Vendredi 22 novembre

6 minutes de lecture

Charlotte

En proposant à Julie de nous rejoindre pour la soirée pizza, je m'étais un peu avancée, mais je voulais la voir et surtout vérifier les réactions de mon mari près d'elle. Essayer de comprendre le malaise. Sauf que je n'avais prévenu personne. Heureusement nos voisins les plus proches ont accepté l'invitation à la dernière minute.

Les assiettes sont empilées à côté du four, les ingrédients sur la table n'attendent qu'une chose, que les mangeurs garnissent les pâtes déjà étalées. Manu avec son tablier autour des hanches, fait très cuistot et son sourire illumine son visage. Les enfants lui tournent autour, choisissent la décoration de leur pizza en ajoutant des olives. C'est une belle idée. J'aurais préféré un four dans le jardin, mais Manu a su me convaincre qu'un plus petit, mais dans un angle de la cuisine servira toute l'année alors qu'un gros à l'extérieur ne sera utilisé qu'en été. Et j'avoue que je ne regrette pas.

La sonnette retentit et Marion court ouvrir à sa meilleure amie. Manu se retourne et cherche à savoir qui sont les derniers invités. Il n'a pas été curieux de connaître leur identité et je pense qu'en ce moment il le regrette. Son visage se crispe, il se pince les lèvres et perd ses couleurs. Une ride se forme au milieu de son front et le barre comme lorsqu'il est en colère. Je me doutais qu'il y avait un souci, mais pas de son importance.

Julie s'approche, me tend une bougie parfumée et la salade promise. Elle m'embrasse dès que nos mains sont libres, puis fait le tour des invités et termine par la cuisine et les enfants. Tiphaine accapare mon attention lorsque Julie salue mon mari. Mais même si je ne les ai pas vus se saluer, c'est évident qu'ils ne cherchent pas la compagnie de l'autre. Manu lui tourne le dos, s'affairant au repas et Julie est à nouveau près de moi.

La soirée se passe de manière agréable, sauf que Manu ne desserre pas les dents et préfère s'occuper de son nouveau jouet que de faire la conversation à nos invités. Ça ne lui ressemble pas.

Au moment de prendre le café, Julie m'accompagne à la cuisine pour m'aider à transporter les tasses et le dessert. J'en profite pour l'interroger :

— Quel est le problème Julie ?

— Pardon ? s'étonne-t-elle. Quel problème ?

— Manu et toi ? Il n'a pas desserré les dents. Vous vous êtes engueulés ?

— Il ne t'a rien dit ?

— Non. Son prétexte favori reste le boulot, mais je vois bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Si c'est pour le voir aussi mal...

Charlotte ! Tu m'as bien fait comprendre que je ne devais rien te raconter, ni te demander la permission. Mais même si cette relation n'est pas...

— Quelle relation ? questionne Sabrina, notre plus proche voisine. Tu as rencontré quelqu'un ?

Julie se pétrifie alors que je me pince les lèvres. Pour éviter d'attirer son regard, Julie ouvre le tiroir et en sort les petites cuillères. Je me retrouve seule pour affronter la curiosité de Sabrina. Mais elle n'a que faire de ma gêne. Elle ne lâche pas mon amie et insiste en répétant sa question. Julie finit par soupirer :

— Oui, j'ai rencontré quelqu'un, dit-elle en hochant la tête.

— Génial. Toutes les femmes vont enfin pouvoir souffler. Pourquoi tu ne l'as pas amené ce soir ? Tu as peur de la concurrence ?

— Non... pas de la concurrence. C'est encore un peu tôt, claque-t-elle avant de sortir de la pièce en tenant le plateau avec les cafés.

Sabrina se tourne vers moi et me demande si je le connais, si c'est un homme de la région.

— Elle reste discrète Julie. Je n'en sais pas plus.

Ma voisine semble vraiment déçue et je retiens avec peine de pouffer devant sa mine défaite. Je jette un coup d'œil à son mari et même s'il doit plaire à certaines, franchement, elle n'a rien à craindre. Manu et Tim sont pas tout à fait dans la même catégorie. Si elle s'inquiète pour son couple, je devrais pouvoir la rassurer.

Julie a terminé la distribution des cafés lorsque j'arrive avec le gâteau. Une fois assise près d'elle, je lui glisse à l'oreille :

— Pour le spectacle de Noël à l'école, je te dégotte un célibataire tout mignon. Ça fera taire les mauvaises langues !

— Non, Charlotte. Les enfants seront présents et je n'ai pas envie de parader.

— Votre crise... c'est grave ou...

— Charlotte ! Parles-en avec ton mari à la place de lui sauter dessus.

— Ma parole... tu es jalouse ! m'exclamé-je un brin trop fort !

Le silence qui entoure la table au même moment me calme. Julie rattrape ma bourde en faisant mine de me demander la recette pour des jalousies aux pruneaux et je fais semblant de lui répondre.

Théo a passé une mauvaise journée et son attitude agace Julie. Ce que je comprends. Elle choisit d'écourter la soirée, Marion propose à Tiphaine de rester dormir et nous acceptons. Habituellement, si tout était normal, Manu se serait levé pour accompagner notre amie jusqu'à la porte, alors que ce soir, Julie fait un salut général et mon homme ne réagit pas. Je la suis jusqu'à l'entrée et entre deux bises, elle me chuchote :

— Non, Charlotte, je ne suis pas jalouse et oui, on s'est engueulés. Tu veux des détails ou tu préfères ignorer ?

— Je veux que Manu retrouve le sourire.

— Ben, excuse-moi d'avoir moi aussi des exigences qu'il n'arrive pas à satisfaire. Merci pour la soirée, Charlotte. À bientôt.

Julie

Je lui en veux. Cette invitation n'en était pas une. Je ne suis pas dupe. Charlotte a simplement voulu nous mettre en présence l'un de l'autre pour faire éclater l'abcès. Mais elle se leurre si elle imagine que je le ferai en présence des enfants.

Quant à Manu, même pas un sourire, ni un regard complice ou un salut. Sa froideur m'a fait mal. On peut avoir des soucis, mais on peut en parler et surtout se comporter en adultes surtout face aux autres. Heureusement que nos enfants sont encore suffisamment naïfs pour ne pas sentir le malaise. Et Théo qui continue sa crise. Il pleurniche dans mon dos, marchant au ralenti manifestant sa colère. Il voulait lui aussi passer la nuit avec Maxime.

— Ce n'est pas en ronchonnant que tu arriveras à tes fins. Il est tard, tu es fatigué.

— Même pas vrai, d'abord.

— D'accord, tu es en pleine forme et je suis la méchante. Tu dormiras une autre fois chez Maxime.

— Tiphaine peut toujours rester, pas moi !

— Tiphaine est plus grande.

Et plus gentille en ce moment. Du moins avec moi. Tim m'a confié qu'elle n'était pas très cool depuis qu'elle savait pour le bébé. Égoïstement, j'en suis ravie. Mais je ne le dis pas. Je ne le montre pas, ou le moins possible.

Je sens mon smartphone vibrer, je vérifierai à la maison. C'est sans doute Charlotte qui réclame des explications ou peut-être éventuellement Manu qui regrette.

Mais je me trompais. Le message provient de Patrick. Il m'a envoyé une photo d'une exposition, ou plutôt d'une sculpture qu'il admirait. Son SMS, sans vraiment être trop intrusif, me montre qu'il pense à moi et qu'il veut partager autre chose que la couette et des parties de jambes en l'air. Et c'est bien les failles de ma pseudo histoire avec Manu. Je savais dès le départ que cela ne pouvait pas durer. Certains appellent ça une relation pansement, et même si cela me fait mal de penser ainsi de Manu, j'ai bien peur que ça y ressemble.

Je ne peux pas me contenter éternellement d'une liaison cachée, même avec l'autorisation de sa femme, jamais je ne pourrai m'afficher au restaurant avec lui, nous tenant amoureusement par la main ou s'embrassant dans une salle de cinéma. Je ne peux pas l'inviter chez mes parents pour une fête de famille, ou faire des projets de vacances avec lui. Je ne peux même pas avoir une nuit entière dans ses bras.

Une fois seule sur le canapé du salon, les garçons couchés, je m'accorde une parenthèse agréable. La première de la soirée.

« Et si je te faisais plus de place dans mon quotidien ? Que me proposerais-tu de découvrir en premier ? » envoyé-je à Patrick en guise de réponse.

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