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Le soir même, notre voiture s'arrêta à deux rues de la maison en question. Une fois devant la porte, je remarquai immédiatement les signes gravés dans le cadre tout autour.

— Ce sont des membres de la Confrérie, chuchotai-je. Qu'est-ce qu'on fait là ?

— On entre et on se tait !

La porte était trop bien protégée pour me permettre de passer. Mais ce n'était pas le cas des murs. Je passai par-dessus la haie pour badigeonner toute une partie des briques avec mon sort. J'avais eu le temps d'en améliorer le fonctionnement : il n'émettait presque plus de lumière et creusait bien plus profondément.

Matteo et moi traversâmes le mur sans aucune difficulté. La maison était plongée dans le noir. Il n'y avait aucun bruit. Pourtant, je sentis que nous n'étions pas seuls.

— Il faut monter au premier, dit Matteo tout bas.

— Je vous suis…

Je traversai le salon où les flammes de l'âtre émettaient encore une faible lueur. Les habitants ne devaient pas être couchés depuis longtemps. J'avançai encore plus prudemment. Sur le manteau de la cheminée se trouvaient quelques photos de la famille. Je ne pus distinguer que des silhouettes dans l'obscurité. Il y avait là une mère, un père et un enfant. A côté, un autre cadre représentait la femme. Il était barré de noir. Je supposai qu'elle était décédée il y a peu de temps. J'hésitai, cela ne me semblait pas correct de continuer.

— Qu'est-ce que tu fais ? On avance !

Il me tira par le bras et j'eus juste le temps de reposer le cadre avant d'être entraînée dans l'escalier.

Le bureau était la première porte sur notre gauche. Elle était verrouillée et je dus une nouvelle fois utiliser ma poudre. Il ne m'en restait plus beaucoup, juste assez pour ouvrir le coffre. Encore fallait-il le trouver…

La pièce était richement décorée et comportait une belle bibliothèque. Les livres à l'intérieur avaient tous sans exception une couverture noire. Je n'en avais jamais vu autant. Même la mère d'Iris ne possédait pas une aussi grande collection ! Celui qui habitait là devait forcément être un sorcier noir. J’imaginai toutes les atrocités qui devaient se trouver entre ces pages, et frémis à cette simple pensée.

Mon compagnon se mit à fouiller un peu partout, déplaçant tout ce qui se trouvait le long des murs. J'avisai le cadre qui représentait un homme en costume. Le coffre se trouvait derrière, pile à hauteur de mes yeux. Cela allait me faciliter la tâche. J'étais sur le point de commencer à l'ouvrir quand le bruit de la porte me fit sursauter.

— Qui êtes-vous ? s'exclama l'homme du cadre, une main sur l’interrupteur.

Matteo lui sauta dessus sans aucune hésitation. Ils roulèrent à terre sous mes yeux effarés.

— Arrêtez ! m'écriai-je.

Mais ils ne m'entendirent même pas et continuèrent leur corps à corps. Matteo était plus fort. Il prit rapidement le dessus, bloqua son adversaire à terre et heurta son crâne avec une statuette. Du sang se mit à couler de la blessure ; l'homme ne bougeait plus.

— Ne t'inquiète pas, je l'ai juste assommé, me rassura Matteo alors qu’il se relevait péniblement.

Je m'approchai du propriétaire de la demeure. Il respirait encore, bien que faiblement.

— Vous aviez dit qu'il n'y aurait personne, reprochai-je.

— Des mauvaises infos, ça arrive des fois… Allez, ouvre ce coffre qu'on en finisse. Il ne va pas tarder à se réveiller.

Je soupirai et me remis au travail. Cette mission me plaisait de moins en moins. Je mis le feu à la poudre. Et le sort me sauta à la figure.

Je paniquai et tentai d'éteindre toutes les petites flammèches qui avaient envahi mes vêtements mais sans succès. Je connaissais la puissance de e que j’avais créé : j'étais fichue !

C'était sans compter sur mon ami qui réagit rapidement et me jeta le contenu d'une carafe d'eau dessus. Je ne brûlais plus, mais ce n'était pas le cas de la pièce autour de moi. Il y avait trop de bois et la moquette flambait déjà à plusieurs endroits. Je reculai face à la chaleur de l'incendie.

D’un coup d’œil dans le coffre, je pus remarquer qu'il était vide. Nous avions fait tout cela pour rien ! Je toussai dans la fumée. Les rideaux avaient pris feu et nous n'avions plus d'eau pour maîtriser le sort. Matteo me tira vers la porte.

— Il faut sortir d'ici !

— Non, attendez ! On ne peut pas le laisser là !

— C'est trop tard, Eileen. Viens !

Je tentai de résister mais je savais qu'il avait raison. La pièce entière était devenue une vraie fournaise. Ce n'était pas un simple incendie. Même avec toute la bonne volonté du monde nous n'aurions rien pu faire… La fumée envahit le reste de l'étage, suivie de près par les flammes.

Je commençais à descendre l'escalier quand je l'entendis par-dessus le rugissement du feu.

— Papa ! Je vois plus rien ! Tu es où ?

Je me précipitai dans la direction de la voix, aveugle dans la fumée. Le petit se mit à tousser. Je ne réfléchis pas, je l'attrapai avant de sprinter vers le bas. J’évitai par miracle les flammes qui dansaient tout autour de nous.

Matteo attendait en bas. Il fut surpris de me voir revenir avec l'enfant dans mes bras. Je lui lançai un regard accusateur et il eut le bon sens de ne pas faire de remarques.

Une fois dehors, je me retournai vers la maison. Tout l'étage était en feu et le reste n'allait pas tarder à suivre. Des craquements sinistres se faisaient entendre en provenance de l'intérieur, la lueur orangée illuminait la nuit. Au-dessus de nous, dans le ciel, des nuages menaçants avançaient paresseusement. J'espérai de toutes mes forces que la pluie allait tomber et aider à éteindre l'incendie. Mais ce fut en vain : pas une goutte ne s'écrasa sur le sol.

Elle était traumatisée et passait son temps à répéter que l'incendie était criminel, que… qu'une sorte de secte les avait pris pour cible elle et sa famille. C'étaient les mots de ma mère, quelques mois plus tôt. Aujourd'hui, ils prenaient tout leur sens.

Qu'avait-on fait ? Qu'avais-je fait ? Je ne pus retenir mes larmes tandis que je regardais le feu, le petit garçon cramponné à mes jambes.

Matteo nous entraîna dans la camionnette alors que les premières sirènes de pompiers se faisaient entendre au loin. Le trajet du retour se fit en silence.

— Mais qu'est-ce qui vous est arrivé ? s'inquiéta Cassandra lorsqu’elle nous vit rentrer couverts de cendres.

— On s'est fait piéger ! s'emporta Matteo. Il n'y avait rien dans ce coffre ! Juste un sort plus puissant que celui d'Eileen. Ça a cramé toute la baraque, on a failli y rester aussi ! Ah, il va m'entendre !

Je n'écoutai pas la suite et me rendis dans ma chambre comme une somnambule. J’évitai David et Ren, réveillés par le bruit. Une fois assise sur mon lit, je pris ma tête entre mes bras. J'aurais voulu pleurer mais je n'y arrivais même plus.

En relevant les yeux, je remarquai que je n'étais pas seule. Le petit m'avait suivie et me regardait avec consternation. Je ne savais pas quoi dire ni comment lui expliquer à quel point j'étais désolée. A cause de nous, il n'avait plus de famille ni de maison. Et je ne savais pas quoi faire de lui.

— Il est où papa ? Pourquoi il est pas venu éteindre le feu ?

— Il… Je…

— T'es toute noire.

— Toi aussi.

On était tous les deux pleins de suie. Je sentis mon bras. Il puait la fumée. Des traces sombres s'étalaient sur les draps.

— J'ai le même.

— De quoi ?

Il indiqua mon pendentif. Je n'étais pas surprise. La maison appartenait à un sorcier puissant, quoi de plus normal que son fils en soit un aussi. Mais il était mort et c'était entièrement ma faute. Cette situation me paraissait tellement irréelle. Je regardai le garçon.

— Tu… Tu peux aller te laver seul comme les grands ?

Il hocha la tête.

— Viens, je vais te montrer, dis-je.

Une fois le petit sous la douche, je me débarrassai aussi de mes habits sales et troués. Je me plantai devant le miroir et observai mon reflet. En-dessous, la peau avait été brûlée par endroits mais je ne ressentais pas de douleur. Il était plus de deux heures du matin et je mourrais d'envie d'aller dormir. Mais je savais que je ne trouverais pas facilement le sommeil. Ce n'était pas un peu d'eau qui allait arranger la situation.

Quand il fut sorti, je l'aidai à enfiler un de mes t-shirts. Il était bien trop large mais je n'avais rien d'autre. Je passai ma main dans ses cheveux bruns pour faire s'évaporer l'eau. Il ne recula pas à mon contact.

— Papa fait ça aussi.

— On fait tous comme ça, je crois. Va dormir, ok ?

Je me glissai tout de suite après sous le jet d'eau fraîche. Elle se teinta de noir. Les carreaux avaient eux aussi des taches de cette couleur, il faudrait nettoyer demain. J'y passai plus de temps que nécessaire, frottai pour retirer toutes les traces de l'incendie de sur mon corps. Une fois propre, j'enfilai un pyjama avant de me coucher aussi. L'enfant se blottit contre moi.

— Dis, est-ce que papa est parti au ciel ?

— Oui, mon trésor. Et une nouvelle étoile veille de là-haut sur toi…

— Tant mieux alors.

— Pourquoi ? demandai-je, étonnée.

— Parce qu'il est allé rejoindre maman. Et il ne sera plus jamais triste maintenant, dit-il d'une voix ensommeillée.

Je restai longtemps les yeux grands ouverts dans le noir, sa respiration tranquille à côté de moi. Le bruit de l'eau qui coulait me tira de mes pensées. Matteo devait avoir suivi notre exemple. Il ne m'avait pas adressé la parole depuis qu'on était rentrés. Je ne savais pas ce qu'il pensait de moi, ni ce qu'il comptait faire.

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