me baissai et la décollai du sol.

  –Mais qu'est-ce que vous faites ? s'écria-t-elle en agitant ses pieds dans le vide.

  Je la posai sur le dos de Skinfaxi sans lui répondre. Ses protestations cessèrent aussitôt et elle s'accrocha à la selle comme si sa vie en dépendait.

  –Laquelle de vous deux est la plus fatiguée ? demandai-je aux autres.

  Le regard de la Dobrota glissa vers Magdalena, qui baissa les yeux, puis s'avança vers moi. Je l'aidai à monter en selle. Après s'être installée du mieux possible malgré ce qui lui servait de robe, elle attira la petite concubine contre elle et prit les rênes en mains. Nous ne tardâmes pas à nous mettre en marche.

  Les filles s'étaient enfuies de leur prison il y a près de deux heures et demi. Nous allions au moins mettre autant de temps à nous y rendre. Aurait-il été plus rapide que je les conduise au lieu de rendez-vous dont nous avions convenu avec le Marquis Marcus et que je lui confie les filles avant que Magdalena et moi nous rendions au manoir au galop ? Non, cela serait revenu au même, voire plus long ; nous ne devions pas nous retrouver avant une paire d'heures. Et puis, le Marquis comprendrait tout de suite que j'avais trouvé quelque chose quand je ne le rejoindrais pas. Il allait forcément suivre les traces de sabots laissées par Skinfaxi pour remonter jusqu'à moi et, à son arrivée, il pourrait prendre les filles en charge. Le temps qu'il nous rattrape, il y avait de forte chance que nous ayons déjà atteint le manoir. Devrais-je l'attendre avant de repartir ou laisser aux filles le soin de lui expliquer la situation ?

  Je leur jetai un coup d'œil dans mon dos et mon regard s'attarda sur Magdalena.

  Je me figeai.

  Magdalena et le Marquis Marcus. Une Liseuse et un Gardien.

  Dame Nature ! comment avais-je pu oublier un détail pareil ? Comment allait-il réagir en sentant son pouvoir si ce n'était pas déjà fait ?

  Skinfaxi s'arrêta.

  –Kal ? (Je me focalisai de nouveau sur Magdalena.) Il y a un problème ?

  Comment lui faire comprendre qu'un Gardien au rayon de détection bien supérieur à la moyenne se trouvait dans les environs ? Je ne pouvais pas l'avertir clairement alors que nous étions avec deux humaines : les cheveux noirs et les yeux bruns des deux filles de plaisir trahissait leur nature.

  –Vous n'auriez pas vu un jeune homme aux cheveux blonds et aux yeux dorés ?

  Ceux de Magdalena s'écarquillèrent et elle perdit toute couleur, tandis que les deux concubines se contentaient de secouer la tête.

  Elle eut du mal à déglutir avant de me répondre.

  –Non, nous ne l'avons pas vu, murmura-t-elle d'une voix d'où transparaissait son malaise. Et je ne pense pas qu'il nous ait vu non plus.

  Ses lèvres articulèrent « havankila ». Elle était toujours sous l'emprise de ce poison ? Je comprenais mieux pourquoi elle semblait fiévreuse et plus fatiguée que les autres. Au moins, elle n'était pas prise de démence. La dose qu'elle avait reçue ne devait pas être trop forte. Cela allait aussi empêcher le Gardien de sentir son pouvoir, même s'il se trouvait juste à côté d'elle. Mais cet effet s'estomperait dès que son organisme se serait débarrassé de l'havankila. Il fallait qu'elle soit loin de lui à ce moment-là. Dans combien de temps cela se produirait-il ?

  J'accélérai le pas en tirant sur la bride de mon cheval pour qu'il suive mon rythme.

  –Qui est ce jeune homme ? s'enquit Magdalena.

  –Un soldat illiosimerien qui m'aide à vous chercher depuis le début. Un excellent combattant à la vue perçante.

  Je lui jetai un regard en coin afin de vérifier qu'elle avait compris que ce que je sous-entendais par « une vue perçante ». La petite étincelle de panique qui traversa ses yeux me le confirma. Elle avait aussi compris ce que la grande portée de détection du Marquis impliquait : sa nature risquait d’être découverte ce soir et si, par un miracle de Dame Nature, ce n’était pas le cas, elle ne pourrait pas rester au château tant que la délégation serait là.

  –S'il voit aussi bien que vous le sous-entendez, j'espère qu'il verra l'Horloger, murmura-t-elle en poussant Skinfaxi à passer au trot.

  Pour que le Marquis le sente, il fallait que l'Horloger se situe dans un rayon d'un kilomètre autour de lui. Je ne savais pas ce que je préférais : que Lunixa soit proche de cet homme, ainsi, si jamais le Marquis le détectait, il la trouverait aussi ? Ou qu'elle ait réussi à le semer mais cela pourrait nous demander plus de temps pour la retrouver alors qu'elle était perdue dans la forêt ?

  Mes doigts enserrèrent la bride.

  Je détestais tant ces deux possibilités...

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