Le testament

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Il était trahi. Il ne trouvait pas d’autres mots pour décrire sa condition. Trahi. Il avait failli mourir par sept fois de la main de ses clients. Une fois, passe encore, mais sept… Cela réclamait vengeance… Il allait prendre sa revanche sur les ahuris qui avaient tentés de le faire expirer. Mais comment ? Il n’était pas un expert en poisons, en meurtres ou quoi que ce soit d’aussi compromettant. Il était juste avocat, banquier, notaire et juriste. Que pouvait-il faire ? Les dénoncer ? Trop dangereux. Il les avait aidés pendant trop longtemps pour être autre chose qu’un complice. De toute façon, ce ne serait pas une vraie vengeance : laisser faire les poulets ? Surement pas ! Il allait le faire lui-même, à sa manière.

Déjà, il pouvait vider leurs comptes en banque. Ce ne serait bien évidement qu’une étape, il n’allait pas s’arrêter là. Il pouvait aussi user de la discorde qui creusait des trous dans les haies. Il réussirait peut-être les faire s’entre-tuer. Il fallait tout de même rester méfiant : ils semblaient unis par l’idée de le mettre à mort…

Mettre à…

Ce fut comme un éclair dans sa tête. Le mettre à mort ! Pourquoi voulaient-ils le mettre à mort ? Il lui fallait à tout prix trouver la réponse s’il voulait tout faire cafouiller. Que pourrait-il se passer à sa mort ? Quel avantage avaient-ils trouvé pour que l’idée saugrenue de l’exécuter à sept reprises leur vienne ? Son trépas attirerait sans doute des gens qu’ils voulaient assassiner. Non ! Ridicule. Réfléchis un peu : si c’était ça, leur objectif, ils n’auraient pas du s’y prendre à sept fois, la première aurait du suffire. Alors quoi ? Cela devait le concerner directement. Cherche des indices ; dans leurs comportements, dans leurs paroles, dans leurs actes…

Soudain, tout devint clair. La raison lui sauta aux yeux à la manière d’un éléphant sous lequel on aurait placé une souris. C’était évident, si simple à comprendre. Toutes ses allusions à la clé, les questions au sujet de sa mort, le certificat de décès demandé par Francis, le notaire présent après la tentative de Martin. Comment n’avait-il pas vu leur objectif ? Ils voulaient tous le tuer pour obtenir la clé citée dans son testament. Tout ça pour du pognon !

Envahi par une fureur n’ayant pour seules bornes les murs de la pièce, il prit la résolution d’agir immédiatement. Il se calma donc un peu. Bien, maintenant qu’il avait trouvé le motif, il devait tout ficher en l’air. Vider le coffre commun, peut-être ? Pas assez pernicieux, pas assez vil. Il voulait leur infliger bien pire. Déjà, changer son testament, et tout de suite.

Il alla donc s’assoir à son bureau, ouvrit un tiroir qui grinça et sortit de dessous un empilement de feuilles un document. Il posa son testament devant lui, saisit un stylo et se mit à réfléchir. Tout d’abords, il ratura la clé du coffre commun en tant que leg et resta en suspens au dessus du papier. Tout en mordillant le bout de son stylo-plume, il cherchait ce qui les ferait enrager, quelque chose d’horrible…

Entrée de Damien dans le bureau.

- Avez-vous besoin de quoi que ce soit, monsieur ?

- Oui ! Apportez-moi une tasse de thé, s’il vous plait.

« Oups ! J’ai complément oublié de le préparer.

- Heu… Oui, tout de suite.

Sortie de Damien.

Une tasse de thé préparée par Damien lui ferait le plus grand bien. Il lui serait plus facile de trouver une idée et du bon thé le changerait des… trucs répugnants des sept. Il eut soudain une illumination. Il prit tout de suite un petit calepin enfoui dans une des poches de sa veste, l’ouvrit et inscrivit en rouge : « acheter du thé blanc ». Simone avait certes essayé de l’empoisonner, mais le thé blanc méritait qu’on lui prête plus d’attention. Une fois le carnet remis en poche, une nouvelle idée germât dans sa tête. Il se rappela soudain sa conversation avec Martin : « du thé en sachet »… Superbe ! D’un geste, il griffonna sur le document devant lui, à la place de clé, « sept sachets de thé Earl Grey », tout en précisant que le notaire irait acheter ces saletés à la superette du coin avec de l’argent fourni par le testament.

La voilà, sa vengeance. Les priver de ce qu’ils voulaient, et leur donner une chose qu’ils abhorrent. Du thé en sachets ! Il en riait encore.

Pendant ce temps, Damien avait préparé en hâte la boisson demandée dans la cuisine. Ne voulant pas perdre son temps, il avait pris rapidement au fond d’un placard obscur du thé en sachet. Il s’en voulait, mais la mauvaise humeur de monsieur François le pressait comme une orange. Il fit rapidement bouillir de l’eau, sortit une tasse et une soucoupe, versa l’onde bouillante dans le récipient et enfin déposa dans le liquide le petit paquet.

Il grimpa les marches afin d’atteindre le bureau de son patron au premier étage. Il déposa ensuite la tasse sur le secrétaire sans rien dire, puis sorti de la pièce. François ne remarqua rien. Il avait tourné son siège vers la fenêtre et contemplait avec un sourire sardonique le mauvais temps. Il avait presque envie de mourir rien que pour voir la mine déconfite de ses collègues. Il se retourna soudain et reprit dans sa main son stylo-plume. A la suite des sachets de thé, il inscrivit : « ainsi qu’une boite de biscuits de chez Droséra et fils, petit-fils, arrière petit-fils et beau-frère. » Il voulait compléter l’effet donné, accentuer la déception des sept grippe-sous, ne pas faire les choses juste à moitié. Il voulait que ce soit fait avec détail, comme une pièce de théâtre. Il était même prêt à leur léger le service à thé, mais il se rétracta : ils risquaient de l’utiliser à plusieurs reprises ou plus simplement de le casser. Il tenait trop à son service à thé pour que, même en étant mort, il le laissa à la disposition de personnes qui risqueraient de l’abimer. Enfin, il changea la date et signa.

Parfait ! La plus importante partie de sa revanche était achevée. Il pouvait enfin boire son thé tranquille. Il saisit la tasse et but quelques gorgées avant de se rendre compte que le breuvage avait un gout étrange. Il avala une nouvelle gorgée pour vérifier, posa la tasse avec un air de dégout et s’affaissa lentement sur le dossier de son fauteuil. Son cœur, sans raison apparente, venait de cesser de battre.

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