Chapitre 4 - Partie 2

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  Je ravalai la boule coincée dans ma gorge et relevai la tête.

  –Où sommes-nous ?

  Les mines des deux femmes et de la petite, en chemin pour nous rejoindre, s'assombrirent de concert. Mes muscles se tendirent.

  –Nous ne savons pas, répondit l'enfant. Nous n'avons pas quitté le manoir depuis que nous sommes ici.

  Un manoir ? J'étais perdue...

  Commence par le commencement, Lunixa.

  –Qui êtes-vous ?

  –Je suis Berta, se présenta la poupée.

  Berta... L'une des filles de plaisir disparues. Je savais qu’elles n’étaient pas seulement parties dans une autre maison sans prévenir personne. Mon regard passa sur la femme âgée et la fillette. Ainsi il n'y avait pas eu que des enlèvements d'hétaïres.

  –Voilà Hermine, poursuivit Berta en désignant la vieille.

  L'incompréhension me frappa. Hermine ? Comme sa collègue aussi disparue ? Sven m'avait pourtant dit qu'elle venait d'entrée dans la trentaine. S'était-il trompé ? À moins que ce nom ne soit répandu.

  –Et voilà Ottilie, conclut-elle.

  Sa main penchait vers la petite fille. Mon cœur manqua un battement.

  –Ottilie... Comme la sœur de Sven ? murmurai-je.

  Surprise, elle cilla plusieurs fois.

  –Tu connais mon frère ?

  Mon esprit coupa toutes connexions avec la réalité. Ottilie... Cette enfant était Ottilie ? Sven aurait pu se tromper sur l'âge d'Hermine mais jamais sur celui de sa sœur ! Alors pourquoi cette fillette venait-elle de confirmer qu'il était son frère ? Était-ce simplement une autre Ottilie avec un frère du même nom ? Non, la coïncidence était bien trop grande. En plus, toutes les femmes autour de moi se nommaient comme les filles disparues ; il ne manquait plus qu'Hedwige pour qu'elles soient au complet. Mais pourquoi Hermine et Ottilie n'avaient-elles pas l'âge que Sven m'avait donné ?

  Une migraine me gagna. Je les dévisageai toutes les deux.

  –Je... je ne comprends pas, bégayai-je. Vous... (Mon regard s'arrêta sur Ottilie). Tu devrais avoir dix-huit ans.

  Les yeux soudain remplis d'effroi, elle eut un mouvement de recul. Mes muscles se bandèrent aussitôt. Inquiète, je me tournai vers les autres filles. Elles étaient tout aussi mal à l'aise et terrifiées que la petite. Dame Nature, que leur était-il arrivé ?

  Ottilie prit une profonde inspiration, puis expira lentement avant de relever la tête pour me faire face. Une larme lui échappa.

  –C'est cet homme, il...

  Le cliquetis d'une serrure retentit soudain. Elle se tut dans la seconde et se rapprocha de nous, le regard rivé vers la droite, paniquée. Le cœur battant à un rythme effréné, je me tournai également.

  La porte s'ouvrit et un homme d'une quarantaine d'années aux cheveux châtain proche du blond cendré entra. Il tirait par le poignet une femme qu'il poussa sans ménagement au centre de la pièce. La pauvre tomba par terre. Était-ce Hedwige ? Elle correspondait tout à fait à la description que m'avait donné Sven : une magnifique blonde de taille moyenne et dans la trentaine.

  Qui qu'elle soit, Berta s'empressa de la rejoindre. Elle l'aida à se relever puis la ramena près de nous. L'homme l'observa faire sans bouger et son regard finit par se poser sur notre groupe. Sur moi. Un immense sourire fendit ses lèvres ; un frisson dévala mon échine.

  –Depuis quand est-elle réveillée ? s'enquit-il en s'approchant.

  –Seulement quelques minutes, répondit Berta. Nous lui avons donné à boire.

  –Bien, bien.

  Il s'arrêta à un pas du lit, puis m'étudia en silence. Je n'osai esquisser le moindre geste. Comme si je ne me sentais pas suffisamment mal, quelque chose chez lui me troublait. C'était la première fois que je le rencontrais, pourtant il me semblait familier. Ce sourire... Ces yeux vert clair... Où les avais-je déjà vus ?

  –Hum... que sais-tu faire ? demanda-t-il de but en blanc.

  –Pardon ?

  De quoi parlait-il ? Qu'attendait-il de moi ?

  –Je ne te demande pas ce que tu sais faire au lit, nous verrons ça plus tard. (Mon sang se glaça.) Je veux savoir ce que tu sais faire. Tu sais bien faire quelque chose, non ?

  –Du piano...

  Je regrettai cette réponse à l'instant même où elle franchit mes lèvres dans un murmure : un vrai sourire éclaira son visage.

  –Une musicienne ? s'enjoua-t-il. Mais c'est parfait ! Je n'en avais pas dans ma collection. Suis-moi.

  –Non.

  Il en était hors de question !

  Toute chaleur quitta aussitôt son visage. Les filles se figèrent ; seuls leurs regards paniqués bougeaient encore : ils jonglaient entre l'homme et moi. Ce dernier croisa les bras sur son torse et me toisa de toute sa hauteur.

  –Que les choses soient claires, Émis. Il n'y a que deux règles ici : ne pas me poser de problème et m'obéir ; en dehors de ça, vous êtes libre de faire ce que bon vous semble dans cette pièce. Mais déroge à l'une de ses règles et tu seras punis. (Son attention glissa sur Hermine.) Et elle n'a pas envie d'être punie, pas vrai, Hermine ?

  La vieille hétaïre frémit.

  –Non, elle ne veut pas, murmura-t-elle.

  –On est d'accord. (Le regard de l'homme revint sur moi). Alors maintenant, viens.

  –Non.

  Je ne voulais pas me retrouver seule avec lui. Je n'avais pas encore assez récupéré pour me défendre correctement s'il décidait de s'en prendre à moi.

  –Émis ? m'appela timidement Ottilie. Il ne fait rien la première fois... Vas-y.

  Mes poings se refermèrent sur les couvertures. Elle paraissait sincère mais qui me garantissait que la peur ne l'aidait pas à mentir ? Cet homme les terrorisait toutes.

  –Émis... s'impatienta-t-il.

  Mon cœur battait si vite que ma poitrine avait du mal à le contenir, pourtant, j'écartai finalement les couvertures pour descendre du lit. Je devais en savoir plus sur cet endroit, ne pas laisser la peur m'accabler. En sentant les légères secousses qui traversaient mes jambes, je serrai les poings pour essayer de mettre un terme à leurs tremblements, puis m'avançai vers lui. Les lèvres de notre ravisseur s'étirèrent à nouveau.

  –Bien. Je préfère ça.

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