Chapitre 8 - Partie 3

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  Alors que je me trouvais encore sous la douche, la porte de la salle de bains s'ouvrit. Mes muscles se tendirent aussitôt.

  –Qui est là ?

  –Ce n'est que moi.

  La surprise me frappa.

  –Magdalena ? m'étonnai-je. Mais que fais-tu debout ? Retourne te coucher, tu dois te reposer.

  –Non, vous vouliez me dire quelque chose tout à l'heure mais avec tout ce que je vous ai raconté, vous n'en avez pas eu le temps.

  –Nous pouvons attendre demain...

  Je l'entendis glisser contre le mur.

  –Le plus tôt sera le mieux, rétorqua-t-elle. Surtout si ça peut nous permettre de nous enfuir. Alors, de quoi vouliez-vous parler ?

  Je me mordis les lèvres, hésitante. J'aurais préféré qu'elle prenne soin d'elle avant toute chose, mais elle avait raison.

  –Que sais-tu des Horlogers ?

  Plusieurs secondes durant lesquelles seul le bruit de l'eau emplit la pièce s'écoulèrent avant que sa voix ne s'élève à nouveau.

  –Où avez-vous entendu ce nom ?

  –De notre ravisseur, il a dit qu'il en était un et m'a montré une part de ses pouvoirs en rajeunissant sous mes yeux.

  Magdalena poussa un profond soupir.

  –Voilà qui explique bien des choses...

  –Que veux-tu dire ?

  –Cette race de Lathos ne devrait plus exister, les Gardiens étaient censés l'avoir éradiquée durant la purge. À l'origine, ils n'auraient pourtant pas dû être concerné ; comme les Horlogers avaient la faculté de manipuler l'horloge biologique de tout être vivant, ils se servaient de leur pouvoir pour soigner les blessures, à l’instar des Guérisseurs, ce qui les rendaient utiles à notre espèce. Malheureusement, certains d'entre eux ont abusé de leurs capacités : ils manipulaient l'âge de certaines personnes pour les punir ou pour s'amuser, modifiait le leur pour échapper à la mort... Les Gardiens ont fini par juger leurs comportements inacceptables et l'ensemble des Horlogers a payé les excès d'une minorité : leur race a été effacée. Je ne suis même pas sûre que beaucoup de Lathos se souviennent de leur existence. Parmi les races supprimées, beaucoup sont tombées dans l'oubli.

  Si je me fiais à l'intonation de sa voix, Magdalena semblait en savoir beaucoup à ce propos et connaissait encore ces fameuses races. J'aurais aimé lui poser des questions sur ce « nettoyage » des races lathiennes, cette part absolument inhumaine de l'histoire des Lathos qui avait entraîné la mort de nombreux humains – bien qu'elle m'intriguait beaucoup, j'en savais encore très peu à ce sujet. Cependant, je ne devais pas dévier la conversation, la parasiter par mes interrogations ; nous n'en avions pas le temps. Aussi, la laissai-je poursuivre sans l'interrompre.

  –Quoiqu'il en soit, si notre ravisseur est, comme je le suppose, un Horloger qui a réussi à échapper à l'éradication de sa race, cela signifie qu'il a au moins quatre siècles et que son existence...

  –Il s'approche plutôt des huit siècles, la corrigeai-je en sortant de la douche, une serviette autour de moi. Il m'a dit qu'il avait connu la Punition, qu'il était un Lathos originel.

  Magdalena me dévisagea, les yeux écarquillés.

  –Un Lathos originel ? C'est précisément ce qu'il a dit ?

  –Oui, est-ce que ça signifie...

  –Qu'il est l'un des humains ayant absorbé les pouvoirs de Dame Nature lors de la Punition ? Oui. C'est tout à fait ça. Tous les autres sont décédés depuis très longtemps, mais lui, il a dû se servir de ses pouvoirs pour déjouer la mort.

  –Il est donc immortel ?

  Elle secoua la tête.

  –Même s’il peut guérir de nombreuses blessures en rajeunissant son corps, il n'est pas invincible. Il ne pourra rien faire s'il meurt sur le coup.

  Ce qui était logique : comme n'importe quel Lathos, il devait être en état d'utiliser son pouvoir pour s'en servir. Donc si un coup le tuait avant qu'il ait le temps de se soigner... Il ne devait pas non plus être capable de modifier son âge s'il était trop faible ou inconscient.

  Il y avait toutefois une chose qui le différenciait énormément de ses pairs et qui devait avoir son importance sur ses capacités.

  –Le fait qu'il soit un Lathos originel le rend-il plus puissant que la normal ?

  –Je n'en sais rien, avoua Magdalena.

  –Est-ce à cause de cette particularité que tu ne peux pas le sonder ? enchaînai-je.

  –Non, c'est à cause de son âge. Son existence est une aberration : aucun homme ne devrait vivre aussi longtemps. Il aurait dû mourir des siècles plus tôt. Déjouer la mort de la sorte n'est pas sans conséquence ; ça a fait de lui un être à part, en dehors du temps. Il n'appartient pas à notre époque et pourtant il s'y trouve, comme s'il évoluait dans une temporalité différente de la nôtre.

  –Et c'est ce qui a bloqué tes pouvoirs, conclus-je.

  –Plutôt perturbés, rectifia-t-elle, puisque je pouvais sentir ses pensées. Même si je n'ai pas réussi à y accéder la dernière fois, ça prouve que j'aurais pu y arriver si j'avais forcé. Mes pouvoirs ont simplement besoin de traverser le voile temporel qui entoure cet homme pour l'atteindre. Mais même si je n'étais pas privée de mes capacités par l'havankila, je ne m'y risquerais pas.

  –Pourquoi ?

  –Parce que la différence d'âge entre nous est beaucoup trop importante. Il vit depuis des siècles ; le monde a évolué depuis sa naissance et il était aux premières loges pour y assister. En les vivants, il s’est progressivement habitué aux changements qui ont opéré au cours du temps, ce qui n'est pas du tout mon cas. Si je plonge dans ses pensées, cet écart entre nous risque de me frapper de plein fouet. Je pourrais découvrir des choses qu'il a vu et vécu que mon esprit serait incapable d'assimiler, de comprendre, de supporter.

  Un frisson me traversa.

  –Serait-ce aussi dangereux que ça en a l'air ?

  –Plus encore, murmura-t-elle, le regard perdu dans le vide.

  Comprenant l'insinuation, je n'insistai pas plus et m'installai à ses côtés.

  –Avez-vous découvert autre chose à son sujet qui pourrait nous aider ? s'enquit-elle.

  –Non, je sais seulement qu'il utilisera ses pouvoirs sur nous si on lui désobéit, comme il l'a fait avec Ottilie et Hermine.

  Magdalena assimila l'information d'un faible hochement de tête, pas vraiment surprise par cette nouvelle. La tension de ses muscles trahissait toutefois ce que lui inspirait cet ignoble traitement.

  –Heureusement, il ne devrait pas pouvoir vous faire du mal de cette façon, murmura-t-elle en posant le menton sur ses genoux.

  Je cillai plusieurs fois, surprise.

  –Pourquoi penses-tu ça ?

  –Parce que vous semblez être plus ou moins immunisée contre les pouvoirs intrusifs comme ceux des Guérisseurs ou ma capacité à accéder aux esprits. Les Horlogers rentrent également dans cette catégorie.

  Je me frottai le bras, mal à l'aise. Cette annonce ne me rassurait pas autant qu'elle aurait dû, faisant surtout rejaillir mes doutes et interrogations.

  –Avez-vous déjà entendu parler de quelqu'un avec une telle faculté ? demandai-je.

  –Non, je suis navrée.

  Ma poitrine se serra. Mes questions resteraient-elles à jamais sans réponse ou saurais-je un jour pourquoi j'avais développé ces étranges pouvoirs ? Pourquoi, du jour au lendemain, mes iris avaient pris cette couleur singulière ?

  Magdalena pencha la tête sur le côté et m'étudia de ses yeux brillants de fièvre.

  –Je me trompe peut-être, mais vous semblez soucieuse.

  –C'est simplement cette capacité qui me travaille, ce n'est rien.

  –Vous ne saviez pas que vous la possédiez ?

  –Non... et ça me fait douter de ma nature.

  Bien que je sois née avec des cheveux noirs et des yeux bruns, je n'étais pas humaine, ou du moins je ne l'étais plus. Pourtant, malgré mes pouvoirs, je n'étais pas non plus une Lathos ; l'havankila n'avait eu aucun effet sur moi. Alors qu'étais-je à la fin ?

  –Voulez-vous en discuter ? me proposa Magdalena.

  J'ouvris la bouche, puis la refermai sans prononcer le moindre mot. Des souvenirs que j'aurais aimé oublier à tout jamais venaient de traverser mon esprit : le regard rempli de haine et de rage du Lathos qui avait essayé de me tuer après avoir vu ce dont j'étais capable, la vitesse à laquelle il m'avait attaqué sans hésitation, toute l'énergie qu'il avait déployée pour mettre fin à mes jours... Je voulais bien essayer de faire confiance à Magdalena, même si cela me terrifiait, mais je n'étais pas encore prête à parler de mes pouvoirs. À personne. Même Giulia n'était pas au courant.

  –Je suis désolée, ce n'est pas contre toi, c'est juste que...

  –Vous avez peur, compléta-t-elle avec un sourire bienveillant. Je comprends, ne vous inquiétez pas.

  La tension qui m'habitait s'adoucit. Comme elle me l'avait promis, elle ne me forçait à rien, m'offrait seulement d'être là si j'avais besoin de quelqu'un à qui parler. Cela changerait-il si elle savait toute la vérité à mon propos ? Je m'empressai de chasser cette idée. Je n'avais pas le temps de m'inquiéter à ce sujet ; il y avait bien plus urgent : notre fuite.

  J'allais demander à Magdalena si elle avait des idées pour qu'on sorte d'ici, mais en la voyant ciller plusieurs fois, le regard vague, je m'abstins. Rien ne servait de discuter alors qu'elle était dans cet état, elle devait absolument se reposer.

  –Et si nous reprenions cette conversation demain matin ? proposai-je en me relevant.

  –Nous devrions finir ce soir, nous ne savons pas quand il a prévu de coucher avec nous et s'il le fait...

S'il le fait nous serons toutes deux condamnés à mort.

  Mes muscles se bandèrent ; je serrais les dents. L'Horloger avait prévu de s'unir avec moi le lendemain. Cela me laissait à peine un jour pour trouver une solution. Dormir semblait en effet être une perte de temps, cependant nous en avions toutes les deux besoins.

  –Nous en parlerons demain, à la première heure, déclarai-je. Pour l'heure, nous avons besoin de sommeil. Nous sommes toutes les deux fatigués, toi encore plus que moi ; ça risque de nuire à notre concentration et à nos réflexions.

  –Vous n'avez pas tort, abdiqua-t-elle.

  Elle se retourna, le temps que je me vêtisse pour la nuit. Je l'aidai ensuite à se relever et l'accompagnai dans son lit. Il lui fallut à peine deux minutes pour se rendormir. Cette situation dangereuse aurait dû m'empêcher de fermer l'œil – me retrouver dans une position aussi vulnérable me mettait profondément mal à l'aise, m’effrayait – mais je n'avais pas menti à Magdalena : j'étais épuisée.

  Morphée m'accueillit dans ses bras quelques secondes après elle.

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