Chapitre 2 - Partie 1

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KALOR


  Le cœur battant, je repris mes investigations de plus belle, interrogeant tous ceux susceptibles d'avoir vu Lunixa : les soldats de garde la nuit dernière, les personnes ayant participé à l'organisation de la réception, les invités arrivés tard dans la soirée, les domestiques. Je questionnai aussi ces derniers au sujet de Magdalena pour savoir s'ils avaient eu des nouvelles de leur collègue. Mais tout ce que je récoltai pendant plus de vingt minutes fut des excuses, des excuses, et encore des excuses. Je commençais à perdre mon sang froid lorsqu'un garde me confirma avoir aperçu Lunixa, après deux heures du matin, marcher en direction de ses appartements. Je m'y rendis dans la seconde.

  J'eus beau passer le salon et la chambre au peigne fin, inspecter chaque tiroir, chaque placard, ils ne m'apportèrent aucune réponse, aucun indice qui m'aurait aidé à avancer. Lorsque je passai dans la salle de bain pour poursuivre mes recherches, mes yeux se posèrent sur un vêtement blanc. Je me figeai l'espace d'un instant, puis me téléportai devant le portant à côté de la baignoire. Mes poumons eurent du mal à se remplir. C'était une chemise de nuit et un dessous en dentelle. Quand Lunixa avait-elle préparé ces affaires ?

  Dehors, le vent chassa les nuages devant le soleil. Ses rayons se déversèrent dans la pièce. Un éclat rouge attira soudain mon attention. Des boucles d'oreilles, un collier et un bracelet en or ornés de rubis reposaient sur un petit guéridon. Ces bijoux... Lunixa les portait hier, j'en étais certain. Le contraste avec sa robe vert sombre avait rendu la couleur des pierres encore plus éclatante. Elle était bel et bien revenue ici cette nuit, et il semblait même qu'elle s'apprêtait à prendre un bain. Alors pourquoi...

  –Kalor ?

  Je reposai le pendentif et courus rejoindre Thor dans le salon. Il se tenait au milieu de la pièce, le visage dur.

  –Tu as quelque chose ? demandai-je le souffle court.

  –Il nous manque un étalon dans les écuries.

  –Lequel ?

  –Naatsvart.

  L'incompréhension me frappa.

  –Kalor ?

  –Lunixa... Dès qu'elle a besoin d'un cheval, elle prend Naatsvart. Qu'a dit le palefrenier de garde ?

  –Rien d'utile, malheureusement. Il a été pris toute la nuit par un cheval malade et n'avait pas remarqué que quelqu'un l'avait sorti sans autorisation. C'est le palefrenier qui a pris la relève ce matin qui s'en est rendu compte tout à l'heure, en faisant le tour des box. Comme le palefrenier m’a dit la même chose que toi à propos de Lunixa, j'ai envoyé des soldats avec des chiens à sa recherche.

  –Je devrais y aller...

  Avant que je ne fasse deux pas, Thor m'arrêta d'une main sur l'épaule.

  –Non, tu restes ici.

  –C'est de ma femme qu'il s'agit !

  Les yeux de mon frère furent gagnés par la compassion. Il serra mon épaule.

  –Je sais, mais tu as des obligations. Notre alliance avec Illiosimera a été scellé par ton mariage avec Lunixa. Vous ne pouvez pas être tous les deux absents à l'arrivée de la délégation. Alors s'il te plaît, aie confiance en moi.

  Mes muscles se bandèrent tant que s'en fut douloureux. Mes jointures blanchirent sous la tension de mes poings serré. Mon pouvoir bouillonnait dans mes veines. Tout mon corps me hurlait de repousser mon frère et de me joindre aux recherches. Je dus faire preuve de toute ma volonté pour ne pas bouger. Connaissant mon tempérament, Thor resta là plusieurs secondes, la main sur mon épaule, pour s'assurer que je n'allais pas en faire qu'à ma tête. Il ne quitta le salon qu'une fois qu'il en fut certain. Dès qu'il referma la porte, la colère explosa en moi : j'envoyai tout ce qui se trouvait sur le buffet de Lunixa par terre. Plusieurs objets se brisèrent sur le parquet.

  –Où es-tu ? soufflai-je.

  À bout, je me laissai tomber sur la dernière marche du petit escalier menant à sa chambre. Les coudes sur les genoux, je me pris la tête entre les mains. Un tremblement les secoua. Que s'était-il passé ? L'absence de Naatsvart et la disparition de Lunixa était-elle liée ? Mais aucun garde ne l'avait vue sortir du château... S'était-elle arrangée pour qu'on ne la remarque pas ou l'un d'eux n'avait simplement pas fait attention à elle ? Mais si c'était le cas, pourquoi serait-elle sortie ? Avait-elle eu envie de faire une balade pour se détendre, de s'éloigner de l'agitation des préparatifs ? Et pourquoi n'était-elle toujours pas rentrée ? Quelque chose l'en avait-il empêché ? Un accident ? Après tout, une chute était si vite arrivée...

  Quelque chose frappa la fenêtre.

  J'aurais tant aimé que la raison soit aussi futile. J'en aurais même ri ! Cependant, je savais qu'il n'en était rien. Si Lunixa avait voulu faire une simple balade, elle aurait demandé son autorisation au palefrenier avant de prendre Naatsvart.

  Un autre coup heurta le verre.

  Je recommençai à avoir du mal à respirer. Lunixa était revenue ici, s'était préparée à prendre un bain, puis à se changer pour la nuit. Alors pourquoi n'était-elle pas couchée à mon arrivée ? Pourquoi ses vêtements de nuit et dessous traînaient toujours sur le portant près de la baignoire ? Quelque chose l'avait-elle interrompue ou... quelqu'un ?

  Un nouveau coup retentit.

  L'unique explication qui me vint en tête me fit froid dans le dos. La Cause n'était peut-être pas responsable de sa disparition, mais quelqu'un l'était forcément ; Lunixa n'aurait jamais quitté le château sans intention de revenir. Mais comment quelqu'un aurait-il pu l'enlever ici, au palais, sans que personne ne s'en aperçoive ? Sans que Magdalena ne le voie venir ou ne parvienne à l'en empêcher ? Et elle, où était-elle passé ? Sa disparition avait-elle un lien avec celle de Lunixa ou l'absence de l'une n'avait-elle rien à voir avec celle de l'autre ? Après tout, rien ne me prouvait qu'elles étaient ensemble.

  Ce constat n'arrangea pas mon état. Si elles étaient seules, livrées à elles-mêmes, sans personne sur qui compter...

  Quelque chose frappa à nouveau la vitre. Excédé par ce bruit, je me tournai vers la fenêtre.

  La surprise me figea quelques secondes.

  Une harfang... Une petite harfang se tenait juste derrière la vitre. Que faisait-elle ici ? La matinée était déjà bien avancée ; elle aurait dû dormir à cette heure.

  Ses grands yeux me fixaient avec intensité. Sans détourner le regard, elle pencha la tête sur le côté jusqu'à ce qu'elle se retrouve complètement à l'envers, puis tapa son bec contre la vitre.

  Qu'est-ce qui lui prend ?

  Sa tête reprit brusquement sa position normale et la chouette poussa un cri strident avant de se remettre à frapper frénétiquement le verre. Je perdis patience : je me relevai d'un bon et ouvris la fenêtre pour la chasser. Au lieu de partir, elle en profita pour s'engouffrer dans la pièce. Elle passa juste au-dessus de ma tête, puis se posa sur le lit. Elle claudiqua vers le côté gauche du matelas avant de s'amuser à se cacher sous les draps, pour en ressortir un instant plus tard et recommencer. Encore plus irrité, je m'approchai du lit avec la ferme intention de la remettre dehors. Lorsqu'elle fit de nouveau quelques pas près de l'oreiller, mon regard s'attarda sur sa démarche boitillante. Je me pétrifiai ; un petit rouleau de papier était attaché à sa patte gauche. Interdit, j'approchai ma main pour le récupérer. La chouette s'envola en hurlant.

  –C'est pas vrai ! m'emportai-je.

  Je me téléportai sans attendre.

  Mes mains se refermèrent sur la harfang en plein vol et la seconde d'après, mes pieds touchaient de nouveau le sol. J'eus toutes les difficultés du monde à décrocher le papier. Ma prise se débattait sans relâche entre mes mains, me lacérait la peau avec ses serres, battait des ailes pour tenter de se libérer, obstruant ma vision, se tordait pour venir picorer mes doigts et me forcer à la lâcher. Je tiens toutefois bon et parvins à détacher le rouleau. Dès que je desserrai ma poigne, la chouette s'envola pour se poser sur le matelas. Elle me hurla à nouveau dessus puis se réfugia, comme tout à l'heure, sous les draps du côté gauche.

  Le côté de Lunixa, réalisai-je soudain.

  Ce détail me frappa et l'attitude étrange qu'avait eu les animaux en sa présence lors de notre balade en forêt, quelques mois plus tôt, me revient en tête. Je chassai ces souvenirs aussi vite qu'ils étaient arrivés. Je n'avais pas le temps de réfléchir à cela pour le moment, il y avait bien plus urgent !

  Sans perdre une seconde supplémentaire, je déroulai le message.


Rejoignez-moi tout de suite.

Je suis dans la forêt, près d'une source chaude.

Celle qui voulait vous castrer.


  Je sortis en trombe.

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