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Quelques jours plus tard, j'étais à nouveau seule à la boutique. Décidément, Jake s'absentait beaucoup ces derniers temps. On ne parlait plus aussi souvent et, s'il n'y avait pas eu les livres, je me serais ennuyée ferme.

J'étais donc justement cachée derrière un rayonnage à améliorer mon vocabulaire quand le carillon tinta. Je rangeai précipitamment le volume bleu et contournai les étagères pour revenir à l'avant de la pièce.

Je fixai la personne qui venait d'entrer avec étonnement. J'en étais venue à croire que ce lieu serait éternellement désert. Mais la fille qui se trouvait devant moi me prouvait le contraire. J'estimai qu'elle devait avoir à peu près le même âge que moi. Pâle, aux longs cheveux sombres et soyeux, ses vêtements colorés contrastaient avec sa moue sévère. L'inconnue étira ses lèvres en un sourire qui illumina son visage.

— Bonjour, dit-elle. Jake est dans le coin ?

— Non, répondis-je. Il est sorti voir quelqu'un.

La jeune fille ne sembla pas s'en soucier. Elle se mit à déambuler entre les rayonnages, glissa ses doigts sur certaines parties sculptées, tout comme je l'avais fait à mon arrivée ici.

— Je ne savais pas que Jake avait une nouvelle apprentie, finit-elle par dire. Tu es ici depuis longtemps ?

— Quelques mois…

Elle revint vers la caisse. Je la suivis.

— Et tu as appris des trucs utiles ? me demanda-t-elle.

Je passai ma main au-dessus de l'une des bougies et une flamme apparut.

— Connaissant Jake, dit-elle, il ne t'aurait jamais montré ça aussi tôt…

— J'ai appris toute seule.

Elle pouffa dans sa main.

— C'est ce qu'il faut faire quelques fois ! Au fait, je m'appelle Iris.

— Eileen.

— Enchantée de te connaître. Tu devrais venir faire un tour chez moi un de ces jours. Je crois que ça pourrait t'intéresser.

— C'est une bonne idée, m'entendis-je dire.

Après tout, quel mal y avait-il à ce que je me fasse de nouvelles connaissances. Mes anciens amis avaient presque tous cessé de m'appeler du jour au lendemain lorsque j'avais eu le plus besoin d'eux. Jake était la seule personne en dehors de mes parents que je voyais aussi souvent. Ma mère avait raison, il me fallait passer plus de temps avec des jeunes de mon âge.

— Pourquoi pas ce samedi ? m'interrogea Iris. J'habite la grande propriété sur la colline. Tu ne peux pas la manquer.

— D'accord, souris-je. Ce sera sympa de sortir un peu !

— A qui le dis-tu ! Je ne sais pas comment tu peux passer tes journées ici… Cet endroit me donne la chair de poule ! En plus, avec ce sort placé sur la porte, on se croirait vraiment en prison…

— Quel sort ? demandai-je surprise.

Ce fut à son tour de me détailler avec étonnement.

— Tu ne le sens donc pas ? C'est pourtant un sort puissant, j'ai eu du mal à le franchir. Attends, je vais te montrer.

Elle sortit un petit sachet du sac qu'elle portait en bandoulière. Une fine poudre rosée y scintillait. Elle en prit une pincée avant de la frotter sur ses mains.

— C'est l'une de mes dernières inventions, dit Iris. Cela sert à révéler les choses cachées. Je suis une vraie étourdie, je perds toutes mes affaires ! Mais je crois que c'est bien plus profitable utilisé ainsi…

La jeune fille s'approcha de l'entrée et leva les mains. Elle les agita un peu dans l'air, et des centaines de cristaux brillants scintillèrent au bout de ses doigts. Soudain, l'air prit une texture différente. C'était comme s'il était devenu plus épais, la poudre restait suspendue à moins d'un mètre du sol. Un halo bleuâtre commença à apparaître autour des grains. La tache lumineuse s'étala dans toutes les directions et une paroi ondulante fit peu à peu son apparition entre nous et le reste de la galerie.

Le visage étonné d'Iris était nimbé d'une lumière bleutée qui lui donnait l'air d'un fantôme. Elle souriait de toutes ses dents.

— C'est la première fois que j'essaie ça ! Je ne savais pas que c'était aussi efficace !

Elle sautillait, passait sa main au travers du voile, et disséminait d'autres grains de poudre dans l'espace. Je m'approchai prudemment et tendis la mienne pour le toucher. Des picotements remontèrent le long de mon bras. Je frissonnai, avec l'impression que la température avait baissé de plusieurs degrés.

— Et, euh… Ça va rester comme ça maintenant ? demandai-je.

Iris s'arrêta net. Elle me fixa, déconcertée, avant de reporter son attention sur la paroi.

— En fait, je n'en ai pas la moindre idée… Mince ! Je crois que ça ne va pas plaire à Jake… Désolée, je te cause des ennuis !

— C'est pas grave…

Je pensais tout à fait le contraire. Mais je n'avais pas encore envie qu'elle s'en aille. Comment pouvait-on arranger la situation ? Iris avait dit qu'elle utilisait cette poudre pour retrouver des objets perdus mais…

— Que fais-tu une fois que tu as retrouvé ce que tu as perdu ? demandai-je.

— Hein ?

— Oui, quand ta poudre t'a montré où était ce que tu cherchais, tu en fais quoi ? Elle ne reste quand même pas collée sur toutes tes affaires, non ?

— Non évidemment ! Je la brosse pour la faire tomber à terre. Sans but, le sort s’étiole après quelques minutes.

Je frôlai les grains de poussière rose. Ils s'écartèrent au contact de ma main et s'amassèrent un peu plus loin. Là où il n'y en avait plus, l'espace était redevenu transparent.

— C'est suspendu dans l'air, dit Iris. On ne peut pas la faire tomber…

Je réfléchis un instant. Il devait bien y avoir un moyen de se débarrasser de cette poussière. De préférence avant que Jake ne découvre ce que nous avions fait.

— J'ai une idée ! dis-je en me dirigeant vers la réserve.

Quand on nettoyait la boutique, les premiers jours, l'aspirateur en avait fait les frais. J'espérais que le filtre serait assez fin pour ne pas rejeter la poudre plus loin. Iris fut surprise de me voir revenir avec l'appareil.

— Qu'est-ce que tu comptes en faire ?

Je commençai à aspirer l'air autour de nous et la densité du halo diminua peu à peu. Iris fit de son mieux pour rassembler la poudre en petits amas, ce qui me facilitait la tâche. Nous continuâmes ainsi jusqu'à ce que l'air nous sembla avoir repris sa texture normale. J'espérai que Jake ne remarquerait rien à son retour.

— Dis, est-ce que le sort est toujours là ?

— Le mien, je ne pense pas, répondit Iris. Mais celui de Jake, oui. Tu peux encore le sentir même si tu ne le vois plus.

J'avançai ma main. En effet, la sensation de froid demeurait présente. Iris suivit du doigt les inscriptions gravées dans le cadre de la porte. Je n'y avais jamais prêté attention, et compris alors que cette barrière devait être là depuis le début. C'est certainement à cause de cela que le magasin était tout le temps vide.

— Bon, on se voit ce week-end alors ? Tu penses pouvoir passer ?

— Pas de soucis, je ne travaille pas le samedi. J'ai hâte de voir ce que tu peux me montrer d'autre !

— Ah, tu ne vas pas être déçue, me dit-elle avec un signe de la main.

Jake ne revint pas de toute l'après-midi. A dix-huit heures, je fermai la librairie pour rentrer chez moi mais je ne savais pas quoi faire des clés et les empochai après un instant d’hésitation.

Sur le chemin du retour, une enseigne attira mon attention. C'était l'atelier d'un cordonnier qui faisait également des plaques d'immatriculation et des clés minute. Je m'arrêtai. Était-ce bien raisonnable ? Je suivis une nouvelle fois mon intuition et une dizaine de minutes plus tard, j'avais deux jeux de clés en poche.

Le lendemain, tout était revenu à la normale. Comme si la rencontre avec Iris n'avait jamais eu lieu. Je ne la mentionnai pas à Jake, tout comme je ne parlai pas des clés.

J'attendais la fin de la semaine avec impatience. Et, pour tuer le temps, je remis le nez dans mes manuels. Jake me regarda faire sans un mot.

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