Chapitre 5 - Partie 3

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  Comme nous étions en fin de matinée, la maison était vide. Il n'y avait aucun client, aucun employer, à part une femme de ménage qui nettoyait le restaurant et devait remettre en ordre les chambres pour ce soir. Le lupanar prendrait vie dans plusieurs heures, peu après la tombée de la nuit.

  La vieille femme s'arrêta d'astiquer la table qu'elle décrassait lorsqu'elle me vit.

  –Je suis navré Monsieur, la maison est fermée pour le moment.

  –Je sais, mais j'ai rendez-vous avec le patron. Savez-vous où il se trouve ?

  –Oh, Monsieur Gérard m'avait pas prévenue. Il est dans son bureau, au premier étage. Une fois en haut, il faut aller à...

  –Je sais où il se situe, l'interrompis-je. Merci bien.

  Je la laissai à sa tâche et gravis l'escalier. Je n'accélérai le pas qu'une fois hors de sa vue, en haut des marches. Il me restait encore une paire de mètres à parcourir lorsque des voix me parvinrent de la porte entrouverte.

  –Non, en vrai, merci beaucoup. Je te dois une fière chandelle.

  –Si c'est juste pour quelques temps, ça me dérange pas de te prêter deux filles. Et puis, si j'étais à ta place, j'aimerais bien qu'on me fille un coup de main aussi. En perdre autant aussi vite... Putain. Je sais même pas comment tes autres ont pu tenir le rythme jusqu'à aujourd'hui.

  En entendant ces mots, je dus prendre une profonde inspiration pour ne pas enfoncer la porte et me contenter de frapper. Les voix se turent aussitôt. Une chaise racla le sol, des pas se rapprochèrent, puis la porte s'ouvrit enfin et je me retrouvai face au patron. Ses yeux s'agrandirent sous l'étonnement.

  –Monsieur, quelle surprise de vous voir. Que puis-je pour vous ?

  Malgré la colère qui brûlait en moi, je parvins à répondre d'un ton normal.

  –Je suis navré de venir à l'improviste mais j'aurais aimé m'entretenir avec vous. Serait-ce possible ?

  –Oui, bien sûr, je vous en prie.

  Il m'invita à entrer dans la pièce d'un geste de la main. Mes yeux se posèrent sur le deuxième homme que j'avais entendu dans le couloir. Il portait également le tatouage d'un rapace sur la gorge. Un proxénète.

  –Tu veux que je m'en aille, Gérard ? lui demanda ce dernier.

  Le patron de la maison Irigyès m'interrogea du regard.

  –Non, il peut rester, déclarai-je.

  Ainsi, selon leur attitude, je pourrais savoir si ce second souteneur était impliqué.

  Ledit Gérard s'installa derrière son bureau et je pris place sur la dernière chaise face à lui. Son pair se trouvait à ma droite.

  –Alors, de quoi vouliez-vous me parler ?

  –Je voudrais réserver Émis pour la semaine.

  –La... la semaine ? répéta-t-il, ahuri.

  J'opinai.

  –Je mettrai le prix nécessaire. Comme une semaine équivaut à sept jours, sept fois ce que j'avais payé la dernière fois ? Même si elle a perdu sa virginité depuis mon précédent passage ça ne me dérange pas.

  Il en resta sans voix, de même pour l'autre proxénète. Le premier avait dû se montrer quelque peu bavard.

  –Vous voulez payer autant... juste pour lui parler ? s'assura-t-il.

  Il avait fait exactement la même tête lorsque j'étais repassé dans son bureau, le temps que Lunixa récupère ses affaires, et que je lui avais raconté que nous n'avions pas couché ensemble, seulement discuté.

  –Oui, j'ai beaucoup apprécié les histoires étrangères qu'elle m'a conté la dernière fois, déclarai-je un sourire aux lèvres. Malheureusement nous avions dû couper court notre conversation car elle se sentait fatiguée. Alors pourrais-je la privatiser ?

  Le patron de la maison Irigyès revint à lui et une pointe de déception assombrit son regard.

  –Je suis désolé, ce ne sera pas possible. Émis a quitté la maison.

  –Vraiment ? C'est bien dommage... Ne pouvez-vous pas vous arranger pour qu'elle revienne ? Ou du moins me dire où elle se trouve, que je me rende là-bas.

  Alors que ses muscles se tendaient, il jeta un rapide coup d'œil à son collègue avant de me répondre.

  –Ce n'est pas autorisé par la loi.

  –Je peux augmenter mon prix. Le double de ma proposition initial : cent mille couronnes.

  Cette somme était vraiment conséquente. S'il avait enlevé des filles pour de l'argent, elle devait largement surpasser celle qu'on lui avait donné en échange.

  Son poing se referma.

  –Cette proposition est très intéressante... Pourriez-vous me laisser le temps d'y réfléchir ?

  Ces mots attisèrent le feu en moi ; cette ordure commençait à mettre ma patience à rude épreuve. Pourquoi n'acceptait-il pas ce maudit échange ?

  –Je dois dire que je préférerais avoir votre réponse tout de suite, refusai-je.

  Il pianota sur son bureau.

  –Avez-vous l'argent sur vous ?

  –Non, mais je peux vous faire un billet à ordre.

  –Très bien, rédigez-le-moi et je vous dirais où elle est partie.

  Pendant que je m'exécutais et qu'ils me pensaient concentré sur ma tâche, Gérard jeta un nouveau coup d’œil à l'autre proxénète. Il ne fallait pas être Liseurs pour comprendre ce que ces hommes avaient en tête. Ces regards, cette soudaine acceptation, leur muscles bandés depuis cet instant, prêts à être utilisés, la tension dans l'air... Ils n'avaient aucune intention de me révéler où était Lunixa ; ils n'en voulaient qu'après mon argent et comptaient s'arranger pour que je ne pose plus de problème par la suite. Quelqu'un d'aussi insistant que moi n'était jamais bon lorsqu'on trempait dans de sales affaires. Dès que j'aurais apposé mon seing sur le billet, la situation allait dégénérer.

  J'inscrivis le dernier zéro du montant, signai.

  Un crochet fondit à ma droite.

  Mon corps réagit automatiquement à cette attaque. D'un coup de pied, je fis basculer ma chaise en arrière. Le poing passa bien au-dessus de mon visage. Plus de doute possible, le second patron était aussi impliqué, ou alors il désirait seulement une part du butin. Quoi qu'il en soit, il n'aurait jamais dû faire cela.

  Lorsque le dossier de la chaise s'écrasa contre le sol, je me réceptionnai sans mal et me relevai dans la seconde, poignard à la main. Le bureau n'était pas assez haut de plafond pour sortir une épée.

  Mon masque tomba.

  –Où sont Émis et les autres filles ?

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