Vendredi 29 novembre / 2

6 minutes de lecture

Julie

Et merde ! Il l'a dit d'une manière si... froide !

— Julie, vous semblez choquée. Il ne vous a jamais avoué ses sentiments ?

— Si. Mais là c'était dénué d'émotions. Je ne suis pas un objet que tu peux acquérir. Je suis une femme avec des demandes et des attentes. Tu ne pourras jamais dormir avec moi ou m'accompagner au cinéma en me tenant la main, Manu. Nous avons des relations sexuelles tous les deux, mais nous ne vivons pas une histoire d'amour.

— Tu m'as dit être amoureuse de moi.

— Je le suis.

— Si je suis amoureux de toi et toi de moi... c'est donc une relation amoureuse.

— Non ! Ce n'est pas ce que j'appelle une relation. Ce n'est pas ce que je veux et je ne me contenterai pas de ça indéfiniment.

— Je refuse de te partager.

— Alors on n'avancera pas !

Monsieur Favre se lève et nous propose un rafraichissement. Nous acceptons tous les trois. Charlotte nous regarde à tour de rôle, sans plus ouvrir la bouche. Comment fait-elle pour ne pas hurler ? On vient de se dire qu'on s'aimait... Elle ne peut pas rester indifférente, ce n'est pas possible.

— Julie ? Qu'est-ce qui se passe ? Je vous sens perdue.

— Charlotte, comment tu peux accepter que l'on se dévoile ainsi sans réagir ? Je ne comprends pas.

— Je le sais. Mais c'est vrai que c'est pas évident à entendre !

— À ben quand même ! Enfin une réaction que je pige ! souris-je.

— Julie, avez-vous déjà eu des relations intimes avec un partenaire dont vous n'étiez pas amoureuse ?

— Non.

— Et vous Charlotte. Je connais la réponse, mais arrivez-vous à nous donner un nombre ?

— Je n'en sais rien, dit-elle en haussant les épaules.

— Un chiffre... 10, 20, 50 ?

— Plus que ça, j'imagine.

J'en ouvre grand les yeux. Ce n'est pas possible... autant de partenaires différents. Nous en avions parlé, mais je ne pensais pas que c'était à ce point.

— Et vous Manu ?

— Une dizaine.

— Voilà une grosse différence entre vous. Julie, vous n'acceptez de partager vos moments intimes qu'en étant totalement amoureuse et Manu l'a compris. Il sait que le jour où vous ferez une place à un autre homme, il n'y en aura plus pour lui. Et ça lui fait peur. Il est capable de se partager et de partager sa femme parce qu'il sait que ça n'a pas plus d'importance que ça.

— Vous êtes en train de dire que je ne suis pas importante pour lui ? m'exclamé-je en me levant d'un coup.

Manu aussi s'est redressé d'un bond et d'un regard nous nous toisons froidement.

— Je ne vous autorise pas à dire ça, martèle-t-il. Julie fait partie de ma vie et je refuse qu'elle s'éloigne de moi.

— Tu ne m'as pas beaucoup cherché depuis dix jours. Je ne dois pas trop te manquer ! sifflé-je ironique.

— Pensez-vous être capable de vous partager Julie ?

— Je... j'en sais rien.

— Mais vous avez envie d'essayer ?

— Je suis seule depuis l'été dernier et je m'apprête à fêter Noël sans personne. Bien sûr, j'ai ma famille et mes enfants, mais je suis toute seule avec mes peines, mes chagrins, mes doutes, je dors seule et je sors toute seule. J'en ai marre.

— Et si... de temps en temps Manu dormait avec toi ? murmure Charlotte.

— Non, Charlotte.

— Vous avez déjà dormi ensemble, je le sais.

— Oui, une fois. Tu étais en vacances et... c'était notre premier rapprochement. Mais non, je refuse d'entrer plus encore dans votre couple. Et mon manque ne se situe pas uniquement sous la couette Charlotte. Tu m'as dit toi-même que tu partageais tellement plus de choses avec Manu qu'une simple relation sexuelle.

Elle plonge dans mon regard et je sens que les larmes vont inonder ses joues d'une seconde à l'autre. Elle se pince les lèvres, son menton se met à trembler. Je n'aurais pas dû insister à ce point.

— C'est ça qui me manque Charlotte, ajouté-je d'un ton adouci. D'être épaulée, soutenue.

— Et si... si je m'éloignais de vous ? propose Charlotte, un sanglot dans la voix.

— Charlotte, si tu prononces encore une connerie de ce genre, tu n'auras même plus besoin de te poser la question. Tu ne me verras plus ! Plus jamais ! crié-je.

— J'aimerais tellement être comme toi... et combler mon mari, s'effondre Charlotte.

Je la regarde pleurer alors que Manu reste inerte sans bouger, sans la rassurer. Je m'énerve.

— Console-la... qu'est-ce que tu attends pour la prendre dans tes bras.

— Non !

— T'es pas bien, toi ! dis-je en me levant et en m'agenouillant devant Charlotte, tout en la serrant contre moi.

— Julie, laissez-la reprendre une contenance, il faut qu'elle sorte ses émotions. Ici, il n'y a pas de couple ou d'attouchement.

— Vous voulez dire que je n'ai pas le droit de la toucher ?

— C'est mieux pas.

— N'importe quoi ! dis-je en embrassant les cheveux de Charlotte avant de m'éloigner.

— Julie qu'avez-vous ressenti pendant ces derniers jours ? Sans avoir de nouvelles de Manu ?

— Nous nous sommes croisés, j'ai pu vérifier qu'il était encore en colère, je n'avais donc pas d'interrogation.

— Mais il vous manquait ?

— Forcément. Je ne suis pas insensible.

— Pourquoi vous n'avez pas cherché à le joindre ?

— Je lui ai envoyé un message après notre dispute qui est resté sans réponse. Je n'allais pas insister.

— Pourquoi ? Vous ne vous y autorisez pas ?

— Nous ne sommes pas un couple, je ne vis pas une histoire avec Manu...

— Mais quel ramassis de connerie ! C'est quoi ce que l'on vit alors ? m'interrompt-il.

— Manu, on ne se parle pas, on couche ensemble. J'ai besoin de complicité, d'échanger mes idées, de discuter de ma journée ou des soucis que j'ai avec mes enfants. C'est tout ça qui me manque avec toi. Tu es très tendre et j'aime faire l'amour avec toi. Je ne suis pas en demande de tendresse, je te l'ai dit, mais je n'ai pas le droit à quinze heures en ta compagnie. Juste une heure de pause à midi et deux, parfois un peu plus, le soir.

— Ça ne te suffit pas ?

— Je veux beaucoup plus, Charlotte, oui. Mais pas en éloignant ton mari de toi.

Le silence revient dans la pièce, à peine interrompu par le bruit du stylo sur les feuilles du médecin. Que peut-il bien écrire ?

Soudain, je me sens à l'étroit dans cette pièce, comme si elle m'étouffait. Est-ce le regard de mes amis ? Ou la pression que je ressens ? Il n'empêche que j'ai besoin d'air. Et vite.

— Je veux... prendre du recul. Pour réfléchir.

— Seule ?

— Oui, toute seule, dis-je en me levant.

— La séance n'est pas finie, reste, m'ordonne Manu.

— Regarde, même dans cette pièce la situation est flagrante ! Vous êtes un couple, vous êtes ensemble, vous vivez un quotidien, vous vous êtes assis instinctivement l'un près de l'autre. C'est normal, et je refuse d'être fâchée

Je marque une pause, puis reprend plus lentement, comme à reculons.

— J'ai besoin d'une réponse. Quand tu fais l'amour à ta femme, tu es entièrement avec elle ?

Manu affirme qu'en effet, ses pensées sont dirigées que vers Charlotte.

— Et quand tu es avec moi ?

Il garde le silence un peu trop longtemps et j'en profite pour conclure :

— OK, j'ai compris. La séance est finie, je crois, dis-je en m'approchant de la porte.

Manu se lève et me barre le passage. Mes yeux se remplissent de larmes. Je me tourne vers le thérapeute et le supplie :

— Expliquez-lui, s'il vous plaît. Il ne me comprend pas.

— Non, Julie, c'est à vous de lui dire.

— Quand on aime une personne, on a envie qu'elle soit heureuse, non ?

— Oui, chuchote Manu sans s'éloigner.

Je pose une main sur sa joue, la caresse tendrement tout en disant :

— Je préfère me priver de toi en te sachant heureux avec Charlotte. Je suis incapable de te donner ce dont tu as besoin et inversement. Vivez votre vie, prenez soin de votre couple, hoqueté-je, avant de m'enfuir.

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