Chapitre 7 - Partie 2

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  Je repliai mes jambes contre moi.

  –Madame ? insista-t-elle.

  –Car il m'a embrassé, avouai-je d'une petite voix, alors je l'ai giflé. Il n'a pas apprécié.

  Son regard fut gagné par la compassion.

  –Je suis navrée...

  –Ne t'excuse pas, Magdalena. Ce n'est nullement ta faute. Je n'aurais jamais dû te demander de m'accompagner sans en informer Kalor.

  –Vous veniez d'avoir une violente dispute, me rappela-t-elle.

  Ce n'était pas une raison suffisante. Jamais je n'aurais dû l'exposer au danger pour me protéger.

  –Et puis, malgré ma taille, je suis une grande fille capable de prendre ses propres décisions. J'aurais très bien pu prévenir votre mari de mon côté. Malheureusement, je ne l'ai pas fait car j'ai surestimé mes pouvoirs et cru que vous ne risquiez rien avec moi.

  Magdalena ramena ses jambes contre sa poitrine et les entoura de ses bras.

  –Si seulement j'avais pu le sentir... murmura-t-elle.

  Je fronçai les sourcils

  –Que veux-tu dire ?

  –Je n'ai pas senti sa présence avant qu'il ne s'exprime. Même quand il se trouvait juste dans mon dos, alors que j'étais sur mes gardes. Ses pensées, ses émotions...

  –Comme moi ?

  Elle secoua la tête.

  –Pas du tout. À part ce que vous voyez, le reste de votre esprit m'est totalement inaccessible, pourtant vos émotions sont aussi claires que n'importe qui. Alors que lui… Il ne semblait pas émettre le moindre sentiment. Quant à ses pensées, je les sentais très bien mais ne pouvais les atteindre. Comme si elles étaient à la fois présentes et absentes. Je n'avais jamais ressenti ça auparavant et c'est pour ça que j'ai été prise de court.

  Était-ce à cause de ce qu'il était ? Un Horloger ou un Lathos originel ? Un mélange des deux ?

  Magdalena poursuivit avant que je n'aie le temps de lui poser la question.

  –Comme son Altesse était trop loin, j'ai essayé d’avertir Freyja, mais à cause de l'havankila, je ne suis pas sûre d'y être parvenue.

  Le regard fatigué, elle posa son front sur ses genoux tandis qu'une bouffée d'espoir emplissait mes poumons.

  –Elle était dans les environs ?

  Si c'était le cas et que Magdalena avait bien réussi à la prévenir de la situation, les recherches pour nous retrouver avaient dû commencer plus tôt que je ne le pensais.

  –Non, elle était chez elle, me contredit Magdalena.

  Je fronçai les sourcils, perdue. Se rendait-elle compte que ses dires n'avaient aucun sens ? Freyja habitait à dix heures de la capitale. Comment pouvait-elle l'avoir contactée si elle considérait que Kalor, au château, à une heure de la maison Irigyès, se trouvait trop loin.

  Un souvenir de quelques mois ressurgit soudain dans mon esprit. Magdalena avait déjà parlé à Freyja depuis le palais, pendant que Kalor délirait à cause de l'havankila. Pourtant, cette nuit-là, son amie se trouvait également chez elle, à Pyhakko

  –Pourquoi peux-tu contacter Freyja sur des distances aussi grandes ? demandai-je enfin. Y a-t-il un lien spécial entre vous ?

  Toujours replié sur elle-même, Magdalena émit un petit rire nerveux.

  –Je me demandais quand l’un de vous s’en rendrait compte… C’est bien le cas, confirma-t-elle. J'ai bridé son esprit. (Je haussai les sourcils.) Freyja a un passé difficile. Comme elle avait peur qu'un Liseur puisse le découvrir, j'ai protégé son esprit en installant une sorte de mur psychique tout autour. Depuis ce jour, personne d'autre que moi et ceux qui me sont plus puissants ne peut y accéder. Et non, si vous vous posez la question, ce n'est toujours pas la même chose que vous. Le mur autour de l'esprit de Frey ne protège que ses pensées, elle peut toujours souffrir d'attaques psychiques, alors que le vôtre est une forteresse impénétrable qui empêche toute intrusion et que rien ne semble pouvoir briser. Il ne comporte qu'une faille : cette minuscule ouverture qui me permet de voir à travers vos yeux.

  –Je vois...

  –Pour en revenir à Frey, ce que je ne savais pas c'est qu'en installant cette protection, j'aillais lier nos deux esprits ensemble. Je ne l'ai découvert qu'après coup. C'est pourquoi je peux la contacter à n'importe quel moment, peu importe la distance qui nous sépare.

  –Ce n'est pas dérangeant ?

  –Ça l'était au début, reconnut-elle. La connexion était si forte qu'elle nous dépassait : je pouvais accéder à ses pensées sans avoir à déployer mon pouvoir et elle pouvait entendre les miennes dès que j'ouvrais un peu mon esprit. Cependant, après un petit temps d'adaptation pour nous y faire et apprendre à nous en servir, ce lien s'est révélé plutôt pratique. Je ne suis jamais vraiment seule.

  Un sourire timide se dessina sur mes lèvres, le premier non simulé depuis mon réveil dans ce manoir.

  –Est-elle la seule avec qui tu as lié ton esprit ?

  –Oui... Mais si vous n'étiez pas déjà abritée par cette forteresse, j'aurais pu vous le proposer le jour où vous avez découvert ma nature, ajouta-t-elle après quelques secondes de silence.

  Mon sourire disparut.

  –Pourquoi aurais-tu fais ça ?

  Mon ventre se serra face à son silence.

  –Magdalena ?

  Le front toujours posé sur les genoux, elle soupira et ferma les paupières.

  –Parce que nous savons toutes deux que vous n'êtes pas tout à fait celle que vous prétendez être, n'est-ce pas ? Princesse Artémis Illios.

  Mon cœur s'arrêta.

  Plusieurs secondes s’écoulèrent, plus lourdes les unes que les autres, puis, lentement, Magdalena releva la tête et se tourna vers moi.

  –Ne vous êtes-vous jamais demandée qui vous avait retiré votre robe, la nuit où vous êtes tombée dans le lac gelé ? C'était moi... J'ai été plus que surprise. Pourquoi une Comtesse, qui plus est d'origine roturière, possède-t-elle un tatouage identique à la marque royale que le Prince Apollon Illios a dans le cou ? Tout le monde sait que ce sont plus que de simples tatouages, que personne ne peut les reproduire correctement, pas même un métamorphe. Seul un fou s'y tenterait. Alors pourquoi ? Il m'a fallu quelques heures, mais en me rappelant l’histoire de votre pays, qu’on m’avait expliqué durant mon séjour au palais d'Illiosimera, j'ai fini par comprendre qui vous étiez réellement.

  Le souffle coupé, je ne réagissais pas, pétrifié dans un état d'horreur absolue. Les mots de Magdalena me parvenaient avec difficulté, englués dans la mélasse qui avait remplacé l'air et m'empêchait de respirer.

  Elle... elle... elle...

  Elle était au courant !

  Un frisson d'effroi me secoua. Toute chaleur quitta brusquement mon corps tandis que de violents tremblements s'en emparaient. En proie à la terreur la plus totale, je voulus m'écarter d'elle, instauré le plus de distance possible entre cette femme et la menace qu'elle représentait. Magdalena empoigna mon bras avant que je n'effectue le moindre geste. Je me statufiai.

  –Respirez, Madame, vous n'avez pas à avoir peur. Je suis presque au courant depuis votre arrivée au pays. Ne croyez-vous pas que si j'avais eu l'intention de vous dénoncer, je l'aurais fait dès cette nuit-là ? Je comprends que vous soyez inquiète... même terrifiée à l'idée que je sache la vérité, mais vous n'avez rien à craindre. Je ne dirais jamais rien à personne, vous avez ma parole.

  Malgré le sourire qui accompagnait ses mots, je n’arrivai toujours pas à remplir mes poumons ou à me calmer. Comment pouvais-je savoir si elle était sincère ? Pourquoi avait-elle gardé ce secret aussi longtemps pour me le dire à présent ? Voulait-elle me faire savoir qu’elle détenait un moyen de pression contre moi ? Mais c’était Magdalena… elle avait toujours fait preuve de gentillesse et de bienveillance envers moi, avait toujours été là quand j’avais eu besoin d’aide. Pourquoi ferait-elle une chose pareille ? Elle n’était ni sournoise ni manipulatrice…

  J'aurais aimé la croire... Je voulais… j’avais besoin de la croire afin de me rassurer, de savoir que je ne risquais rien. Cependant mes craintes étaient ancrées depuis bien trop longtemps pour que je puisse les surpasser aussi facilement. Cette révélation venait de donner vie à l'un de mes pires cauchemars : l'une des terreurs nocturnes qui m'avaient empêchée de fermer l'œil de nombreuses nuits par le passé ou m'avait arrachée de mon sommeil dans des hurlements de terreur. Déchirée par tous les sentiments contradictoires qui m'assaillaient, je craquai. Ma vue se troubla en un instant et je fondis en larme, le corps secoué de sanglots.

  –Madame...

  Magdalena posa une main sur mon épaule. Je m'en dégageai immédiatement, encore terrifiée.

  –Vous n'avez rien à craindre, murmura-t-elle d'une voix bienveillante, je vous le promets.

  Elle réitéra son geste et cette fois, je ne la repoussai pas. Avec douceur, elle passa son bras par-dessus mes épaules, puis m'invita à poser la tête sur son épaule.

  Mes pleurs s'intensifièrent.

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