Vendredi 16 août / 2 Les pensées d'Emmanuel

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Emmanuel

Surpris d'entendre ce prénom, j'ouvre les yeux, tourne la tête et fronce les sourcils.

— Pourquoi tu parles de Julie ? Elle n'a rien à voir avec nous.

— Si... excuse-moi, mais elle est même au cœur de plusieurs de tes pensées, et des miennes par la même occasion.

— Sauf que je n'ai pas couché avec Julie. Je ne peux donc pas te répondre.

— Mais comme elle semble très douce, plus timide, moins démonstrative... tu imagines qu'elle serait plus comme toi dans un lit.

— Arrête Charlotte. Ce n'est pas d'une poupée de chiffon que je veux. Ni docile. J'aimerais simplement, de temps en temps prendre mon temps pour te faire l'amour, à mon rythme. Je ne te parle ni de tes amants ni de mes maîtresses. C'est entre nous qu'il y a un manque, pour moi.

J'ai de plus en plus l'impression d'un acte avorté, de petits coups vite fait. Alors oui, pour reprendre ses dires, j'ai du plaisir... physique, j'éjacule et la sensation de bien-être m'envahit ensuite. Mais la psycho tourne à plein régime ces temps. Et il me manque quelque chose.

— Tu imagines Julie comme ça ? Comme une poupée inactive ? rit-elle soudain.

Et son rire est communicatif, mes lèvres se détendent, mon regard perd de sa dureté, et je pouffe de sa remarque.

— Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

— Elle était passive pendant votre baiser ?

Le tout premier, oui, je me suis même reculé alors qu'elle ne me l'avait pas rendu. Puis elle s'était précipitée sur mes lèvres et s'était comme blottie dans mes bras. La sentir s'offrir et en même temps avoir le sentiment de la protéger m'avait ému. Ce premier échange n'avait été que douceur, dicté par l'envie, évidemment, mais le contraste était déroutant. Je la voyais comme une femme joueuse, flirtant sans forcément s'autoriser de trop grands écarts, mais assumant parfaitement son charme et s'en amusant, alors que ce baiser... c'était tout l'inverse.

Par contre le second avait été provoqué par l'envie, le désir et son intensité avait été si forte que non, je ne pouvais pas laisser Charlotte penser que Julie serait de celle qui joue aux étoiles de mer. J'ai même le sentiment qu'elle pourrait se révéler bien plus gourmande qu'on ne l'imagine.

Je secoue la tête.

— Non, pas vraiment.

— J'ai l'impression que tu ne me dis pas tout Manu, chuchote mon épouse.

Je ferme les yeux, soupire, me passe une main sur le visage. Je sais qu'elle a raison, mais comment lui avouer ce que je ressens ?

Elle n'entrevoit pas la sexualité de la même manière que la plupart des gens, mais les sentiments, l'amour n'ont rien à voir avec la simple attirance ou ce besoin qu'elle a de soulager la pression quand elle veut jouir.

Charlotte cherche simplement à obtenir un orgasme le plus rapidement possible, sans geste tendre, sans jeu de séduction, sans même s'attacher à la personne qui le lui donnera. Tant mieux si c'est moi, mais si c'est un autre, elle ne le vit pas de manière différente. J'ai mis du temps à le comprendre et à l'accepter, parce que j'étais tombé amoureux d'elle et que je voulais l'aider et surtout rester auprès d'elle. Je dois bien aussi avouer que la perspective de garder un peu mon indépendance, d'avoir l'autorisation de ma femme, si je croisais un joli petit lot et que je puisse assouvir une pulsion sans craindre une remontrance en arrivant à la maison me réjouissait. Mais comme souvent, le goût de l'interdit attise l'envie, alors que l'autorisation détruit les rêves.

Sauf avec Julie. Ce qui me fait craindre que c'est bien plus qu'une simple envie, un simple fantasme.

Oui c'est une belle femme, mais Charlotte n'a rien à lui envier. Et oui, Julie a cette douceur qui manque à mon épouse. Mais il y a bien plus derrière mon malaise. Et Charlotte commence à s'en rendre compte.

— Ton silence me fait peur Manu.

— Non... non, excuse-moi. N'aie pas peur.

— Alors, parle-moi. Tu sais que je ne comprends pas les choses comme toi, comme vous.

— Lors de la première rencontre, Julie aurait pu être effectivement une jolie femme que je drague pour peut-être obtenir plus. Et notre premier baiser n'a pas vraiment été un échange. Je dirais même que je lui ai volé ce premier baiser.

— Mais ensuite ? demande-t-elle alors que je marquais une pause.

— Elle s'est blottie contre moi et elle est venue chercher un second baiser. Vu de l'extérieur ce n'en était qu'un seul, mais ils étaient très différents l'un de l'autre.

— Et ça s'est arrêté là ?

Je secoue la tête.

— Je savais qu'il y avait eu autre chose. Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

— Il n'y a rien eu de plus que des baisers et pas beaucoup. Après la première invitation chez eux, je suis allé la voir à la librairie pour qu'on puisse se parler loin de toi et de Tim. Elle semblait paniquée en me voyant, tendue, comme si j'allais révéler la vérité à son mari ou à ma femme. Il fallait que je lui explique, que je n'allais rien faire pour détruire son couple et qu'elle ne serait pas un problème pour toi. Mais tu imagines bien qu'elle n'a pas vraiment compris. Ce qui m'a perturbé, c'est qu'une fois seuls, dans l'arrière-boutique, on s'est à nouveau embrassé, et là c'était plus passionnel. Ça aurait pu aller plus loin.

— Vous auriez dû ! Tu ne resterais pas bloqué sur cette envie.

Je me pince les lèvres. Pas certain qu'elle ait raison.

— En rentrant de vacances, trouve une excuse, un truc pour être seul avec elle et...

— Non ! Pas avec Tim dans le coin, ni après le cataclysme qu'ils viennent de traverser. S'ils se sont retrouvés, c'est pas le moment de faire douter Julie.

— Parce que tu crois que tu pourrais remettre en cause la solidité de leur couple ?

Je tourne la tête vers Charlotte, décelant une pointe d'ironie dans ses paroles.

— Julie ne couche pas comme ça. Si elle le fait, c'est parce qu'elle est amoureuse, qu'elle partage des sentiments avec son partenaire. Si elle tombe dans mes bras, j'ai bien peur qu'en effet son couple explose.

— Et le nôtre ? Tu penses qu'il pourrait s'en relever ?

— Côté sexe, on a vécu pire.

— Mais pas côté sentiments. Tu es amoureux Manu ?

— De toi oui.

— Et de Julie ?

Je déglutis. Je lui avoue m'être posé la question sans vraiment trouver de réponse et c'est sans doute ça qui m'effraie.

— En fait, tu crains d'être amoureux d'elle et que si sa manière de baiser te convient mieux, tu as peur de la préférer ?

Je me dois de la rassurer, je refuse que Charlotte s'inquiète. Je l'aime, c'est la mère de mes enfants, je ne veux pas envisager le pire avec elle. Mais je sais que les mots qui quitteront ma bouche à cet instant seront couverts d'émotion et qu'elle pourrait mal les interpréter.

Charlotte vient se blottir contre moi, picorant mon cou en me murmurant son amour. Je la bouscule, me couche à mon tour sur elle, écarte ses cheveux de son visage et l'embrasse jusqu'à la faire gémir. Mêlant la douceur à l'intensité, je me retrouve tout naturellement en elle, rythmant mes à-coups sans écouter ses suppliques. Je gère et j'ai bien l'intention de mener la danse jusqu'au bout. Sans m'écarter d'elle, la position du missionnaire que nous détestons la plupart du temps nous rassure, nos corps collés l'un contre l'autre, nos bouches scellées et nos sexes s'emboîtant parfaitement. Seul le dernier assaut me voit me redresser pour plus de force, plus de profondeur.

Puis, je roule sur le côté, la prenant avec moi pour qu'elle reste collée le temps de reprendre notre souffle.

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