Chapitre 14 - Partie 1

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LUNIXA


  Je n'arrivais plus du tout à respirer. L'Horloger serrait ma gorge si fort que mes poumons ne pouvaient plus se remplir d’air. Malgré l'engourdissement de mon corps, je me mis immédiatement à m'agiter, autant poussée par un réflexe primaire que la panique. Glisser mes mains hors de ses doigts, lui donner un coup pour qu'il les lâche, peu importait ! Je devais les libérer au plus vite ! Le contre-coup de son pouvoir se répercutait toujours en moi, m'avait affaibli, et je n'avais pas eu le temps d'inspirer avant que sa main ne se referme sur ma gorge. Je ne tiendrais jamais une minute.

  En réponse à ma lutte, il raffermit sa poigne, m'écrasant complètement la trachée.

  –Dire que tu étais là..., cracha-t-il, sous mon toit...

  –Je... pas... Si... ane

  –Comme si j'allais te croire, sale chienne ! Il n'y a que toi et ce salopard d'Enkelion pour bloquer nos pouvoirs. Et ces yeux... (Les siens se déplacèrent furtivement à droite avant de revenir sur moi.) Je comprends mieux pourquoi on n'arrivait pas à se mettre d'accord sur la couleur qu'ils prenaient quand tu utilisais tes pouvoirs. Ils ne devenaient ni bleus ni verts, mais turquoise !

  Des taches noires apparurent dans mon champ de vision et mon corps s'affaissa sur le canapé, à bout. Alors que je luttais pour ne pas perdre connaissance, l'Horloger jeta de nouveau un rapide coup d'œil sur la droite. Son index appuya sur mon menton pour me forcer à pencher la tête en arrière, sans que les autres doigts encore autour de ma gorge ne se desserrent pour autant. Je n'eus pas la force de résister, ni celle de garder les yeux ouverts plus longtemps. Mes paupières se fermèrent sur une larme silencieuse.

  Kalor...

  Une explosion de verre retentit soudain dans la pièce.

  Ce bruit se répercuta dans mon esprit et me ramena à moi l'espace d'une seconde. Un temps plus que suffisant pour que je me rende compte que l'étau sur mes poignets avait disparu. Mon cœur eut un battement puissant. Un feu ardent se déversa dans mes veines. Il masqua toute douleur, balaya toute fatigue, raviva mes forces restantes. Poussée par cette vague d'énergie pure, cette rage de vivre, je rouvris les yeux et plongeai ma main vers la gorge de l'Horloger. Mon poignard s'y planta au moment où la bouteille de vin brisée touchait la mienne.

  La poigne de l'Horloger sur son arme de fortune et mon cou se relâcha aussitôt, tandis qu’un soubresaut le traversait. Le sang qui jaillit de ses lèvres macula mon visage ; la bouteille continua sa course, entrainée par l’élan, et entailla ma chair au lieu de la trancher en profondeur ; l'air s'engouffra brutalement dans mes bronches, me brûla les poumons. Prise d'une violente quinte de toux, je dus me faire violence pour ne pas me plier en deux. Je n'avais pas le temps d'attendre que cette crise passe ! Toujours animée par cette bouffée d'adrénaline, je plantai un second poignard dans la poitrine de l'Horloger, puis le fis basculer sur le côté. Son corps s'écrasa sur le parquet dans un bruit sourd.

  Je descendis du canapé, jetai à peine un œil à mon ravisseur, étendu à mes pieds, puis courus vers la porte malgré mes jambes tremblantes et ma toux déchirante. Je venais à peine de l'atteindre que l'air de la pièce s'alourdit brusquement, comme au cours d'un orage.

  –Siiiiir....yyyaaaaaaaaaaaaane.

  Cette voix sortie d'outre-tombe me glaça le sang. Je me retournai en sursaut et vis, horrifiée, l'Horloger plaquer une main sur le parquet pour se redresser, les poignards encore enfoncés dans sa chair. Dame Nature, il n'était pas mort ?! Comment pouvait-il encore déployer autant d'énergie avec de telles blessures ? Il tourna la tête vers moi, les yeux fous de rage et le menton dégoulinant de sang. Cette vision couplée à la puissance qu'il dégageait et la force que je lui connaissais me firent reculer d'un pas. Peu importait à quel point il était blessé, si je m'approchais de lui, je n'étais pas sûre d'emporter le combat qui s'ensuivrait. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Les filles... il fallait que je fasse sortirent les filles. N'y réfléchissant deux fois, je me précipitai hors de la salle de musique et claquai la porte derrière moi. Le bois n'étouffa pas totalement la fureur de l'Horloger.

  La chambre avait beau être à l'autre bout du couloir, elle me paraissait à des kilomètres de distance. Même si je parvenais à l'atteindre avant que l'Horloger ne me rattrape, je n'aurais jamais le temps de la crocheter. J'avais besoin de la clef. Je ne savais pas si j'en étais capable puisque je n'en avais jamais créé d'autre auparavant et n'avais jamais vu à quoi elle ressemblait, mais l'heure n'était pas aux questions.

  Le froid du métal envahit ma paume en une fraction seconde alors que je courrais plus vite que mon état ne me le permettait. Mes poumons me brûlaient toujours, du sang coulait de la coupure à ma gorge, chaque inspiration semblait lacérer ma trachée, mon corps tremblait, des larmes cherchaient à gagner mes yeux... Sans l'adrénaline qui pulsait dans mes tempes, au même rythme que les battements effrénés de mon cœur, je me serais effondrée dès que j'étais descendue du canapé.

  Au moment où j'arrivai devant la chambre, un claquement de porte résonna dans le couloir. La panique déferla en moi. Je glissai la clef dans la serrure sans plus me demander si elle allait fonctionner ou pas, puis la déverrouillai en deux coups.

  –Magdalena ! hurlai-je en ouvrant.

  Elle se retourna en sursaut, imitées par les hétaïres. Leurs yeux à toutes s'agrandirent d'horreur en me voyant.

  –La porte d'entrée est ouverte, il faut partir maintenant ! Dépêchez-v...

  –Attention ! cria Ottilie.

  Je pivotai aussitôt sur le côté et reculai d'un pas, refermant la porte dans le mouvement. Le poignard qui aurait dû s'enfoncer dans mon dos passa à quelques centimètres de ma poitrine et se ficha dans le bois du battant. Le temps que je tourne la tête sur le côté, l'Horloger, plus jeune que lorsque je l'avais quitté et totalement guéri, n'était plus qu'à une portée de main. Mon corps prit le contrôle. J'esquivai le coup qu'il porta avec ma seconde lame, puis m'enfuis vers le couloir de droite, celui que j'avais emprunté un peu plus tôt. L'Horloger me prit en chasse sans se soucier une seule seconde des autres filles ou de leur porte déverrouillée. Je ne savais pas qui était la femme pour qui il me prenait, mais une chose était sûre : son envie de la tuer, de mettre fin à ses jours – à mes jours –, était plus forte que tout.

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