Chapitre 5 - Partie 2

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  Sentant le regard du Marquis sur moi, j'inspirai profondément pour essayer de me calmer, sans grand résultat.

  –Comme il y a de forte chance que la Comtesse Blanche ait les cheveux noirs, reprit-il, pouvez-vous me donner d'autres détails physiques pour que je puisse l'identifier ? Je ne l'ai encore jamais rencontrée.

  La quoi ?

  Interloqué par ce nom, je dévisageai le Marquis.

  –Comment avez-vous appelé ma femme ?

  Un légère... très légère fluctuation dans son regard inexpressif m'indiqua que ce nom était sorti tout seul et qu'il s'en rendait seulement compte à présent.

  –Je suis vraiment navré, votre Altesse, je ne voulais pas me montrer irrespectueux envers votre épouse. Je ne sais qui l'a appelée ainsi en premier, mais ce surnom est apparu lorsqu'elle s'est montrée pour la première fois à une soirée. Elle avait toujours décliné les invitations qu'on lui envoyait auparavant, alors la couleur de sa chevelure n'était qu'une rumeur. Cette nuit-là, les nobles ont découvert que ce n'était pas le cas et ce surnom existe depuis lors.

  La Comtesse Blanche ? C'était tellement réducteur... Lunixa était bien plus qu'une étrange chevelure blanche.

  –Je vous saurais gré de ne plus l'appeler ainsi à l'avenir, demandai-je. Et pour répondre à votre question, même si elle est au pays depuis des mois, elle a gardé son teint doré d'Illiosimerienne. Elle a aussi les yeux turquoise et elle est très fine.

  La vitesse affolante à laquelle elle perdait du poids lorsqu'elle ne mangeait pas assez se rappela durement à moi. Je revis son corps décharné, les os saillants de son visage et de ses épaules… Celui qui les avaient enlevées les nourrissait-il correctement ? Dans quel état allions-nous les retrouver ? Mon cœur se serra en pensant au pire. Il s'en était pris à des filles de plaisir, les forçait-il à coucher avec lui ? Si c'était le cas, les courtisanes disparues ne seraient pas condamnées pour avoir eu des relations extra-conjugales, leur statut particulier les en protégerait, mais Lunixa et Magdalena…

  Je donnai un coup de talon dans le flanc de Skinfaxi pour qu'il accélère. Les cinq minutes qu'il nous restait avant d'atteindre la ville me semblaient interminables.

  –Une dernière question, Altesse, fit le Marquis en me rattrapant. Votre pouvoir est-il connu du peuple ?

  Mon malaise le concernant revint d'un coup. Au fil de la conversation, j'avais presque oublié ce qu'il était réellement : un Gardien capable de me priver de mes pouvoirs si jamais je mettais notre espèce en danger. Était-ce la raison de sa question ? Voulait-il statuer ma position par rapport au reste des Lathos ou s'agissait-il de simple curiosité ?

  –Je veux juste savoir si la situation de notre espèce est différente dans votre pays ou non, précisa-t-il. Cette question me travaille depuis tout à l'heure ; vous êtes le premier Lathos de sang royal que je rencontre.

  –Vous ne cherchez pas à savoir si je suis un danger pour nos pairs à cause de ce statut particulier ?

  –Non. S'il a permis d'améliorer la vie des Lathos, c'est pour le mieux. Sinon, vous n'êtes qu'un simple métis avec un lignage un peu spécial. Sans vouloir vous offenser.

  Un rire mauvais m'échappa. Un simple métis... Comment Ulrich ou ma mère auraient-ils réagi en entendant quelqu'un m'appeler ainsi ?

  –Quoi qu'il en soit, je n'ai pas l'intention de vous priver de vos pouvoirs, conclut-il. Donc ?

  –Donc non, personne ne sait, répondis-je enfin, plus détendu. Pas même mon père. Nous sommes toujours aussi persécutés que dans le reste du monde.

  –Très bien. C'est bon à savoir.

  Je lui jetai un coup d’œil, sourcils froncés. Pourquoi s'en inquiétait-il ? Avec leur pouvoirs invisibles les Gardiens faisaient partie de ses races inconnues des humains.

  Le bruit des sabots de Skinfaxi sur les pierres du pont m'arracha à mes interrogations. J'y réfléchirais plus tard. À celles-ci et à toutes les autres. Tout ce qui m'importait pour le moment, c'était de sauver Lunixa.

  Mon pouvoir s'agita de nouveau à cette pensée. Cette fois-ci, je ne cherchai pas à l'enfermer ; je ne comprenais même pas pourquoi je l'avais fait au début : si cela me permettait de la retrouver, je n'avais que faire de révéler ma nature.

  Malgré l'interdiction de galoper dans les villes, nous traversâmes les rues à une cadence rapide ; elles étaient relativement vides en cette fin de matinée. Parmi les quelques passants présents, certains eurent de violents mouvements de recul en apercevant le Marquis. Des Lathos, sans aucun doute ; nous réagissions toujours ainsi à leur proximité, à moins de les connaître personnellement, et encore. La peur ou le dégoût qu'ils nous inspiraient à cause de leur capacité à voler nos pouvoirs avaient du mal à nous quitter.

  Les allées devinrent complètement désertes lorsque nous franchîmes le pont bromost, celui qui donnait sur le quartier des plaisirs. Il nous fallut encore quelques minutes pour atteindre la maison Irigyès. Comme la plupart des proxénètes, le patron de ce lupanar vivait dans son établissement. J'espérais simplement qu'il s'y trouvait bien et que nous n'aurions pas à ratisser la ville à sa recherche. J'avais déjà assez de difficulté à conserver mon peu de sang-froid ainsi.

  –C'est ici ? s'assura le Marquis en descendant de selle

  Après que j'eus hoché de la tête, il jeta un œil alentour.

  –Il y a deux Lathos à l'intérieur, m'annonça-t-il discrètement. Un Puissant et un Muraille.

  Cela expliquait l'utilisation de l'havankila dont Magdalena avait été victime – les humains n'étaient pas au courant de la dangerosité de cette plante pour ceux de notre espèce. Ne connaissant pas forcément la nature de ses victimes, le ravisseur avait préféré prendre ses précautions.

  –Comment voulez-vous procéder ? s'enquit le Marquis.

  –Je vais y aller seul.

  –Ce n'est pas ce qui était convenu.

  –Pour essayer de voir si je peux avoir l'information contre de l'argent, terminai-je. Lors de l'enquête nous avons vu qu'il acceptait les pots de vin, alors il y a peut-être une chance pour que ça fonctionne. Mais ce ne sera pas le cas s'il est l'un des deux Lathos que vous sentez et que vous m'accompagnez.

  –Vrai.

  –Tenez-vous quand même prêt. Si ça ne marche pas, on passera à la manière forte.

  –Très bien.

  Sans plus attendre, j'ouvris la porte.

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