Préparatifs

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Simone se préparait à partir pour le thé. Elle savait que dans quelques heures, tout serait arrangé : plus de collègues exaspérants, plus de problèmes et le bas de laine lui appartiendrait. Elle noua ses cheveux en l’habituel chignon de tous les jours et l’attacha avec une pince olive décorée de fausses fleurs. Elle enfila ensuite une robe émeraude couvertes de paillettes étincelantes. Elle barbouilla son visage de nombreux cosmétiques hors de prix, se para le cou d’un magnifique collier de jade, ses poignets de bracelets d’or et ses mains de bagues onéreuses serties de gemmes colorés. Pour finir, elle chaussa de petits escarpins brillants qui lui meurtrirent ses orteils en éventail.

Juste avant de quitter sa salle de maquillage et habillement, elle avala une gélule smaragdine posée en évidence dans une coupelle en porcelaine. Enfin, elle put partir pour le thé en toute sérénité.

* * *

Martin hésitait entre une cravate hideuse et une autre abominable. La première lui sembla parfaitement s’accorder avec le reste de son costume, ce qui était vrai. Bien que composé d’éléments trouvables dans n’importe quel tenue correcte, l’ensemble de son accoutrement lui aurait permis de rivaliser de risibilité avec n’importe quel clown entrainé. Il passa sous ses yeux un peu de fond de teint pour masquer les cernes issus de sa nuit en grande partie blanche. Il enfila ensuite une paire d’espadrilles qui complétèrent la panoplie de pantin grotesque. Sans aucun gène, il confirma son déguisement risible par un petit signe de tête adressé à son miroir. Il sourit à la manière d’un séducteur à son reflet, et par chance, la glace n’éclatât pas en reflétant un tel ramassis d’inélégance.

« Et je ne serais pas un séducteur ? Quelle ignare, cette miss Droséra !

En sortant, il bu le contenu d’une flasque et se mit à chantonner joyeusement, sentant venir la tranquillité absolue.

* * *

Madeleine portait déjà sa robe couleur rubis éclatant. La robe était magnifique, et c’est à regret qu’elle était revêtue par une aussi détestable personne. Madeleine coiffa ses cheveux rouges comme à l’accoutumé à l’aide d’une brosse dorée. Après un temps assez long, elle jugea sa coiffure achevée, et s’affaira à se maquiller. Elle fut raisonnable en n’utilisant qu’une dizaine de flacons, boites, poudres, crèmes et autres ; son visage n’en était hélas pas moins renfrogné. Elle ganta ses mains de longs gants blancs immaculés qui remontaient jusqu’en dessous du coude. Elle conclu sa préparation par les talons peu hauts, eux aussi d’un pourpre aveuglant.

En passant la porte, elle mit dans sa bouche une petite pilule carmin au gout ignoble en faisant la moue. Elle se consola en se figurant toutes les morts qu’elle causerait le jour même, et surtout en pensant qu’elle pourrait enfin détenir le butin tant espéré.

* * *

Francis lissait sa moustache. Le croisement entre un paillasson et le gazon de son jardin après la visite d’un collègue le rendait assez fier maintenant qu’elle avait bien poussé, selon lui. Sa veste d’un bleu céruléen donnait l’impression qu’il venait de tomber dans un pot de peinture, et la couleur délavée de son pantalon le faisait ressembler aux jeans d’un adolescent. Sa chemise crème était en grande partie couverte par une cravate d’une teinte saphir poussiéreux. Il s’étira pour vérifier qu’il était à l’aise dans ses vêtements et ne s’offusqua pas du manque de longueur de ses manches. Au moins, il pouvait voir sa montre et constater qu’il était temps de partir. Il attrapa au passage un verre d’eau dans lequel un cachet effervescent azur se répandait, le bu et s’en alla.

* * *

Théophile s’efforçait de faire rentrer ses grands pieds dans des chaussures trop petites. Au moins deux pointures en dessous de celles des pattes de son propriétaire, les souliers refusaient une quelconque intrusion depuis quelques jours. Théophile se résigna et se rabattit sur une autre paire bien moins cirée, mais à la bonne taille, au moins. Il s’était déjà habillé d’un pantalon jaune poussin et d’une veste ocre ; sa chemise était blanche, tout simplement. Il portait aussi une chevalière dorée, sans oublier un chronomètre chrysochrome à son poignet. Il recoiffa sa chevelure en une raie sur le côté, reposa le peigne et prit une pose d’athlète antique. Il ne possédait visiblement pas la bonne carrure pour une telle posture, mais ne s’en rendit pas compte. Tout était prêt pour lui.

Il n’oublia pas d’absorber la boisson topaze qui attendait dans un verre en cristal. Dès que toutes les précautions furent prises, il détermina que l’heure du dernier thé était venue.

* * *

Coincée dans sa jupe crayon aubergine, Simone ne pouvait physiquement pas aligner deux pas. Pour avancer, elle devait décaler légèrement ses pieds l’un après l’autre. Ne comptant pas faire ce cirque pendant des heures, elle opta pour un autre vêtement plus évasé. Ainsi, dans cette autre jupe couleur lilas, les courses sur talons-hauts semblaient compromises, mais des marches à vitesse normale étaient désormais envisageables. Elle enfila nonchalamment une fourrure soyeuse sur ses épaules et clôt à moitié ses paupières dans un air de séductrice. Après concertation avec elle-même et son reflet, elle rajouta du noir au dessus de ses yeux et du mauve-à-lèvres. Elle avança d’une démarche chaloupée vers la sortie avant de se rappeler qu’elle devait mettre ses fameuses chaussures à perforer. Elle combla cet oubli et croqua une pastille prune, garantie de sa survie.

Elle était parée pour son rendez-vous.

* * *

Toujours en retard, Marcel ne parvenait pas à choisir des vêtements. Tous étaient à peu près adaptés à sa morphologie, mais les styles étaient tous différents et sélectionner quoi que ce soit aurait nécessité une visite complète de la garde-robe. Voyant que le complet safran était le plus proche, il trancha qu’il était le plus seyant. Paré d’une veste cuivrée et d’un pantalon kaki dont la pose avait nécessité un certain temps, il jugea qu’il était parfaitement apprêté.

Il vida pour finir un verre rempli d’un liquide ambré qui ressemblait à du whisky. Cela ne pouvait cependant pas en être : nombres d’alcool lui étaient interdis par son régime.

* * *

A présent vêtus de leurs plus beaux oripeaux et fardés du mieux qu’ils pouvaient, les sept étaient fin résolus à en finir définitivement. Sept moteurs vrombirent, dont un bien après les autres : sept véhicules prirent la direction de l’ex-chez-monsieur-François.

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