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La bibliothèque était lumineuse en cette fin de matinée. J'étais une nouvelle fois installée près de la fenêtre ouverte, les feuilles d’un grand érable bruissaient à quelques mètres dans la brise légère. Quelques ouvrages se trouvaient étalés sur la grande table devant moi. J'avais laissé le livre de Hopper de côté, trop épuisée pour continuer à lutter contre le sort qui le protégeait. Les notes de mon carnet me servaient de support mais cela n'avançait pas aussi rapidement que je l'avais initialement prévu. En effet, cet été était ma dernière chance de pouvoir ouvrir le portail avant de devoir attendre cinq autres années. Et il touchait déjà à sa fin.

Cela faisait quelques jours que je ne parvenais plus à trouver le sommeil, trop excitée à l'idée de me rendre enfin à Lor. Presque tout était prêt. Mais, sans le rituel, je n’osais pas me lancer. J’avais peur de commettre une erreur, que quelque chose se passe mal et que j'y reste comme tant d'autres.

Je fus tirée de mes sombres réflexions par la voix d'un petit garçon.

— Eileen ! cria Ian en sautant sur mes genoux. Tu lis quoi, dis ?

— Chut ! souris-je. C'est une bibliothèque, tu déranges les autres.

Je jetai un regard d'excuses aux lecteurs qui avaient levé la tête. Ils se replongèrent dans leurs manuscrits avec moult soupirs. Je remarquai alors que Ian n'était pas venu seul. Il était accompagné d'un grand blond à peine plus âgé que moi. Il portait pourtant la tenue beige des sorciers, il avait donc déjà obtenu son diplôme. Je supposai que Ian devait être son apprenti.

— Vous vouliez me parler ? demandai-je tout bas.

Il s'approcha de la table et jeta un coup d’œil aux livres avant de reporter son regard sur moi. Le pendentif qu'il portait, une tête de loup, me fascina sans que je ne sache pourquoi.

— Ian dit que tu saurais mieux lui expliquer quelque chose, commença-t-il. J'aimerais bien voir ça.

— Quel est le problème ? demandai-je au petit.

— Arthur, il veut que j'allume une bougie. Mais sa formule ne marche pas !

— Ce n'est pas trop de son niveau, dis-je au sorcier.

— Je crois que c'est à moi de décider ce qu'il doit apprendre. Alors, peux-tu lui expliquer ou pas ?

— Je devrais me débrouiller, dis-je une fois debout. Viens, Ian, on va faire un tour dehors.

Je refermai les livres et tapotai rapidement leur couverture. Ils s'envolèrent pour aller se reposer à leurs places respectives. Arthur me regarda avec de grands yeux.

— Quoi ? C'est une bibliothèque non ?

J’attrapai une chandelle avant de sortir. À l'extérieur, la différence de température se fit immédiatement sentir. Je m'empressai d'entraîner Ian à l'ombre des arbres. Nous nous enfonçâmes dans le petit bois, suivis de près par le sorcier.

— Dis-moi, Ian, est-ce qu'Arthur utilise la formule pour toi ou pour lui ?

— Je comprends pas…

Je tentai de reformuler ma question.

— Est-ce qu'il a besoin de dire la formule pour allumer la bougie ?

— Évidemment que oui, intervint Arthur. Comment veux-tu faire autrement ?

— C'est pour ça que ça ne fonctionne pas avec Ian. Il n'a pas appris comme vous. Donc les formules et tout ça…

Nous marchâmes quelques instants en silence. Seul le vent dans les arbres nous tenait compagnie. J'appréciais de pouvoir enfin retrouver Ian. Je ne voulais pas l'avouer mais le garçon m'avait manqué ces dernières semaines. Nous arrivâmes près d'une petite mare bordée d'herbes hautes que le soleil brûlant avait fait sécher. Les rafales faisaient onduler l'eau par intermittence. Tout était calme et je me sentais bien. Je regardai la bougie que je tenais dans ma main.

— Tu veux savoir comment j'ai appris à le faire ?

— Il n'y a pas de formule ?

— Non, souris-je, seulement un peu de théorie. Mais je crois bien que tu comprendras si j'explique lentement. Maintenant, je n'ai pas choisi cet endroit par hasard. Regarde et dis-moi ce que tu vois d'intéressant.

J'indiquai l'eau devant nous. J'avais déjà posé certaines bases lorsque nous étions encore en-dehors du monastère. J'espérai seulement que Ian n'avait pas tout oublié.

— L'eau, dit-il.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'elle a l'eau ? demanda Arthur.

— Taisez-vous. Continue, Ian, tu es sur la bonne voie, l'encourageai-je.

Il s'approcha du bord et écarta les tiges jaunies pour plonger ses mains dans la mare.

— Il y a l'eau et le vent et je peux faire comme tu m'as montré.

Il se concentra et une fine ridule apparut à la surface du liquide qu'il tenait entre ses paumes. Arthur s'approcha un peu plus, étonné.

— Pourquoi c'est pas pareil avec la bougie ?

— C'est exactement la même chose, répondis-je. Tout est une question d'énergie. Tu te souviens de la première fois que tu as dû faire cet exercice ? Ce n'était pas facile, n'est-ce pas ?

— Non, je ne savais pas comment être l'eau et le vent. Mais je sais maintenant.

— N'importe quoi… marmonna Arthur.

Je lui lançai un regard exaspéré avant de m'asseoir et d'allumer la flamme. Ian vint à côté de moi, et fixa la chandelle.

— Pourquoi tu dis que c'est pareil ?

— Pour comprendre, il faut répondre à une question. Tu vois que la bougie peut brûler. Elle est faite pour ça après tout. Alors pourquoi ne s'allume-t-elle pas toute seule ?

— Je ne sais pas.

— Et c'est normal. Nous n'avons jamais vu la théorie que tu dois connaître pour ça.

— Mais je fais comment alors ?

— C'est simple. On va repartir de l'eau. C'est l'élément le plus difficile à maîtriser mais tu y arrives déjà assez bien, la flamme ne devrait pas te poser trop de difficultés. Te rappelles-tu de ce qu'est l'eau ?

Il réfléchit un peu mais j'avais vu juste. S'il avait retenu le principe général pour agiter un liquide, la théorie des atomes et des molécules lui était passée par-dessus la tête. Il n'avait que huit ans après tout. Je commençai à fredonner une petite comptine bien connue parlant d'une baleine bleue. Nous l'avions chantée assez souvent et il reprit les paroles avec moi. Et, au bon moment…

— Eau, eau, eau… Eau, H2O. Mais tu m'as dit qu'il n'y avait pas de formules !

— Seulement un peu de chimie, souris-je.

— Je me souviens maintenant, continua-t-il. L'eau c'est des H et des O attachés ensemble. Et le vent leur donne assez d'énergie pour les faire bouger. C'est pour ça que quand je pousse l'air sur l'eau, elle fait des vagues.

— C'est exactement ça ! Bon, maintenant, appliquons ça à la bougie. Elle est aussi, comme tout ce qui nous entoure, constituée d'atomes. Quand je l'allume, la chaleur fait fondre la cire. Celle-ci remonte ensuite le long de la mèche où elle sert à entretenir la flamme. Cela fait fondre plus de cire et tout recommence. C'est ce que l'on appelle une réaction auto-entretenue. Maintenant, j'en reviens à ma question : pourquoi est-ce que la bougie ne s'allume pas toute seule ?

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