Chapitre 8 - Partie 2

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  Impuissante, je n'eus d'autre choix que de rester simple spectatrice de la cruauté de l'Horloger. Il lui injecta tout le contenu de la seringue, puis sortit l'aiguille de sa chair. Magdalena s'écroula dès qu'il desserra sa poigne de ses cheveux. Je me précipitai vers elle. Son corps était secoué de tremblements. Je m'empressai de récupérer sa serviette pour la couvrir, tout en foudroyant l'Horloger du regard. Cette ordure eut le culot de sourire !

  –Ne me regarde pas comme ça, ma douce, murmura-t-il après s'être penché vers moi. Ce n'est qu'une simple prévention. Ses pouvoirs sont trop puissants pour que je prenne le moindre risque.

  –Que la Punition t'emporte !

  Il secoua la tête sans se départir de son sourire. J'aurais même juré qu'il s'était agrandi.

  –Même si je reconnais que ça a un côté excitant, de si belles lèvres ne devraient prononcer d'aussi vilains mots. Et puis, tu devrais trouver une meilleure expression pour me maudire. Que la Punition m'emporte ? (Il éclata de rire.) Tu sembles avoir oublié que j'y ai survécu.

  Il se redressa, tout sourire, puis retourna dans la chambre d'un pas nonchalant.

  –Hermine, je te veux pour le dessert, alors ne mets pas trop de temps à manger.

  La porte se ferma dans la pièce d'à côté, suivie du verrou. J'accordai immédiatement mon attention à Magdalena, l'estomac rongé par l'inquiétude.

  –Magdalena ?

  Le teint anormalement pâle et la peau couverte de sueur froide, elle avait du mal à respirer.

  –Je... je vais bien, haleta-t-elle. C'est juste... juste de l'havankila. Dans... dans deux minutes... j'irais mi...

  Une violente quinte de toux la coupa. Déchirée de l'intérieur, elle se plia en deux et cracha ses poumons. Des gouttes de sang maculèrent le carrelage.

Par la déesse !

  Je balayai la pièce du regard et tombai sur le verre qu'on m'avait donné à mon réveil. Je le remplis en vitesse, puis aidai Magdalena à se redresser pour la faire boire, en veillant à garder la serviette autour de son corps. Au début, elle toussait tant qu'elle n'arrivait à rien avaler. Il fallut que sa crise s'atténue un peu avant qu'elle parvienne à prendre de faibles gorgées. Le souffle court, elle leva les yeux vers moi.

  –Mer...

  –Ne me remercie pas, je te l'interdis.

  Elle n'aurait eu jamais à subir une telle torture si je ne lui avais pas demandé de m'accompagner. Je ne méritais pas sa gratitude.

  Je m'adossai au mur en gardant Magdalena contre moi. Petit à petit, sa respiration se stabilisa, cependant elle n'avait pas encore retrouvé sa régularité quand l'une des hétaïres, Berta, entra dans la salle de bain.

  –Tout va bien ? demanda-t-elle après une légère hésitation.

  –Pas vraiment, avouai-je, le cœur lourd. Elle a de nouveau de la fièvre.

  Elle s'approcha de nous et posa une main sur son front. Une grimace tira ses lèvres.

  –Tu as raison, elle est brûlante. On devrait la coucher.

  J'acquiesçai. Avec son aide, je transportai Magdalena dans la chambre, puis l'allongeai dans son lit. Berta m'assista aussi pour lui mettre une chemise de nuit avant de la border. Alors que j'allais retourner dans la salle de bains pour humidifier un linge et le déposer sur son front, Ottilie m'en apporta un. Leur sollicitude me noua la gorge et les larmes me montèrent aux yeux. Je dus me mordre les lèvres et ciller plusieurs fois pour les chasser.

  –Merci beaucoup.

  Pendant que les filles mangeaient, je restai auprès de Magdalena. Elle essaya de me convaincre de la laisser le temps d'aller me nourrir mais je refusais de la quitter une seule seconde. De toute façon, je n'avais pas faim.

  Au bout d'une quinzaine de minutes, ses paupières se fermèrent et elle plongea dans le sommeil. Mon regard parcourut sa silhouette à peine visible sous ses les couettes, avant de s'attarder sur son visage. Une pointe de culpabilité comprima à nouveau ma poitrine. Pourquoi l'avais-je entraînée avec moi ? Elle avait peut-être de puissants pouvoirs, elle restait avant tout une simple jeune femme aux traits délicats, sans aucune connaissance en combat.

  Je n'aurais jamais dû lui demander de m'accompagner.

  Une vague de nausée me traversa lorsque l'Horloger revint, une demi-heure après son départ. Son regard croisa le mien l'espace d'une seconde, puis se posa sur les hétaïres. Il n'eut pas à prononcer un mot pour qu'Hermine se lève de table et le rejoigne. Un sourire concupiscent fleurit sur les lèvres de notre ravisseur. Quand la jeune femme prisonnière dans son corps âgé s'arrêta devant lui, il l'étudia quelques instants, puis se pencha vers elle et susurra à son oreille. Mes muscles se tendirent en la voyant frémir. Qu'avait pu lui dire ce monstre ? Après un dernier coup d’œil dans notre direction, il glissa une main dans le dos d'Hermine et referma la porte derrière eux.

  Tandis que le bruit du loquet résonnait dans la pièce, mes yeux glissèrent vers les autres filles. Edwige avait arrêté de manger alors que son assiette était encore à moitié pleine. Ottilie refoulait ses sanglots, blottie contre Berta qui passait une main dans ses cheveux et lui murmurait des paroles rassurantes malgré sa propre peur. Qui aurait pu leur en vouloir de ne plus réussir à cacher leur détresse ? Ces pauvres femmes enduraient ces traitements, ces abus et ces viols depuis des semaines, des mois pour certaines.

  Et c'était exactement ce qui nous attendait avec Magdalena, si nous ne parvenions pas à nous échapper.

  La soirée se poursuivit dans un silence sépulcral. Les filles reposèrent leur vaisselle sur la desserte près de la porte, se succédèrent l'une après l'autre dans la salle de bains, puis se glissèrent sous leurs couettes. De faibles « bonne nuit » se répondirent et elles soufflèrent leur bougie.

  Elles s'étaient endormies depuis près d'une heure quand je consentis enfin à quitter le chevet de Magdalena. Moi aussi, je devais aller me coucher. À contrecœur, je récupérai la chemise de nuit et le dessous posé sur « mon » lit, puis me rendit dans la salle de bains. L'eau qui se déversa sur ma peau n'eut aucun effet sur la tension de mon corps et les sentiments qui étreignaient mon cœur. Le doute tenta de profiter de ma solitude et du silence pour s'immiscer en moi. Je dus faire preuve de toute ma volonté pour le repousser. Si je cédais, je n'aurais plus la force de me battre alors que je ne devais pas baisser les bras. Il y avait un moyen de sortir d’ici, c’était obligé.

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