Interrogatoires

10 minutes de lecture

- Allons, à moi, vous pouvez bien le dire. Je suis au courant que vous savez où elle se trouve. Tout le monde est au courant d’ailleurs.

Madeleine ne répondit pas. Premièrement, elle ne savait pas où était la clé, et deuxièmement, quand bien même elle l’aurait su, elle n’aurait rien dit à cette grosse barrique de Marcel. Elle regrettait amèrement de ne pas avoir mis du poison dans son thé, comme elle le faisait avec ses autres visiteurs. Hélas, c’aurait été contraire au contrat. Entre les sept, c’était signé, pas d’empoisonnement. François s’était assuré que tout était en règle, et que personne n’empoisonnerait personne. Cette paperasserie était leur assurance de survie, eux, les sept membres du gang des poisons, spécialisés dans les meurtres « discrets ».

Madeleine ne donnant pas de réponse, Marcel renifla sa tasse de thé encore remplie, et quand il fut certain qu’aucune toxine n’allait le foudroyer, il la but cul-sec.

- La seule chose qui puisse m’empoisonner dans votre manoir, c’est bien vous, ma pauvre.

- Sachez que vous n’avez rien n’à m’envier. Je le sais bien, que vous avez fait l’inquisiteur chez tous les autres avant de venir. Vous et votre air condescendant… Vous m’exaspérez.

- Si vous le prenez sur ce ton, je vous laisse. C’est sans regrets que je vous quitte.

« Rien à en tirer, de cette pimbêche.

Bon débarra, pensa Madeleine en voyant le ballon de baudruche s’extirper du fauteuil. Marcel lâcha un « A samedi » avec un ton qui aurait gelé l’air du salon s’il ne l’avait pas déjà été. Un bruit de porterie que l’on casse indiqua à Madeleine que son ficus venait de rejoindre le parquet. Le gros bedon sortit du manoir et marcha jusqu’à son véhicule. En partant, celle-ci fit un crochet sur les plates-bandes. C’en était trop !

- Antoine ! cria Madeleine, Préparez la voiture, on sort !

Elle aussi, elle allait mener son enquête. Il fallait qu’elle apprenne des choses, qu’elle ne soit pas à la traine si elle voulait mettre la main sur le pactole. La première personne qu’elle allait interroger serait Théophile. Elle enfila son manteau cramoisi et descendit dans le garage où attendait le véhicule tout aussi pourpre. Madeleine s’installa sur la banquette arrière et lança d’une voix sèche :

- Chez Théophile, en quatrième vitesse.

Il commençait à pleuvoir, mais Madeleine arriva rapidement chez son collègue. Dès que l’automobile s’engagea dans l’allée, Madeleine enragea en pensant à celui qu’elle venait voir.

- Visez les tulipes. Ordonna-t-elle.

Théophile vit ses fleurs d’ornement écrasées sous les pneus de l’odieuse Madeleine. Depuis la fenêtre de son bureau, il observa le numéro classique : Antoine sortant de la voiture, ouvrant un parapluie ainsi que la portière arrière, puis suivant sa patronne qui avançait à grands pas sur le gravier. La porte d’entrée claqua, accompagnée d’un bruit de verre brisé.

Presque automatiquement, Madeleine, furibonde, bondit dans le bureau de Théophile. Elle lançait des éclairs par les yeux.

- Eh bien, mon amie, vous nous apportez la pluie. Dit sarcastiquement Théophile.

- Je me passerai de vos sarcasmes, parjure incarné.

- Que me vaut le plaisir de votre visite ?

- On m’a mise au courant. Vous savez où est la clé. Ne niez pas, je sais tout ! Avouez tout de suite où est la cachette et n’essayez pas de me mentir

Théophile était décontenancé. Il ne savait strictement rien sur l’emplacement de la clé. Cependant, hors de question que quiconque le sache. C’était le moment de bluffer.

- Je ne vois pas pourquoi je vous le dirais.

- Oh, mais moi je sais pourquoi ! Si vous ne voulez pas souffrir de courants d’air dans votre costume, vous avez intérêt à vider votre sac.

Théophile frissonna. Elle était une tueuse, mais elle ne tirerait pas. La raison était simple, les sept n’utilisaient jamais d’armes. Le problème pour le moment, c’était qu’elle était survoltée et dans son bureau. Il fallait se débarrasser d’elle au plus vite.

- Vous pouvez sortir. Je n’ai rien à vous dire, et surtout pas au sujet de la clé. Je me doute bien que vous êtes allés interroger tous nos collègues, perfide. Allez, quittez ma maison sur le champ. Conclut-il d’un ait théâtral.

Madeleine n’ajouta rien. Toutefois, si Théophile resta en vie, c’est par ce qu’un regard, quel qu’il soit, ne peut tuer personne. Elle comprit qu’elle ne tirerait rien du manche à balai accoudé au bureau. Un repli stratégique s’imposait.

- A samedi, souffla-t-elle en sortant.

Théophile devint écarlate en voyant la voiture de la sorcière de service passer sur l’autre rangée de tulipes. Quelle fouine ! Il était hors de question que qui que ce soit le devance dans cette quête. Il se dit qu’il allait interroger quelqu’un d’autre. Simone, par exemple.

- Auguste ! Faites chauffer le moteur ! On sort !

Théophile enfila sa veste grise et descendit dans le garage où attendait un side-car couvert vrombissant. Il monta dedans et grogna :

- Direction, chez Simone. Au passage, vous ne contournerez pas la haie…

- Bien, Monsieur… soupir

* * *

Simone ne s’aperçut de la présence de Théophile chez elle que quand la bibliothèque du salon s’effondra. Quelqu’un avait claqué la porte.

- Encore vous ! s’écria Simone.

- Vous voilà, traitresse. Tout le monde sait que vous nous cachez des informations importantes ; sur la clé sans doute.

- Moi ! Cacher des informations ! Simone comprit qu’elle était coincée avec lui dans le salon. Il fallait le faire partir rapidement. Vite, un mensonge pour ne pas révéler son ignorance !

- Oui, vous. Qui d’autre. Allons, dites-moi tout où je vous dénonce à la police !

Là, c’était un coup d’épée dans l’eau. S’il la dénonçait à la police, les sept finiraient au panier à salade. Cependant, Théophile ne prononça cette phrase que par un réflexe stupide. Raté !

- Cornichon ! Vous n’en ferez rien, et vous savez pourquoi. Sinon, moi, je peux ici et maintenant vous lâcher les chiens dessus. Je pense bien que ce ne sera pas votre premier refus. Vous avez du déjà tourmenter tous les autres. Allez, fichez le camp !

C’est qu’elle en serait capable, cette cruche, pensa Théophile. Il admit alors que la partie était perdue et qu’un retrait tactique était nécessaire. En sortant, il murmura un « A samedi », puis effectua un second trou dans la haie avec son side-car, cette fois remarqué par Simone. Quel abruti ! Pas question de se laisser doubler. Elle allait mener elle aussi ses investigations, et maintenant. Comme ça, aucun risque de se faire devancer par un autre.

- Adélaïde, sortez mon scooter, je vais faire un tour.

Le petit scooter jaune pétaradant quitta la maison en même temps que la pluie s’en allait. Simone arriva donc sèche chez Martin. En descendant de son cyclomoteur, elle donna un furieux coup de pieds dans une sculpture de jardin assez légère et objectivement laide qui fit un joli trou dans une des vitres du bas. A peine Simone eut-elle pénétré dans l’entrée que Martin vociféra :

- Je vous exècre, espèce de, de… pimbêche !

- Il faudra penser à varier votre vocabulaire, mon ami. C’est la troisième fois cette semaine que vous me nommez ainsi. En attendant, je vais vous apprendre quatre nouveaux mots : où-est-la-clé ? Hé oui ! Je sais que vous savez…

- Personne ne le sais, voyons. Oups, grosse gaffe… Faire croire que l’on sait ! Enfin, presque personne…

- Avouez, et illico, ou dites adieu à votre existence.

- Vous n’oseriez tout de même pas m’empoisonner ?

- Qui sait ? Il faut bluffer, pensa-elle, qu’il me dise quelque chose…

- Oui, oui, je vois ça… Je suis sûr que vous avez menacé tous les autres sans succès. Vous pouvez tout de suite prendre la porte, je n’ai rien à dire à aucun d’entre vous, sinon que c’est moi qui aurai le pactole. Dehors !

Bon, tant pis pour Martin, elle n’en tirerait décidément rien. Hors de question de perdre son temps pour du menu fretin, passons à quelqu’un d’autre. A samedi, rapiat… lui lança-t-elle d’un ton hautain avant sortir. Une fois dans le jardin, elle lança une pierre dans la fenêtre du salon et s’enfuit sur son scooter.

Quelle garce ! s’exclama Martin. Si je reste ici, je ne saurais rien. Il faut que j’aille voir les autres, et maintenant si je veux ne pas être à la traine.

- Charles ! La voiture ! On va chez Hortense !

La barrière en bois du jardin d’Hortense fut anéantie à l’occasion de cette visite. C’est pourquoi la première remarque de la propriétaire porta dessus.

- C’est la deuxième fois ce mois-ci que l’un d’entre vous la détruit.

- Tant que ça vous fais des frais…

- Et sinon, vous venez me poser des questions je suppose, comme à tous les autres. Dois-je m’attendre à les voir gisant sur leur tapis de couleurs mal assorties.

- Ce sera vous qui giserez sur votre horrible carpette si vous n’avouez pas.

- A quel sujet ? Il fallait feindre l’innocence en même temps que la connaissance.

- Je vous donne un indice : ça commence par un c, ça finit par un e, il y a un l au milieu et tout le monde le cherche.

- J’ai trouvé : le calme. En effet, vous en manquez tous. Vous plus que les autres !

Fin des négociations et début des hostilités.

- Perdu ! La clé ! Voilà le gage : dites-moi où elle se trouve, intrigante.

- Le seul gage ici, c’est celui de ma haine envers vous, scélérat. Fichez le camp où je sors le fusil pour vous le prouver.

Dans le doute, mieux vaut s’abstenir de questionner d’avantage, même si le risque de devenir perméable est quasi-nul se dit Martin en posant un pied derrière lui. Laissons cette Jézabel moisir dans son taudis et passons à autre chose. A samedi, … le reste disparu en un murmure dont Hortense cru deviner le sens. Lors du retour de Martin, la partie intacte de la barrière ne le fut plus. Tous les mêmes : fouineurs et malappris. Je les abhorre ! Fulmina-t-elle.

- Mélanie ! Descendez moi mes talons hauts prunes ! Et préparez au passage « la bête ».

- Soyez prudente, Madame. Soupira la gouvernante.

* * *

Francis sursauta en apercevant un énorme 4*4 foncer à pleine vitesse sur la véranda. Une explosion de verre le fit revenir à un état de conscience de la réalité. C’est le tas de ferraille d’Hortense. Miséricable ! Pour quelle raison serait-elle…

- Vous voilà donc, mystificateur ! rugit la démone en déboulant dans le salon. Elle jeta un œil sur la moquette avec un petit sourire sardonique et fit quelques pas en direction de Francis, laissant des trous derrière elle.

- Vous choisissez toujours vos chaussures avec… un raffinement… particulier.

- Trêve de bavardages ! Action ou vérité ?

« Quelle gamine se dit Francis en levant les yeux au plafond.

- N’importe.

- Ce n’est pas une réponse…

- Vérité ? Gros soupir

- Commençons en douceur… hm, voyons voir… Je sais ! Où est la clé ?

- Attendez, je réfléchis… Je choisis action, finalement.

- Donnez-moi la clé, alors.

- J’ai toujours été très mauvais joueur. Voici mon gage, je ne dois plus vous parler.

- Je peux vous jurer que si vous ne me répondez pas ipso facto, je vous colle mon pied au postérieur. Je vous préviens, ça fait très mal.

- C’est tout ? Vous pouvez sortir, je n’ai rien à ajouter. Et je suppose que personne n’a répondu à votre petit jeu, vipère !

« Quel cruchon ! Je n’en tirerai rien de plus qu’en essorant une serpillère sèche. Elle trépigna pour percer encore un peu plus la moquette puis couru, avec une agilité hors du commun vu qu’elle portait des talons extra-hauts, vers le véhicule qui attendait encore dans le reste des morceaux des ruines de la véranda. Un nuage de gazole nauséabond envahit la zone alors que « la bête » partait en direction d’une autre proie.

« Vite, vite, vite ! Aller interroger quelqu’un… Au pif… Heu, Marcel !

- Gaspard ! On va chez Marcel. Faites le nécessaire.

* * *

Quand la voiture noire s’engagea sur le gravier de l’allée, tout le travail du jardinier fut envoyé en enfer. Visiblement, le gravier n’était pas propice à la conduite aléatoire de Francis, raison pour laquelle il obliqua sur le gazon.

Devant le massacre de son jardin, Marcel se sentit mal et s’assit –ou plutôt s’effondra- sur son fauteuil rembourré aux pieds bien fixés dans lequel son embonpoint rentrait à merveille après des mois de chausse pieds pour y rentrer. Francis entra alors que la baudruche se servait un petit verre de whisky raffiné –ce qui lui était normalement interdis- pour se remettre de ses émotions.

- Quelle bonne intention ! Merci beaucoup ! lança l’arrivant en usurpant le verre d’alcool.

- Ce n’est rien, ce n’est rien… répondit la bouée en se frottant les yeux

- C’est à moi que vous parliez, ou essayez-vous de vous contenir ?

- Les deux, je suppose. Que me vaut l’horreur… heu, l’honneur de votre visite.

- Je pense que vous le savez. Et que vous savez autre chose, me trompe-je ?

- Oh, non, je ne sais rien, bien évidement. Vous ne me tenez jamais au fait de ce qui se passe.

- Soyez sérieux deux minutes et avouez où se trouve la clé.

- Je suppose qu’après avoir essuyé des refus de la part des autres, vous ne vous offusquerez pas du mien, misérable parvenu !

« Grosse barrique hypertendue ! Et cling ! Le verre prit la direction de la cheminée en vol planée. Ses bonnes manières et ses bourrelés dissimulent bien son acidité. Pas question de perdre mon temps avec cette andouille.

- A samedi, très cher ami. Dit Francis d’un ton très hypocritement doucereux.

« Heureusement qu’il est parti rapidement. Il faudrait que j’aille voir un des autres pour avoir des informations. Pas question qu’un de ces amateurs me pique le pognon sous mon nez.

- Julianne ! Mon petit, démarrez la voiture.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Cactusland ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0