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À la lumière du jour, les événements me parurent bien moins inquiétants. David, Ian et moi étions partis explorer la forêt environnante. Après une longue balade, fatigués, nous avions fini par découvrir un coin tranquille au bord d'un lac. L’ombre des arbres apportait une fraîcheur bienfaisante. Le soleil faisait scintiller l'eau comme des milliers de diamants.

Nous avions installé la couverture de pique-nique sur un grand rocher plat surplombant la berge. Les sandwiches préparés par Cassandra avaient été rapidement engloutis. David avait ensuite décidé de tester à quel point l'eau était froide.

— Qu'est-ce ce que tu vois ? demandai-je à Ian.

— De l'eau et des arbres.

— Mais encore ? Regarde mieux.

— Euh… David qui nage ?

Je m'allongeai sur la couverture. Je commençai à lui parler des nuages qui avançaient paresseusement dans le ciel poussés par le vent. Ce même vent qui faisait onduler l'eau qui venait buter sur les pierres blanches de la berge. Je lui parlai de la terre et de l'herbe. Des oiseaux qui chantaient et des feuilles vertes des arbres qui bruissaient doucement dans la brise. Du soleil qui se reflétait à la surface de l'eau…

— Mais tu as les yeux fermés ! s'exclama-t-il.

Je lui souris.

— C'est parce que je n'utilise pas uniquement mes yeux pour regarder le monde. Tu dois utiliser tous tes sens : voir mais aussi entendre, sentir, toucher. Il se passe beaucoup de choses autour de nous, il suffit juste de faire un peu plus attention. Essaie donc.

— Comment je dois faire ?

— Ferme les yeux. Mais garde l'esprit bien ouvert.

Il s'exécuta mais ouvrit les paupières après seulement quelques secondes. Il me regarda, déboussolé.

— C'est bizarre. Ça tourne quand je ferme les yeux !

— C'est parce qu'on se trouve à un endroit très particulier. C'est, pour faire simple, un point où se rassemble l'énergie de la nature. Et tu peux le sentir si tu essaies d'entendre ce que la terre a à te dire. Mais n'y prête pas attention pour le moment, d'accord ?

Je posai une main sur son épaule.

— Recommence, tu ne vas pas tomber. Écoute… Tu entends le vent dans les arbres. Tu les sens sur ton visage.

Je levai le regard pour voir David remonter, tout frissonnant. Il s'assit près de nous et me lança un regard interrogateur. Je posai un index sur mes lèvres.

— Ne te laisse pas déconcentrer. Continue. Tu entends le vent sur l'eau ? Imagine que tu es ce vent.

— Comment ça ?

— Ne te pose pas la question. Tu peux le faire, alors essaie. Le vent, c'est de l'air en mouvement. Tu le sens sur ta peau. Vole avec lui et va toucher la surface de l'eau.

Je sentis quelque chose changer dans l'air autour de nous. Il sourit avant de rouvrir les yeux.

— C'est trop bien ! s'exclama-t-il.

Je versai de l'eau dans un verre avant de lui tendre.

— Tu crois que tu pourrais recommencer sur l'eau que tu tiens entre les mains ? Nous en avons déjà parlé avant, tu t'en souviens ?

— Oui, avec la baleine. Deux H et un O. C'est l'eau.

— Exactement ! Essaie donc.

Il ferma les yeux. La même sensation se propagea dans l'air et je frissonnai. Il apprenait vite. Mais sans livres à ma disposition, je ne savais pas grand-chose et il me serait difficile de lui assurer une formation correcte. Je me rassurai en me disant que ce n'était qu'un enfant, il me restait plein de temps pour trouver une solution. Je regardai le verre. Des vaguelettes s'agitaient à la surface du liquide.

— Ouvre les yeux, dis-je.

— Oh ! C'est moi qui fais ça ?

— Oui, souris-je. C'est très bien.

— Mais… Ça sert à quoi ?

— Bonne question ! En pratique, pas à grand-chose. Mais c'est l'une des bases qu'il faut maîtriser pour pouvoir aller plus loin. Tu comprends ?

Il hocha la tête.

— Recommence autant de fois que nécessaire. Tu dois savoir le faire sans même y penser.

— Je peux aller jouer plus loin ?

— Oui mais ne t'éloigne pas hors de vue.

Il abandonna le verre d'eau et partit en courant. Je restai seule avec David.

— Je ne savais pas que tu étais un si bon professeur, dit-il.

— Je ne suis pas si douée que ça ! Jake savait beaucoup plus de choses…

— Il te manque ?

— Un peu… C'est surtout mes parents que j'aimerais bien revoir. Ça fait trois ans que je n'ai plus donné aucune nouvelle.

Il soupira.

— Tu as fait ce qu'il fallait. Ils ne comprendraient pas la situation, je pense.

— Ça oui ! ris-je. Je te parie que mon père se précipiterait au poste de police, pour leur ordonner de tout arranger ! Au fait, tu ne m'as jamais parlé de ta famille…

— C'est parce qu'il n'y a rien à en dire.

— Oh ! Je suis désolée…

— Non, ce n'est pas ce que tu crois. Mon père est parti à ma naissance. Il ne voulait pas d'un enfant. En tout cas, c'est ce qu'a dit ma mère. Elle m'a élevé jusqu'à mes quinze ans avant de me jeter dehors. J'ai un peu erré dans les rues, travaillé au noir et même volé quand je n'avais pas assez d'argent pour manger. Et puis, j'ai rencontré Ren dans un squat. C'était aussi un gamin des rues. On a traîné ensemble pendant deux ans. Et un jour, on est allés voler la mauvaise personne. C'était un membre de la Fondation mais on ne savait rien des organisations à ce moment-là.

— Et puis ? demandai-je, curieuse.

Il sourit.

— On n'était pas les seuls à avoir eu cette idée. C'est comme ça qu'on est tombés sur Matteo. Il s'est montré compréhensif et a accepté de nous ramener avec lui. Martha a beaucoup protesté mais il a insisté pour qu'on reste. Puis, Ren a mis la main sur un ordinateur et, à partir de là, on a fait partie du groupe.

Nous restâmes silencieux un moment. Il poursuivit doucement.

— Donc, tu vois, maintenant, ma famille c'est Matteo et vous autres. Et je n'en changerais pour rien au monde.

— Je ne peux pas en dire autant, soupirai-je.

— Pourquoi pas ? On est bien, non ? Je ne comprends pas ton obsession avec Hopper et son monde imaginaire !

Je le regardai, surprise.

— J'ai entendu ce que tu as dit hier soir à Matteo. Tu aurais quand même pu m'en parler aussi !

— Et qu'est-ce que ça aurait changé ? Je ne voulais pas que cette histoire se mette entre nous. Je veux profiter des moments que je passe avec vous sans devoir m'en soucier.

— Mais tu finiras quand même par partir.

— Certainement, oui. Mais ça ne risque pas d'arriver bientôt !

— Pourquoi donc ?

— Cet été est le dernier qui permet d'ouvrir le portail, dis-je. Le prochain cycle n'aura lieu que dans cinq ans…

— Je suis content alors, sourit-il.

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